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samedi 16 novembre 2019

Celle qui nous a transmis son nom

Elle était assise sur un banc de pierre, le regard tendu vers la ligne de montagne se détachant derrière le clocher de l'église. A vue de nez, elle devait avoir à peu près mon âge mais paraissait beaucoup plus usée par les années. Cette fois-ci, j'avais décidé de ne pas finasser, de jouer cartes sur table.

"Egun on ! Vous êtes Catherine Eppherre ?
- C'est mon nom. Et vous ?
- Je suis Marie, votre descendante à la huitième génération. Vous savez, je rêvais de vous rencontrer. Car c'est à vous que je dois mon nom. Et qu'elle n'a pas été ma surprise de voir qu'à trois siècles d'écart, il s'orthographiait toujours de la même façon ! 
- Oh, vous savez, moi je n'ai jamais appris à écrire.
- Oui, je sais. Qu'est-ce que ça peut m'agacer de lire dans les actes notariés : la femme autorisée et congédiée par son mari et de le voir signer à votre place ! Mais au bout du compte, c'est vous qui avez gagné.
- Comment ça ?
- Et bien, non seulement vous êtes l'héritière de la maison Eppherre de Barcus mais c'est votre nom à travers elle que vous nous avez transmis alors que nous aurions dû prendre le patronyme de votre mari Jean Saru. 
Ce nom, on le porte fièrement jusqu'à maintenant. Par exemple, mon père, Dominique Eppherre, est l'exact homonyme de votre grand-père et de votre fils aîné. D'ailleurs, c'est une tradition qui a perduré jusqu'au milieu du XXe siècle, tous les aînés se prénomment Dominique. Avez-vous une idée du nombre de Dominique Eppherre dans mon arbre ? Vingt-et-un !
- Comment vous savez tout ça, vous ?
- Je suis généalogiste, enfin ... amateure. Mais j'ai quand même coécrit un livre sur le sujet car la généalogie basque, c'est drôlement compliqué ! Tenez, vous par exemple, vous êtes doublement mon aïeule : je descends à la fois de votre fils aîné Dominique par son cadet Simon Eppherre dit Recalt, et de votre cadet, François Eppherre dit Iriart. Nous savions que le berceau de la famille était à Barcus mais sans vous, nous ne serions pas là ! 
- Vous m'en direz tant !
- Ah, j'ai remarqué autre chose à propos de votre mère Marie Satçoury qui a épousé en secondes noces le frère aîné de votre mari.
- Ne m'en parlez pas, quelle peau de vache, celle-là ! Savez-vous qu'elle nous a traînés chez le notaire Carricondo ? Prétextant qu'elle s'était chargée de l'administration de la maison Eppherre pendant six ans avec son deuxième mari Dominique qui, en effet, est le frère aîné de mon mari Jean, elle a demandé sa part de l'héritage. Nous avons dû mon mari et moi leur verser 225 livres en argent comptant ! Mais bon, j'aime beaucoup ma demi-sœur, Marie Saru, alors je pardonne à notre vénale de mère, que Dieu ait son âme !
- Demi-sœur qui est aussi la nièce de votre mari et qui à son tour deviendra héritière de la maison de Saru et donnera son nom à une autre lignée de Barkostars
- C'est vrai, je n'y avais pas pensé. En somme, c'est nous les femmes qui avons tout fait ici !" conclut Catherine, en partant d'un grand éclat de rire. Sur ce, elle arrange quelques mèches échappées de son burukoa, époussette son tablier, fait claquer ses sabots, se lève et s'en va en me faisant un petit signe de la main.

Je la regarde s'éloigner, cette aïeule qui avait 10 ans à la mort de Louis XIV, n'aura connu que l'Ancien Régime et qui pourtant, à elle seule, illustre un modèle plutôt moderne : la famille matrilinéaire basque...

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

Lexique :
Egun on : bonjour (se prononce egoun oun en souletin)
Barkostars : habitants de Barcus (Barkoxe en basque)
Burukoa : petit filet en dentelle blanche recouvrant les chignons de nuque

Sources : AD64 (Minutes notariales)
Illustration : Valentin de Zubiaurre (1879-1963)



vendredi 28 décembre 2018

Petit miracle de Noël

Le petit miracle en question s'est produit le 22 décembre juste avant 19 heures, et je l'ai vécu un peu comme un cadeau de Noël avant l'heure. Chaque généalogiste connaît ce qu'on appelle une "épine généalogique", en fait un écueil sur lequel on bute pour faire avancer ses recherches ou corroborer une hypothèse. Quelqu'un m'a dit une fois qu'il en traînait une depuis plus de dix ans ! La mienne avait presque quatre ans et à vrai dire, je ne pensais plus vraiment la résoudre un jour...

Lorsque l'on s'intéresse à la généalogie basque, on sait l'importance de la maison, une composante essentielle pour comprendre la transmission du patrimoine et du nom de nos ancêtres. En mars 2015, aux balbutiements de mes recherches, j'avais raconté dans un billet comment j'avais retrouvé la Maison D'Eperre (sic) à Barcus. Ce n'était pas vraiment une surprise, mon père et la plupart de mes cousins m'ayant appris que le berceau de la famille se trouvait là.  

Au fur et à mesure de l'avancée de mes travaux, j'appris que la branche dont je descends par mon père côté paternel, prenait sa source à Alos où un cadet Epherre (tel qu'il signait son nom) avait épousé l'héritière de la maison d'Iriart. François Epherre dit Iriart (sosa 144) était mon aïeul à la 7e génération. Son acte de décès m'apprenait qu'il était mort le 31 juillet 1811 dans sa maison d'Alos à environ 86 ans, situant sa naissance autour de 1725. Il y était précisé qu'il était de Barcus, fils de Jean Epherre et de Catherine Saru. Erreur funeste !

L'état civil n'existant pas pour Barcus avant 1783 (et encore, avec une interruption entre 1789 et 1793, Révolution oblige !), je me résolus cette année à éplucher les minutes notariales de manière méthodique avec pour pour objectif de relier François, cadet (D')Epherre, à la branche aînée de Barcus que j'avais jusque là étudiée mais isolée de mon arbre. 

Sous l'Ancien Régime, je l'ai déjà raconté ici, on consultait son notaire pour un oui ou pour un non. La plupart des habitants ne parlant que le Basque et ne sachant pas écrire, juste signer leur nom - ce qui dans ce cas s'est avéré très précieux - les notaires étaient pléthores. Certains se rendaient même sur les marchés pour enregistrer un acte, signé à la plume sur un coin de table du cabaretier voisin !  

A Barcus, je vais retrouver de nombreux actes notariés entre 1744 et 1769 mentionnant une Catherine, héritière de la maison (D')Epherre et son mari Jean (De) Saru, maître adventif* de ladite maison. A partir de 1770, c'est leur fils aîné et héritier, Dominique, qui apparaît dans de nombreux actes. J'avais déjà retrouvé son acte de mariage en 1754 avec Marianne Duque de Barcus. Il signe Eppherre, exactement comme mon nom s'écrit aujourd'hui !

A Abense-de-Haut (parfois écrit Abense Supérieur) village de près de 300 habitants en 1793, jumelé depuis à Alos et Sibas, je vais rechercher mon aïeul François dans des milliers de pages entre 1748 et 1762. En vain. A Tardets, gros bourg voisin de la Haute-Soule, je tombe sur le testament d'un François Saru, concierge du Château de Trois-Villes, originaire de Barcus, qui fait un legs en faveur de son neveu et filleul, François D'Eperre dit Iriart d'Alos (sic), le 13 février 1767. Je sens que je brûle.

C'est finalement dans les minutes notariales de Maître Darhan, notaire à la résidence de Tardets, que je vais retrouver le "pacte de mariage" signé entre Jean de Saru dit Eperre et  Dominique Deperre (sic), père et fils, de Barcus, contractant pour leur fils et frère François, fils légitime de Jean de Saru et Catherine Deperre, d'une part ; et d'autre part Dominique Etchart (!) maître adventif* d'Iriart d'Alos, représentant sa fille Marie héritière D'Iriart. Il est signé du 15 janvier 1760.

En conclusion, le résultat de cette quête prouve encore une fois qu'au Pays basque le nom de la maison s'est souvent substitué au nom patronymique quitte à le faire disparaître totalement. Quant à mes proches, s'ils ont bien suivi mes explications, ils aurant noté que nous n'aurions jamais dû nous appeler Eppherre mais ... Saru** ! 

* Maître adventif (ou adventice) : celui qui a épousé l'héritière de la maison.

Sources : AD 64 (Etat civil et minutes notariales), Gen&OGeneanetWikipedia
Illustration : Geneanet
Nota :Mon arbre sur Geneanet n'est pas encore à jour, il faut que je fusionne les deux branches sur Geneatique. Ce sera mon prochain chantier !

mardi 30 octobre 2018

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage

En généalogie, il arrive parfois que l'on traverse des périodes d'abattement, par exemple lorsque l'on bloque sur une branche de son arbre, voire de l'arbre tout entier plus celles-ci sont hautes. Au début, le généalogiste amateur est tout feu tout flamme. Feuilleter virtuellement ou concrètement des registres d'état civil le plonge au cœur d'un véritable jardin d'Eden où il butine d'acte en acte, la cueillette est toujours bonne. Et puis, les branches se dégarnissent et, comme les oiseaux l'hiver, il faut gratter sous les couches pour dénicher sa pitance.  

Les BMS* de l'Ancien Régime sont à première vue rébarbatifs, les pattes de mouche de nos curés de campagne rebutent, les yeux picotent, le découragement gagne. Et pourtant, il arrive qu'un seul acte de baptême ouvre une nouvelle voie à des recherches jusque-là restées vaines. Prenons un exemple, une triste histoire qui, deux siècles et demi plus tard, a son utilité.

Le 10 avril 1786, le dénommé Hidiart, vicaire de la paroisse de Çaro, en Basse-Navarre, baptise deux fillettes, des jumelles nées la veille du légitime mariage entre Jean Biscaichipy et Marie Indart. Les deux sont prénommées Marie, ce qui peut sembler incongru de nos jours mais dont on comprend vite le choix. En effet, les "petits anges" décèdent dès le lendemain pour la puînée, et le surlendemain pour l'aînée, comme les désignent notre brave curé.

Mais regardons mieux l'acte de baptême. On y apprend le nom des parrains et marraines respectifs des deux petites, avec leur lien de parenté et le nom de leur maison. La marraine d'une des petites Marie est locataire de la maison d'Arretche, celle de l'autre est sa tante paternelle, cadette de la maison Biscaichipy, son parrain étant le "maître" de ladite maison. Les parents, d'une branche cadette, sont quant à eux, maîtres de la maison d'Haiçaberry.

Quand on sait au Pays basque le rôle des maisons et la prévalence de la primogéniture (l'aîné, garçon ou fille, est celui qui hérite), on mesure combien ce seul acte ouvre des horizons à notre généalogie ! On ne le dira jamais assez mais lire un acte in extenso est primordial si l'on ne veut pas passer à côté d'informations capitales.

J'ajouterai que c'est la lecture des minutes notariales d'une étude du début du 18e siècle à Saint-Jean-le-Vieux (Basses-Pyrénées) qui m'a permis de localiser cette branche, morte jusque-là, à Çaro, une paroisse aujourd'hui disparue rattachée depuis 1842 à Estérençuby. Se plonger dans les actes notariés est encore une belle aventure généalogique, idéale pour les longues soirées d'hiver !  

* BMS : Baptêmes, Mariages, Sépultures dans les registres paroissiaux sous l'Ancien Régime.
Illustration : Sisyphe par Titien (1549)

vendredi 2 février 2018

Mariages croisés

Pour comprendre le droit coutumier basque, il faut se souvenir que la plupart des fermes comprenaient des domaines de moins d'un hectare*. Il était donc vital de sauvegarder à tout prix le patrimoine familial qui devait être indivisible et transmis à un héritier unique. Bien que le droit d'aînesse ait longtemps prévalu, que le premier né soit un garçon ou une fille d'ailleurs, le maître ou la maîtresse de maison pouvait "faire un aîné" en choisissant lequel de ses enfants était le plus apte à lui succéder. 

Après la Révolution, les lois successorales dites égalitaires du 7 mars 1794** tenteront de casser cette coutume mais elles seront allègrement contournées devant les tribunaux ! Dans un précédent billet, j'évoquais le rôle des maisons dans lesquelles cohabitaient "maîtres vieux" et "maîtres jeunes" et d'où les cadets étaient exclus s'ils ne voulaient pas y rester en tant que domestiques toute leur vie...

Autre conséquence de cet "arrangement" ancestral, l'aîné d'une maison ne pouvait pas épouser sa voisine si elle-même était l'aînée ou l'héritière de sa propre maison. On assistait souvent à l'intérieur d'un même village ou dans deux villages voisins à des mariages croisés : un frère aîné épousait une cadette ce qui permettait au frère ou à la soeur qui le suivait de convoler avec l'aîné(e) de celle-ci.

Récemment, je suis tombée sur un contrat de mariage datant du 23 avril 1787 qui m'a permis de m'y retrouver dans un imbroglio d'alliances que l'usage du nom des maisons venait compliquer. Il s'agissait de conventions matrimoniales passées entre deux familles dont les maîtres étaient tous mes sosa !

Je m'explique : dans le village de Sunhar, Pierre Iriart, fils aîné de Raymond Inchauspé dit Iriart (sosa 132) et de Marie Iriart (sosa 133) se trouve promis à Anne Recalt du village de Sunharette, fille de Raymond Iriart dit Recalt et d'Engrâce Recalt (mes sosas 134 et 135). Notons au passage la disparition des noms patronymiques des pères au profit du nom de la maison des deux mères héritières ! 

Or Pierre, le futur marié est le frère aîné de Raymond Iriart dit Recalt (mon sosa 66) marié à Engrâce Recalt (ma sosa 67), l'héritière de la maison Recalt de Sunharette ! Là, ce sont deux frères qui ont épousé deux soeurs mais il arrive souvent que ce soit un mariage croisé frères-soeurs. 

L'avantage de tomber sur un tel contrat de mariage c'est la mention des "collatéraux" qui viennent témoigner de la notoriété des deux familles ! Le notaire précise aimablement à l'intention des généalogistes des futures générations, quels liens de parenté unissent tous ces braves gens entre eux, permettant du même coup de vérifier ou d'augmenter certaines branches !

* D'après Serge Pacaud in "Il y a 100 ans, les gens du Pays basque", éd. PyréMonde
** 17 Ventôse an II de la République     

Note : Pour les non initiés à la généalogie, la numérotation dite de Sosa-Stradonitz est une méthode de numérotation des individus permettant d'identifier par un numéro unique chaque ancêtre dans une généalogie ascendante.  
Illustration : Ramiro Arrue (1892-1971)
Sources : Minutes notariales des AD 64
Bibliographie : La vie d'autrefois en Pays Basque de Marie-France Chauvirey, Ed. Sud-Ouest

samedi 20 janvier 2018

Petite leçon de sociologie basque

Nous sommes le 20 janvier 1838. Vous avez bien lu, 1838, car c'est aujourd'hui que j'ai mon "rendez-vous ancestral". Pour l'honorer, je me rends dans un hameau de moins de cent âmes*, Sunhar, en Haute-Soule, canton de Tardets, Basses-Pyrénées (actuellement Pyrénées-Atlantiques) dans le Royaume de France.

En effet, depuis juillet 1830, la France est redevenue une monarchie même si celle-ci n'a plus grand chose à voir avec celle de l'Ancien Régime. Je doute par ailleurs que les soubresauts de la grande histoire ne soient venus troubler mes ancêtres souletins du 19e siècle, paysans à 90%.

Me voici donc sur le seuil de la maison Iriart, la maison-souche ou etxondoa de la branche qui m'intéresse et je m'apprête à rendre visite à la sœur de mon arrière-arrière-grand-père Raymond Eppherre dit Harismendy. C'est elle-même qui m'ouvre la porte, deux enfants accrochés à ses basques et un nourrisson dans les bras. 

"Madame Irigaray ?
- Dia, qui m'appelle ainsi ?" s'exclame-t-elle en partant d'un grand rire franc. 
- Vous êtes bien Engrâce Eppherre mariée à Dominique Irigaray ?
- Oui mais pour tout le monde ici, je suis Engrâce Iriart et quand je vivais encore chez mes parents, à Sunharette, j'étais Engrâce Recalt. Mais entrez donc, il fait un froid de gueux, venez donc près de l'âtre."

Elle s'écarte pour me laisser passer et me désigne le zuzulu sur lequel elle s'assied à son tour et sans façon, dégrafe sa blouse et commence à nourrir le bébé au sein.
"Un goulu celui-là, il est né une semaine avant la Noël et s'agit pas de lui faire sauter un repas, ah ça non !" et me montrant ses deux aînés avec tendresse de poursuivre : "Elle c'est ma grande, Marie, elle aura 4 ans en mars, et lui, Pierre, il fera 3 ans aux moissons".

Je profite de ces présentations pour lui demander quelles autres personnes vivent sous ce toit.
"Ouille, ouille Ama, voyons : mon beau-père Dominique Irigaray, la maison était à ma belle-mère, Justine Iriart mais je ne l'ai jamais connue, elle est morte avant nos fiançailles ; mon mari qui s'appelle comme son père, et moi. Ah et j'oubliais, son frère Osaba Pierre. Lui, il s'appelle vraiment Iriart ! (rires). Et puis, il y a les cadets de mon mari pas encore mariés et bien sûr nos enfants, et on compte pas s'arrêter là !
- Et tout ce petit monde s'appelle Iriart ?
- Bai, même les domestiques ! Dia, c'est plus simple comme ça".

Je n'ose pas lui dire quel casse-tête représentera pour les généalogistes futurs ce va-et-vient permanent entre le nom patronymique et le nom de la maison ! Elle par exemple dans mon arbre, se nomme Engrâce Eppherre dite Recalt dite Iriart. Dans les actes de naissance de ses enfants (elle en aura huit en tout) elle est parfois appelée Engrâce Eppherre de Sunharette, Engrâce Recalt, Engrâce Iriart (jamais Irigaray !). Et dans son acte de décès (elle vivra 88 ans), elle redevient Engrâce Eppherre de Sunhar, veuve de Dominique Irigaray, née de parents inconnus à Lichans-Sunhar (!). 

Pour l'heure, l'etcheko andere réajuste son corsage et m'annonce gaiement : "C'est pas tout ça, mais je dois aller surveiller ce qui se passe en cuisine. Ma garbure mijote depuis des heures. Vous allez bien rester souper ?"

*Sunhar compte 86 hts au recensement de 1836. En 1842, la commune fusionne avec Lichans et devient Lichans-Sunhar.

Lexique :
Dia : Exclamation qui ponctue souvent les débuts de phrase en basque
Zuzulu : banc-coffre
Ama : Mère, maman (ouille, ouille ama peut se traduire par Bonne mère !)
Osaba : Oncle 
Bai : oui (ez : non) 
Etcheko andere : maîtresse de maison
Garbure : soupe traditionnelle basco-béarnaise aux légumes et haricots secs, servie avec du pain et du lard 
Illustration : Mauricio Flores Kaperotxipi
Sources : AD64Genealogie64, Wikipedia, Geneanet

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

jeudi 16 novembre 2017

La saga Urrizaga (III) - Les familles

Si je me réfère aux précieuses notes de Julian Alson-Haran déjà évoquées,  aux 17e et 18e siècles, de nombreux patronymes transmis de père en fils étaient souvent composés de deux noms accolés. Dans mon arbre, c'est le cas de De Barcelona y Granada (Maria Francisca, ma sosa 717, née en 1710) ou De Barcelona y Eguigorri (Bernardo, mon sosa 712 né ca 1700). 

Les Barcelona font partie des quatorze maisons nobiliaires de Valcarlos ou Luzaide. Son blason, décrit dans "L'Armorial de Bayonne, Pays basque et sud Gascogne" de Hubert Lamant Duhart, est constitué "d'argent à quatre fasces ondées de sinople" (vert en héraldique). La maison familiale devait se situer le long du chemin de Compostelle où il était d'usage d'accueillir les pèlerins, gracieusement ou non (comme de nos jours, somme toute).

A partir du 18e siècle, le nom est donné par le père mais cette règle n'est pas toujours suivie. J'ai déjà évoqué dans un de mes premiers billets le rôle de la maison au Pays basque. Au nom hérité du père vient s'accoler celui de la maison comme pour Bernard Barcelona-Meharin, né le 6 octobre 1857 à Arnéguy dans la maison Meharinia.

Julian Alson-Haran note également une forte consanguinité (in breeding) des familles de Valcarlos. La mémoire familiale véhiculait deux légendes à propos des Urrizaga, que mes arrière-grands-parents étaient cousins germains ce qui est archi faux et que nous avions des origines nobles, ce qui est partiellement faux à moins de considérer le blason des Barcelona comme le nôtre !

Ce qui est sûr c'est que je ne compte pas dans mon arbre le nombre de fils Urrizaga mariés à des filles Barcelona ou l'inverse. Le premier, Domingo Urrizaga dont j'ai déjà parlé (mon sosa 176) épouse à Valcarlos le 27 février 1786 Graciana Barcelona (ma sosa 177, baptisée le 12 juin 1760). La sœur cadette de Graciana, Maria Barcelona, baptisée le 28 mars 1764 à Valcarlos, épouse le 11 octobre 1784 Juan Gortari, né le 6 février 1748 toujours à Valcarlos. Ce sont mes sosa 180 et 181, les grands-parents paternels de Graciana Gortari (ma sosa 45) qui épousera en 1841 ... Pedro Urrizaga (mon sosa 44) ! A ce stade, j'espère n'avoir perdu personne.

Pour terminer sur une note plus légère, un mot sur la photo choisie pour illustrer ce billet. Pas d'ancêtres douaniers du moins dans cette branche à ma connaissance mais j'aime bien cette photo. Elle rappelle que Valcarlos se situe sur la frontière avec la France et que même si le village n'est qu'à trois kilomètres d'Arnéguy, mes ancêtres étaient espagnols ou français selon le versant de la vallée où ils avaient vu le jour...
[A suivre]

Note : Pour les non initiés à la généalogie, la numérotation dite de Sosa-Stradonitz est une méthode de numérotation des individus permettant d'identifier par un numéro unique chaque ancêtre dans une généalogie ascendante. 

Illustration : Carte postale Delcampe.net
Sources : Armorial des familles basques sur Wikipedia, notes de Julian Alberto Alson Haran, Geneanet, FamilySearch, AD 64, Généalogie 64

vendredi 12 février 2016

Dominique Irigoyen, hussard noir de la République (I)

©Archives personnelles Mdep
Quand j'étais enfant, à chacune de nos visites à Aussurucq, nous allions goûter chez Marie. L'etxekandere* nous proposait invariablement du fromage de brebis avec du pain et de la confiture de rhubarbe faits maison. On n'apprécie le brebis qu'en tranches si fines que l'on peut "voir La Madeleine** au travers" nous disait mon père,.. Ce goûter c'est un peu notre madeleine à nous, mon frère et moi... 

La maison s'appelait Etcheberria (ou Etxeberria), littéralement "entre les maisons". Elle se situe en effet au centre du village. C'est une grande bâtisse au toit d'ardoise dont la silhouette massive est adoucie sur son côté par une galerie en bois joliment ouvragé. Ceux qui n'ont du Pays basque que des images de coquettes villas à colombages rouges ou verts, ne sont jamais allés en Navarre espagnole ou en Soule.

Comme son voisin, le Béarn, cette troisième province basque française est plus austère que les pimpants Labourd et Basse-Navarre. Les gens y sont peut-être plus discrets aussi, plus taiseux ... Dans la maison toujours briquée comme un sou neuf, j'étais fascinée par l'inscription gravée sur la plaque de fonte devant la cheminée : Yrigoyen Dominique.

Je savais par mon père que c'était le nom du grand-père maternel de mon grand-père paternel, un instituteur venu du village voisin de Suhare pour, à 22 ans, épouser Marie-Jeanne Dargain-Laxalt, 18 ans, la fille unique d'un sous-lieutenant des douanes d'Aussurucq. A l'époque de leur premier enfant Marie, née en 1853 et jusqu'au treizième, Jean, né en 1871, le couple habitait dans la maison Laxalt.

Le père de Marie-Jeanne, Pierre Dargain dit Laxalt (1800-1853) est décédé de même que deux de ses petits-enfants, Martin, en 1866 à six jours et Pierre en 1873 à dix ans, dans cette maison. Mon arrière-grand-mère, Elisabeth, cinquième de la fratrie, y est elle-même née le 12 avril 1858. En tout, treize des enfants du couple Irigoyen naîtront là, dont Grégoire (en 1867) et Michel (en 1869), partis au Chili comme je l'ai raconté dans mes précédents billets,

On peut donc situer la construction de la maison Etcheberria entre la fin 1873 et le premier semestre 1874. En effet, Pierre décède le 3 septembre 1873 dans la maison Laxalt tandis que Jean, le dernier à y être né le 23 septembre 1871, s'éteint le 25 août 1874 à Etcheberria.

[A suivre...]

*Etxeko andrea : maîtresse de maison en basque
** La Madeleine est une colline souletine de 795 mètres surmontée d'une petite chapelle du XVe s. La vue quand elle est dégagée, est superbe. Des fenêtres d'Etcheberria, où mon père passait toutes ses vacances, on en aperçoit le sommet. 

mardi 3 mars 2015

Où l'on découvre où se cachait la maison Eppherre

A un moment donné, tout généalogiste amateur se retrouve dans une impasse. C'était mon cas en début de semaine. Pour varier les sources de recherches, je suis allée faire un tour du côté des registres de recrutement. Une mine de renseignements ce site, à se demander comment vont faire les généalogistes des générations futures vu qu'on a supprimé le service militaire...

Bref, j'ai retrouvé la trace d'une petite vingtaine d'Eppherre, la plupart d'Aussurucq et d'Alçay, déjà connus, quelques-uns du Béarn (branches non encore explorées) et un certain Pierre Eppherre né en 1860 à Barcus. Comme un chien qui trouve un os à ronger, me voilà donc repartie dans les archives départementales à fouiller cette fois les registres de Barcus pour reconstituer la lignée de ce malheureux (pour la petite histoire, il a été arrêté le 18 novembre 1885 par le tribunal correctionnel pour délit de vol puis recherché par l'armée pour insoumission...). 

Et là, bingo ! (eh oui la généalogie peut donner des montées d'adrénaline !), je découvre enfin la maison Eppherre que je recherchais depuis mes débuts de cette passion dévorante. Mille excuses à mes ancêtres que j'ai précédemment traités de "coucous", l'etxondoa Eppherre a bien existé mais à Barcus. Quand j'ai fait part de cette trouvaille à mon père, avec son humour flegmatique basque (si, si, ça existe...) il m'a répondu : "Oui, ça ne me surprend pas. Alçay, Barcus et Aussurucq pour notre branche, sont les noms qui revenaient dans la famille. Tu m'aurais dit que tu l'avais retrouvée dans le Tarn, tu m'aurais surpris".  

En l'état actuel de mes recherches, le plus ancien propriétaire de la maison Eppherre de Barcus est un Dominique (tiens, tiens...) né autour de 1726*. Son héritière, Engrace, (ca 1753-1833) a vécu jusqu'à 80 ans. J'aurais l'occasion de revenir sur sa descendance dans laquelle j'ai découvert mes premières jumelles... Son frère cadet Jean (ca 1765-1826) est le grand-père du conscrit Pierre qui m'aura permis de retrouver notre maison souche. Grâces lui en soient rendues !

* Il apparaît comme témoin dans un acte de décès d'un voisin le 26 Fructidor an II (12 septembre 1794) où il est précisé qu"il est âgé de 67 ans.  PS : J'ai retrouvé entre temps son acte de décès, il est mort en 1816 à l'âge de 90 ans !

Illustration : Mauricio Flores Kaperotxipi

samedi 7 février 2015

Dis-moi où tu habites, je te dirai qui tu es


Raymond Virac
Dans sa "Monographie de la commune de Saint-Jean-Le-Vieux, publiée en 1898, Louis Etcheverry révèle que "dans les vieux registres du XVIIe siècle, on ne voit apparaître que le nom des maisons. Il a fallu attendre les livrets militaires et les appels sous les drapeaux pour révéler à une foule de jeunes gens leur nom patronymique qui gisait caché dans des actes civils et notariés mais n'étaient pas d'un usage courant".

Les noms basques nous dit Philippe Oyhamburu "sont issus dans leur grande majorité de la maison souche (etxondoa) qui elle-même est le plus souvent déterminée par les détails du lieu où elle est érigée. Quelques exemples : Etchemendy (comme notre grand-mère) la maison sur la montagne, Irigoyen, le "domaine le plus haut", Lizarazu, la (maison) dans la vallée des frênes, etc. 

Dans "Les gens du Pays Basque", Serge Pacaud explique : "Au centre de la société basque, la Maison représente l'originale entité de chaque famille. La préoccupation majeure de la famille est de conserver le patrimoine, la maison et ses dépendances, qui ne doivent ni se diviser ni se désagréger. Ce patrimoine constitue un tout, propriété de la famille et dont nul ne peut disposer pas même le maître de Maison (etxeko jaun).

Le bien est toujours transmis à l'aîné des enfants, garçon ou fille ! Le nom de la maison est donné au gendre qui épouse l'héritière de la maison. Même les domestiques, lorsqu'ils ont passé de nombreuses années au service d'une famille, sont appelés par leur prénom suivi du nom de la maison où ils travaillent.

Cette explication sommaire me paraît nécessaire à ce stade pour expliquer les Inchauspé dit Harismendy, les Epherre dit Irigoyen, les Dargain dit Laxalt, etc, rencontrés jusque là. Toujours Serge Pacaud : "Le gendre est une espèce de "prince consort" qui règne mais ne gouverne pas. Le mariage entre un héritier et une héritière est inenvisageable. La règle est qu'un héritier épouse une cadette et qu'une héritière épouse un cadet. Dès lors, celui qui entre dans la maison-souche y apporte sa dot, lui consacre toute son activité et ne tarde pas à fondre son individualité dans la maison dont il prend le nom."

Cette tradition qui perdurera jusqu'à la Révolution française et au-delà, (les lois dites égalitaires du 7 mars 1793 seront allègrement contournées devant les tribunaux !), scellera aussi le sort de nombreux cadets. "Condamné au célibat, le cadet travaille comme ouvrier agricole ou berger. Beaucoup n'auront d'autres choix que de devenir contrebandiers ou de s'exiler...

Sans parler des sœurs qui ne se marieront pas et feront office de servantes dans leur maison natale ou chez d'autres". En effet, seuls deux couples, celui des "maîtres vieux" et des "maîtres jeunes" peuvent vivre sous le même toit, chacun avec sa propre cuisine, selon certains manuels ... On ne mélange pas les torchons et les serviettes !