mercredi 6 octobre 2021

La dernière héritière du Château de Ruthie

Le Château de Ruthie est au cœur du berceau de ma famille, Aussurucq, depuis au moins le 13e siècle. Je l'ai déjà évoqué par le passé sans imaginer une seconde que mes ancêtres aient pu être liés à ses occupants en dehors d'une simple relation de voisinage. Ce en quoi je me trompais comme souvent en généalogie ...   

L'association Ikerzaleak qui fait un travail remarquable pour la sauvegarde de l'histoire et de la culture souletine a étudié en détails le passé du château et des Seigneurs de Ruthye (ou Ruthie) sur pas moins de quinze générations ! Elle fait remonter la filiation de cette famille à Marie de Ruthie, héritière d'Urrutia d'Aussurucq qui épouse vers 1400 André de Suhare.

Faisons un bond en avant jusqu'à la treizième génération quand Pierre de Charritte de Ruthie, écuyer du roi et Seigneur d'Aussurucq et de Garraïbie épouse vers 1745 Dame Marguerite de Dombidau, sœur d'un Conseiller au Parlement de Navarre. On leur connaît au moins neuf enfants dont le dernier est Charles de Ruthie, né vers 1759 (les registres BMS d'Aussurucq sont absents entre 1756 et 1760).

En revanche, la date de naissance de Bernard de Ruthie, le frère l'ayant précédé, à savoir le 28 février 1758, nous est connue car son acte de naissance a traversé les siècles pour se retrouver dans son dossier numérisé de la Légion d'honneur (Base Léonore).  

Mais revenons à Charles. En 1789, son père décède et au sortir de la Révolution, on le retrouve dans le château familial, peut-être avec sa mère et un ou deux frères ou sœurs dont Pierre Eustache, prêtre desservant la paroisse d'Aussurucq. Charles après une carrière d'officier d'infanterie, est juge de paix et maire d'Aussurucq.

Le 11 Fructidor an IV (28 août 1796), il est absent de la mairie et c'est son adjoint Martin Inchauspé qui enregistre la déclaration de naissance par Marie Aramburu, sage-femme, d'une petite fille née la veille à sept heures du soir dans la maison Laxalt. 

La jeune femme qui l'a mise au monde, Marguerite Beheregaray dite Sagardoy, est âgée de 23 ans. C'est la fille de Pierre Beheregaray et de Marguerite Sagardoy, cultivateurs et maîtres de la maison Sagardoy d'Aussurucq, et de fait, la petite-fille de Pierre Sagardoy, mon sosa 314. 

Quant au père de l'enfant, il s'agit de Charles de Ruthie dont elle portera le nom dès sa naissance et qui a choisi pour elle le prénom d'Elisabeth. En tout cas, si elle est illégitime quand elle vient au monde, Elisabeth va être une première fois reconnue par sa mère un an après sa naissance, le 16 août 1797 puis deux ans après par son père, le 24 novembre 1798.

Qui est Marguerite Beheregaray pour Charles de Ruthie ? Une voisine, une servante du château ? L'histoire ne le dit pas. Quoiqu'il en soit, si elle se marie en 1807 avec Grégoire Chalde Arxu dit Queheillalt, un charpentier du village dont elle aura quatre enfants, c'est bien sa fille aînée Elisabeth qui sera la prochaine (et dernière) héritière du château. 

Elisabeth va survivre presque soixante-dix ans à son père Charles, décédé en 1808. Elle ne se mariera pas, n'aura pas d'enfants et d'après Ikerzaleak, finira sa vie dans le plus grand dénuement. En 1841, elle rédige son testament dans lequel elle désigne sa mère naturelle (sic) comme héritière usufrutière. 

Elle laisse un legs à ses trois filleules toutes prénommées Elisabeth, dont l'une est la fille de sa demi-sœur Marguerite Chalde épouse Carricart et l'autre, la fille de sa cousine germaine Marthe Hortence de Ruthie épouse de Jean Dangaits. En 1875, Elisabeth lègue le château à la commune d'Aussurucq pour servir de presbytère.

Avec la mort d'Elisabeth de Ruthie le 26 juin 1877 à 80 ans s'achèvent près de cinq siècles de possession du château par la famille de Ruthie. Un temps presbytère et même auberge, il abrite aujourd'hui la mairie d'Aussurucq et une salle d'exposition.

Illustration : Le château de Ruthie, aquarelle d'Anto Aguergaray

vendredi 7 mai 2021

Gratian Ducque (1600 - ap. 1682), mon ancêtre né sous Henri IV

Gratian Ducque (ou De Ducque) n'est pas le plus ancien ancêtre de mon arbre ni le seul à avoir vécu au 17e siècle mais pour l'époque, il est celui qui aura laissé le plus de traces de son passage sur cette terre ! Je sais par exemple qu'il est né au tournant du siècle car dans son testament du 25 janvier 1670 retenu par Maître Pierre Dubarbier, notaire à Barcus, il précise d'emblée qu'il est âgé de soixante-dix ans ou environ. 

Pour l'anecdote, quand j'annonce à mon père que j'ai trouvé un ancêtre direct né en 1600, il me réplique aussitôt "Sous Henri IV !" Ah oui, je n'y avais pas pensé alors que pour ma génération, 1610 suscite aussitôt dans notre cerveau reptilien l'association avec "l'assassinat d'Henri IV par Ravaillac"... 

Ce bon roi Henri qui fut d'abord Henri III roi de Navarre avant de s'asseoir sur le trône de France, a vu le jour au château de Pau distant d'à peine une dizaine de lieues de Barcus. Béarnais, c'est un proche voisin de la Soule, et je soupçonne fortement le nom de Ducque (parfois écrit Duque) de sonner plus gascon que basque...

Notre petit Gratian, futur cultivateur propriétaire, naît dans la maison de Ducque dont il est l'héritier, sise dans le quartier Gastellondo (ou Gaztelondo) de Barcus, au foyer de Pees Ducque et Marie Sartillon. Celle-ci semble descendre d'une grande famille, les de Sartillon, issus d'un cadet de la maison d'Oilher de Barcus mais je n'ai pas poussé mes investigations très loin dans cette branche.   

En 1600, le bourg de Barcus est alors en pleine expansion. Le journal de Pierre Casalivetery, notaire à Mauléon, dénombre 210 feux pour les années 1540-1549 contre 26 un siècle plus tôt. Barcus qui comptera 2 299 habitants au premier recensement de 1793 connaîtra par la suite une lente érosion de sa population  pour atteindre le chiffre de 636 à celui de 2018. 

De la fratrie de Gratian, je ne connais que ses sœurs, Catherine Ducque mariée à Dominique Etchebarne, Marie mariée à Bernard Aramburu, toutes deux maîtresses adventices des maisons du même nom à Barcus, et une autre Marie mariée à Bernard Berho, maître de la maison de Berho dans le même quartier de Gastellondo ... mes ancêtres. Un bel exemple d'implexe dans mon arbre puisqu'en effet, je descends en ligne directe à la fois du frère et de la sœur !

A la génération suivante, Gratian qui a épousé Marguerite Horment de Tardets, a quatre enfants : Dominique, l'aîné - mon aïeul - Marie, maîtresse adventice de la maison Urruty de Sauguis après son mariage avec Pierre Sieur d'Urruty, une autre Marie dite Nanoue mariée en 1657 avec Pierre Sieur d'Agaras, tous deux cultivateurs à Barcus, et Catherine, la puînée, probablement restée célibataire.

L'arrière-arrière-petite-fille de Gratian Marianne Ducque (ca 1732-1794) épousera en 1754 mon aïeul Dominique Eppherre (ca 1726-1816) dont la mère Catherine était elle-même son arrière-petite nièce. L'endogamie se pratiquait largement à cette époque comme le montre cette carte de Barcus de 1887 où les maisons de mes ancêtres sont indiquées.    
Gratian qui, prudent, a fait son testament dès 1670 vivra encore de nombreuses années. Régulièrement mentionné dans les minutes notariales de la période dans de nombreux contrats d'achats de terre, de mariage de sa fille, etc., où il signe son nom, il y est encore présent en avril 1682. Sa mort se situe entre cette date et cinq ans plus tard. En mai 1687 en effet, quand son fils Dominique héritier de Ducque se présente devant Maître Arnaud Dubarbier pour acheter des terres, l'acte précise que son père est décédé.

Signatude de Gratian De Ducque en 1664

Mon vénérable aïeul aura donc vécu plus de quatre vingt-deux-ans. Né sous le règne du Vert Galant et mort sous celui du Roi Soleil...

Illustrations
Gravure du château de Pau par Thomas Allom (1804-1872). Partie du Fonds Ancely de la Bibliothèque municipale de Toulouse (Rosalis).  Sources : Wikimedia Commons
Extrait du Recueil de linguistique et de toponymie des Pyrénées - Tome 2 Basses-Pyrénées (1887) de Julien Sacaze en ligne sur Gallica-BNF
Sources : AD64 (minutes notariales)
Population de Barcus : Wikipedia
Sur la famille de Sartillon : Arnaud d'Oilhenart et sa famille par Jean de Jaurgain (1885) dans Geneanet

samedi 6 février 2021

Le soldat qui partit à l'armée à la place d'un autre

Hasards de la sérendipité, en tentant de retrouver l'acte de mariage de mes sosa 94 et 95 dans les minutes notariales de Maître Jean Harismendi, notaire royal à la résidence de Saint-Etienne-de-Baïgorry, je découvre mon premier acte de remplacement au service militaire !

Pour resituer le contexte, nous sommes en juillet 1821. Napoléon 1er est mort à Saint-Hèlène deux mois auparavant et le trône de France (et de Navarre), est à nouveau occupé par Louis XVIII depuis juillet 1815*. C'est la période que les historiens qualifieront de Seconde Restauration. 

Détail qui a son importance pour ce qui va suivre, le service militaire obligatoire a été rétabli le 12 mars 1818 par la loi Gouvion-St-Cyr et sa durée en a été fixée à six ans. Le tirage au sort est en vigueur pour recruter 40 000 conscrits par an, soit un homme sur dix. La possibilité de se faire remplacer qui avait donné lieu à des surenchères folles sous l'Empire est maintenue.    

Le 9 juillet 1821 se présentent donc à l'étude de M° Harismendi Bernard Arroqui de la commune des Aldudes et son père Pierre. Ce Pierre Arroqui (1766-1847) est le petit-fils de mon sosa 378, Peillo De Sarry dit Arroqui. Un collatéral assez éloigné donc mais qui me permet d'aborder un sujet que je n'avais encore jamais évoqué.

Pierre, appelé aussi "Bethi" Arroqui, cadet de Haltçart (ou Haltçartenia) des Aldudes est métayer à la borde de Louisenia lorsque son fils Bernard naît le 7 Germinal an VII (27 mars 1799) et non le 27 comme le note le notaire dans l'acte de remplacement. La mère, Marie Laxague, n'est pas présente. On imagine que tout ceci est une affaire d'hommes...

Bernard a obtenu le numéro 80 au tirage au sort de 1820 pour les conscrits de l'année précédente mais il s'est porté volontaire - avec le consentement de son père - pour remplacer au service militaire un conscrit qui lui, a tiré un mauvais numéro. Ce dernier, Miguel Ipoutcha, laboureur, est né le 29 janvier 1798 à Ossès (là, je suis obligée de croire notre bon notaire sur parole, les registres des cette époque pour cette commune ayant disparu).

Miguel est le fils de Martin Ipoutcha et de Marie Urretiber, maîtres de la maison d'Ipoutchennia à Ossès, quartier d'Exare. A la grande loterie de l'Armée de 1818, il a tiré  le numéro 23 et il vient juste d'être appelé sous les drapeaux. Malheureusement pour notre récit, le régiment n'est pas précisé dans l'acte.       

Le remplacement de Miguel par Bernard est donc acté moyennant la somme de huit cent francs sur laquelle les deux parties se sont entendues. Le jour même de la signature de l'acte, Bernard reçoit 300 francs. Le solde de 500 francs doit lui être payé par Martin Ipoutcha dans un an. Pour ce faire, le laboureur n'hésite pas à hypothéquer sa maison d'Ipoutchennia et ses dépendances (basse-cour, jardin, bordes, terres, vignes, bois, fougeraies...).

On le voit l'affaire est sérieuse ! On imagine que Martin Ipoutcha, propriétaire, a vraiment besoin de bras et ne peut se passer de son fils alors que Pierre Arroqui, cadet, métayer, peut faire sans le sien. À moins que Bernard n'ait eu simplement le goût de l'aventure... 

Une autre condition du contrat est intéressante : les 300 francs du premier versement devront être entièrement restitués à Martin Ipoutcha si Bernard Arroqui désertait avant l'expiration d'une année. Cette clause sera portée à son contrat militaire et son père Pierre s'y engage solidairement. 

Preuve encore s'il en fallait de l'enjeu de ce contrat, les deux témoins de l'acte de remplacement sont Dominique Ibarnegaray, huissier à Saint-Etienne et Martin Arrambide, maire de la commune des Aldudes qui signent tous les deux mais aucune des parties en présence "pour ne savoir ni écrire ni signer".


Bernard est-il allé au bout de ses six ans ? Je n'ai trouvé trace ni de quittance ni de testament de sa part. Seulement son acte de décès le 29 juillet 1827 déclaré par son père Pierre, âgé de 60 ans et son cousin Jean Laxague, 25 ans. Il était mort dans la nuit dans sa maison de Bethihaltçartena (petit Haltçart). À seulement 28 ans...

* Après l'épisode des Cent jours.

Illustration : Gallica (cliquer sur l'image)
Sources : AD64 (état civil et minutes notariales)
Gen&O (Généalogie et Origines en Pyrénées-Atlantiques

vendredi 22 janvier 2021

Mes ancêtres de la vallée des Aldudes (I)

Janvier est propice aux bonnes résolutions ou pour le moins à se fixer des objectifs. En 2021, l'un des miens est de m'intéresser aux branches les plus dénudées de mon arbre. C'est ainsi que je me suis aperçue que si mes ancêtres souletins avaient de moins en moins de secrets pour moi, c'était loin d'être le cas pour les Bas-Navarrais. Ma grand-mère paternelle, Marie-Anne Etchemendy est native de Saint-Jean-le-Vieux, son père venait de Mendive et sa mère de Valcarlos en Navarre espagnole.

Jusque là, je m'étais très peu intéressée aux Aldudes, grave lacune car cette vallée pyrénéenne aux confins de l'Espagne est non seulement réputée pour sa beauté mais aussi pour son riche passé. Pour la petite histoire, le village aurait été fondé au 16e siècle par des cadets de Baïgorry écartés du droit de propriété du fait de la tradition ancestrale basque de favoriser les aînés dans la transmission du patrimoine.   

Le grand-père maternel de ma grand-mère Marie-Anne, Jean Biscatchipy dit Gachté avait épousé à Saint-Jean-le-Vieux le 19 février 1871 Marianne Saroiberry des Aldudes. Quatrième d'une fratrie de sept enfants dont au moins une sœur émigrée en Argentine, elle est la fille de Mathieu ou Mathias Saroiberry (ca 1784-1858), maître de la borde d'Esquerra aux Aldudes et de Marie Erramuspé (ca 1800-1850) dont l'origine reste encore un mystère à éclaircir pour moi. 

Je reviendrai dans un prochain billet sur les Saroiberry mais mon propos pour l'heure est d'illustrer une fois de plus la difficulté pour le généalogiste profane de s'y retrouver dans le maquis des patronymes et domonymes basques. J'ai plusieurs fois eu l'occasion de donner ici des exemples de noms de maisons qui s'étaient progressivement substitués au nom de famille mais là, avec la branche Coscorchilo des Aldudes, on atteint des sommets !

Tout a commencé pour moi par une recherche à la fois sur les AD64, Gen&O et Geneanet de ma sosa 189, Marie Arroquy dont je ne sais rien si ce n'est qu'elle est la mère de Mathieu Saroiberry. Sur Geneanet, plusieurs arbres mentionnent son mariage avec Gratian Saroiberry le 21 août 1786 aux Aldudes. Acte introuvable aussi bien dans les BMS des Aldudes que dans ceux de Saint-Etienne-de-Baïgorry, paroisse à laquelle les Aldudes ont été longtemps rattachés sous l'Ancien Régime.

Néanmoins, je repère parmi les références Geneanet une information plus précise qui mentionne une date de contrat de mariage (et non d'acte de mariage ce qui change tout !). Par chance, connaissant bien ce contact je lui demande via la messagerie du site le lien avec cette minute notariale qu'il m'adresse aussitôt. Et là, surprise, Gratian Saroiberry est en fait un Irary et Marie, cadette de Coscorchilo, est représentée par son père dont le véritable patronyme est (De) Sarry : aucune mention de Saroiberry ni d'Arroquy, je comprends que je sois passée à côté !

Munie des "nouveaux" patronymes / domonymes Sarry et Coscorchilo, je parviens tant bien que mal à reconstituer les familles autour de ces deux maisons. Et là, je me heurte à une deuxième difficulté : sur Filae, un "petit malin" a identifié une Marie Coscorchilo, fille de Pierre, née en 1760, qui potentiellement pourrait être mon aïeule. Sauf que je sens que ça ne colle pas... 

A partir de son contrat de mariage et de celui d'une autre sœur de la maison de Coscorchilo dans lequel à chaque fois, le père se fait accompagner de son gendre, maître jeune de la dite maison, je peux enfin déterminer qui est "la" Marie dont je descends et reconstituer sa fratrie. 

Dernière de neuf enfants, Marie est baptisée le 26 février 1758. Selon les actes de baptême de ses frères et sœurs entre 1740 à 1756, certains sont nommés (De) Sarry, d'autres (De) Coscorchilo et d'autres (D')Arroqui ou Arroquy ! Grâce à la mention des parrains et marraines et de leurs maisons, je parviens à identifier une bonne partie des membres de cette grande famille. 

Pour la première fois, je dois admettre que j'ai bien failli jeter l'éponge ! On ne dira jamais assez combien citer ses sources est primordial lorsqu'on partage sa généalogie pour éviter de reproduire des erreurs qui non seulement deviennent virales mais vous embarquent sur de fausses pistes... 

A suivre...

Illustrations : Benjamin Floutier (1882-1936) "Le village des Aldudes".
Cadastre napoléonien (1840) : cliquer dans l'image pour l'agrandir.
Sources : AD 64 (état civil et archives notariales), Gen&O, Geneanet, Filae.