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jeudi 30 mars 2023

Un conseil municipal au sortir de la Grande Guerre

Aussurucq, cerca 1910 (Jacques Gorre)
Le 4 décembre 1920, le conseil municipal d'Aussurucq (Basses-Pyrénées) passe un marché de gré à gré avec le dénommé Inchauspé, un négociant local, pour - je cite - "fournir à la commune une plaque de marbre blanc avec les noms des poilus morts pour la France en lettres d'or, pour la somme de sept cents francs (700 F) plus transport, camionnage et pause avec une grille de protection (100 F) soit un total de huit cent francs (800 F).

La commande est signée par le Maire, Dominique Eppherre, deux conseillers municipaux, Jean Etchart et Etienne Gette et l'entrepreneur, Pierre Inchauspé. Cette plaque est bien en vue aujourd'hui sous le porche de l'église du village. Elle nous rappelle que comme partout en France, Aussurucq - 472 habitants à l'époque - a perdu douze enfants pendant la Guerre de 1914-1918.

Collection particulière © Mdep

En perspective du centenaire de l'Armistice, j'avais publié une série de billets pour évoquer ces poilus tombés pour la France. Cette fois, à la faveur de délibérations municipales numérisées dénichées sur le site des archives départementales des Pyrénées-Atlantiques, je me suis penchée sur les conseillers municipaux de l'après Grande Guerre. Comme partout en France, les élections municipales se déroulent à Aussurucq le 30 novembre 1919.

Les résultats indiquent que sur 158 électeurs inscrits, 128 ont voté, 123 se sont exprimés et une majorité absolue (62 suffrages) a élu les douze candidats inscrits. Un mois plus tard à la veille de Noël, le conseil municipal du 24 décembre 1919 élit Dominique Eppherre maire de la commune. C'est le frère aîné de mon grand-père paternel, Pierre. 

Douze hommes tout juste élus conseillers municipaux de leur commune que je mets assez vite en parallèle avec les douze morts pour la France. D'ailleurs, si l'on regarde les deux listes, la répétition des noms interpelle. Je sais déjà que Michel Eppherre (1895-1916) est le frère cadet du nouveau maire. C'est également le cas de Martin Jaragoyhen dont le frère Bernard (1888-1916) tombé lui aussi à Verdun a été décoré de la Croix de Guerre.

Poussant un peu plus loin mes recherches sur les membres de ce nouveau conseil municipal, je fais une découverte à la lecture de leurs registres matricules également en ligne sur le site des AD64. La plupart d'entre eux ont été démobilisés dans le courant de l'année 1919 : Jean Achigar, Arnaud Basterreix et Pierre Jaury, en janvier ; Dominique Eppherre en février ; Pierre Barthe, Etienne Gette et Martin Jaragoyhen en mars ; Pierre Aguer en août. 

Le plus âgé, Arnaud Etchart, avait été libéré définitivement en juillet 1917. Il faut dire qu'il avait déjà 47 ans ! Père de quatre enfants, son neveu homonyme et probable filleul figure aussi sur le Monument aux morts.    

Ce qui frappe dans l'engagement de ces nouveaux édiles c'est leur sociologie. Tous cultivateurs, dans la force de l'âge et pour certains, déjà pères de plusieurs enfants. Le nouveau maire a 35 ans et est  père de cinq enfants (il en aura onze !). Le plus jeune conseiller, Pierre Aguer, a 28 ans, le plus âgé, Jean Achigar*, 46 ans. 

On note aussi que la génération précédente était déjà investie dans la vie publique. Le père du nouveau maire, Dominique Eppherre (1851-1928) - mon arrière-grand-père - a été conseiller municipal dès les années 1900 de même que Guillaume Etchart (1854-1935), frère aîné d'Arnaud. Etienne Gette est le fils de l'ancien maire, Jean Gette (1855-1936), démissionnaire en 1913 après plusieurs mandats.   

Autre remarque mais qui n'est pas vraiment une surprise tant l'endogamie était forte dans ces villages de la Soule : à l'exception d'un seul, j'ai pu relier chacun d'entre eux à mon arbre généalogique ! Tous cousins en somme.

Enfin par curiosité, je me suis intéressée au Conseil municipal actuel, élu en mai 2020. Composé de onze membres dont trois femmes, il a pour maire un agriculteur en retraite de ma génération qui a choisi de s'entourer d'une équipe jeune. Parmi laquelle un certain Ximun Eppherre, jeune agriculteur de 26 ans et ... arrière-petit-fils du Dominique Eppherre de 1919.  

*Concernant Pierre Campané, j'hésite entre deux frères (même prénom !) dont l'un avait 38 ans et l'autre 52 ans en 1919.

mercredi 11 novembre 2020

100 mots pour une vie : Jean Etchemendy (1877-1928)


En ce jour de commémoration de l’Armistice de 1918, je viens de retrouver cette photo de mon arrière-grand-père, Jean Etchemendy (1877-1928), un des poilus de la Grande Guerre. Gazé, il est reconnu invalide à 30% pour « troubles pulmonaires ». Chose rare, la mention « décédé des suites de blessures de guerre » figure sur son acte de décès le 3 juillet 1928 à St-Jean-le-Vieux. Il avait 51 ans et était père de sept enfants.

Avant de se marier, il avait tenté sa chance en Californie où, d’après sa fiche matricule, il s’était enregistré au Consulat de San Francisco en 1905.  

mardi 21 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (V)

Le benjamin de la fratrie Ipharraguerre naît trois ans et demi après Louis. Prénommé Bertrand Philippe*, il voit le jour le 26 mai 1889 dans la maison familiale d'Estérençuby. Ses parents ont alors 46 et 43 ans et près de dix-huit ans le séparent de son aîné Pierre. Sans surprise, il est berger comme son père et ses six frères lorsqu'il est appelé sous les drapeaux. Son degré d'instruction est faible : 1, ce qui veut dire qu'il sait à peine lire. 

D'abord ajourné pour faiblesse en 1910, il est finalement rappelé en 1911 et versé dans le 1er régiment de zouaves d'Alger où il arrive le 16 octobre. Après Pierre en Argentine, Bertrand, Jean, Pierre, Michel et Louis en Amérique, le voilà posant le pied sur le sol africain. Décidément, il était écrit que les frères Ipharraguerre verraient du pays ! 

Zouave de deuxième classe, Philippe va prendre part pendant deux ans à des opérations militaires dans le Maroc occidental. C'est ce qu'on appellera la "campagne de pacification" ou, plus simplement, la Campagne du Maroc. Sous le haut commandement du Général Liautey, celle-ci visait à combattre les résistances de tribus marocaines à l'établissement d'un protectorat français (lequel aboutira finalement avec le Traité de Fès du 30 mars 1912).  

Le 18 septembre 1913, Philippe est rendu à la vie civile avec un certificat de bonne conduite. Réserviste, il reprend ses activités pastorales dans les estives d'Iramendy. Ses frères, Michel et Pierre sont rentrés d'Amérique trois ans auparavant pour épouser des filles du pays. On imagine la famille Ipharraguerre réunie autour de l'âtre de la maison Ampo, le père, la mère, les fils et les brus lisant les lettres des Amerikoanoak auxquelles sont peut-être jointes un mandat...      

Mais bientôt, les trois frères vont être happés par le tourbillon de l'Histoire et Philippe, pas plus que ses aînés, ne va échapper à l'ordre de mobilisation générale. Cette fois, il rejoint le 57e Régiment d'Infanterie, d'abord à Bayonne où il arrive le 3 août 1914 puis à Libourne. Le 57e dont la devise est "le terrible que rien n'arrête" sera de tous les combats de la Grande Guerre : Bataille de la Marne en septembre 1914, Verdun en 1916, Craonnelle en 1917, tristement célèbre pour ses 800 heures de combat, Somme puis Aisne en 1918.
Aucun fait d'armes mentionné dans le livret militaire de Philippe, pas de Croix de Guerre venue le distinguer comme ses frères Michel et Pierre. Un simple troufion qui fera toute la guerre, du Grand départ du 3 août 1914 au 3 novembre 1918 où il meurt des suites de ses blessures dans l'ambulance 6/18 à Nouvion et Catillon dans l'Aisne. Tombé pour la France à 29 ans.

Ainsi s'achève sur une note un peu triste l'histoire de ces 7 frères Ipharraguerre, sept destins de jeunes Basques de ce petit village de montagne pyrénéen où la Nive prend sa source.

Mais ceux qui s'adonnent à la généalogie savent que la page n'est pas toujours définitivement tournée. Qui sait si un jour je ne recevrai pas comme cela m'est déjà arrivé, un signe d'Argentine, d'Arizona ou d'ailleurs, qui me permettra d'en écrire la suite ?


Fin
* Pour simplifier, nous l'appellerons Philippe

Sources : AD64 (Etat civil et registres militaires) 
Campagne du Maroc : Wikipedia
Parcours du 57e RI : Chtimiste
MPLF : Mémorial GenWeb
Bibliographie : Les Poilus du Sud-Ouest "Le 18e Corps dans la Grande Guerre de Vincent Bertrand (Ed. Sud Ouest).
Illustrations : Cliquer dans la photo pour les deux premières, Delcampe.net pour la dernière.  

samedi 11 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (II)

Ces élèves de l'école d'Eagleville dans le Comté de Modoc du Nord-Est de la Californie qui posent devant l'objectif d'un photographe en 1902, ont-ils croisé les frères Ipharraguerre sans avoir la moindre idée d'où se trouvaient la France et encore moins la vallée reculée du Pays basque dont ils étaient issus ? Pierre et Michel ont-ils cru voir des ressemblances entre ces jeunes américains et leurs petits frères restés au pays ? Les sommets de la Sierra Nevada que l'on distingue à l'arrière-plan de ce cliché leur ont-ils rappelé le Pic familier de Béhorléguy ? Qui sait. 

- Michel Ipharraguerre est le quatrième de la fratrie mais c'est le premier à naître à Estérençuby dans la maison Ampo qui sera désormais le foyer de cette grande famille constituée uniquement de garçons. Né le 12 avril 1879, il a deux ans de moins que Pierre et cinq ans de moins que Bertrand. D'abord dispensé de service national pour cause de frère sous les drapeaux, il incorpore en mai 1900 le 9e régiment d'infanterie de Bayonne. 

Dès qu'il est dégagé de ses obligations militaires, il file en Amérique. Exactement comme Bertrand et Pierre, l'Armée note qu'il est en octobre 1903 à Reno (Nevada) puis en janvier 1907 à Eagleville (Californie). Il est fort probable que Pierre et Michel aient été présents au moment de la mort de leur aîné Bertrand. Cela les a peut-être poussés à tenter leur chance plus loin...

Mais comme Pierre avant lui, Michel rentre au pays trois ans plus tard pour se marier une semaine avant son frère, le 13 novembre 1910, avec une fille d'Estérençuby, Jeanne Suhit de la maison Arotçaenia. Et comme ses frères et tous les jeunes gens de sa génération, il est rattrapé par l'ordre de mobilisation générale du 2 août 1914.

De même que son aîné et bientôt son cadet, il se verra décerner la Croix de Guerre. Une citation résume son héroïsme : "Brave soldat (qui) a fait preuve de dévouement et d'un grand mépris du danger au cours des corvées très pénibles de ravitaillement en ligne pendant la période du 19 au 26 avril 1917".  Michel est renvoyé dans ses foyers le 7 février 1919. Il retrouve à Estérençuby sa femme et ses trois enfants, juste à temps pour fêter son quarantième anniversaire.

- Trois ans presque jour pour jour après Michel, la famille accueille un autre Pierre. Né le 2 avril 1882, l'appelait-on Pette ou Peio pour le différencier de ses frères ? Ni l'état civil ni son livret militaire ne nous renseignent là-dessus. En revanche, ce qui le distingue de ses aînés, c'est qu'il ne sera pas berger en Argentine ou en Californie puisqu'on le retrouve facteur à Paris en janvier 1909 puis à Bayonne en juin 1910.

Réserviste dans les PTT, il rejoint le front en mai 1916 en étant affecté au 2e Régiment du Génie de Montpellier. Le 15 août 1918, il reçoit un éclat d'obus à la cuisse. Comme celle de Michel, sa fiche matricule comporte une citation : "Sapeur courageux et dévoué, blessé au cours de la période difficile du 4 au 15 août 1918". Après Pierre et Michel, il reçoit la Croix de Guerre.

La Grande Guerre lui laissera des séquelles. Revenu à Bayonne début 1919, il souffre d'hydarthrose du genou et de troubles digestifs, ce qui lui donne droit à une pension de 20% en 1920 puis de 75% (!)  pour entérite chronique en 1925, année où il décède le 17 juin à Bayonne à l'âge de 43 ans. J'ignore s'il a eu le temps de fonder une famille...

A suivre...

SourcesGen&OAD64 (Etat civil et registres militaires)
Illustration : Cliquer dan la photo 

Billet précédent : https://bit.ly/2ZTZk46


mardi 7 avril 2020

Monographie d'une commune basque : Aussurucq (V)

 
Au centre du village d'Aussurucq trône l'église. Dédiée à Saint-Martin, elle est mentionnée dès 1189 comme chapellerie de la commanderie d'Ordiarp, surplombant le château de Ruthie, elle en occupait le sommet de l'enceinte. Pour y accéder, on emprunte un escalier imposant qui la fait dominer tout le village. Elle est de style souletin avec son clocher parfois dit trinitaire mais qui en fait est un clocher calvaire représentant Jésus et ses deux compagnons d'infortune sur le Golgotha.

Contrairement aux autres églises de la Soule elle n'a jamais été murée. Sur son flanc droit, on distingue encore la "porte des agots" par laquelle ces "bannis" qu'ailleurs on nomme "cagots" avaient accès à l'église. 
Comme c'est souvent le cas en Pays basque, l'église est ceinte par le cimetière. Pas de monument aux morts à Aussurucq, c'est sous le porche qu'une plaque égrène les noms des disparus des dernières guerres. J'avais consacré à mon grand-oncle Michel Eppherre (1885-1916) et à ses deux cousins germains deux billets à retrouver ici.

L'intérieur de l'église a un petit côté baroque qui peut surprendre dans un village de quelque 250 âmes mais le Pays basque a toujours été très croyant et pratiquant et le reste encore même si, comme partout ailleurs, les curés se font rares et que ce sont désormais les laïcs qui assurent un service aux côtés de prêtres obligés de se partager entre plusieurs paroisses.

Depuis quelques années se tient en juillet dans un cadre qui s'y prête parfaitement un événement musical, "Aussurucq Lyrique" où de belles voix résonnent entre ces murs qui en ont déjà entendues d'autres. Les Basques, je l'ai déjà dit, ont des voix puissantes - surtout les hommes - un sens inné de l'harmonie vocale et leurs polyphonies n'ont rien à envier à celles des Corses ! 

J'ai un souvenir très vif à ce sujet : lorsque petite fille âgée de neuf ou dix ans, j'assistais à la messe assise en bas de l'église de Mauléon avec ma mère et ma grand-mère, je reconnaissais non sans une certaine fierté la voix de ténor de mon grand-père s'élevant de la galerie où la tradition voulait que les hommes se tiennent.  

Mais il est temps d'arrêter là le "dépliant touristique" pour en arriver à la généalogie. Sauf erreur de ma part, un seul de mes ancêtres a été desservant de cette église, Jean ou Jean-Baptiste Recalt, né vers 1737 à Sunharette, fils de Bernard Recalt, mon sosa 268, laboureur et maître de la maison du même nom à Sunharette. 

Jean Recalt fut prêtre à Aussurucq avant de l'être dans les paroisses de Lacarry, Charritte et Arhan. Il a d'ailleurs terminé sa vie à Lacarry le 21 juin 1808, où il a été inhumé dans le cimetière du village et a laissé à la postérité un testament chez M° Detchandy, notaire à Abense-de-Haut, qui m'a permis de bien avancer dans mes recherches. Grâces lui soient rendues ! Jean Recalt joue aussi un rôle dans un de mes premiers billets intitulé "Les deux orphelines et l'église d'Aussurucq". 

Il reste encore beaucoup à dire sur cette église et le rôle qu'a joué la religion dans ce village mais comme ceux de mes lecteurs qui me connaissent bien le savent, je n'aime pas les billets trop longs...

A suivre...
Illustrations : 
Première photo : carte postale ancienne Delcampe
Photos suivantes : collection personnelle
Sources :
Sur l'histoire de l'église Aussurucq : descriptif dans l"église
Liens avec les épisodes précédents http://bit.ly/2UlkR3b,  http://bit.ly/3dnyzey  https://bit.ly/33LITse, https://bit.ly/2wU86EX

vendredi 28 février 2020

100 mots pour une vie : Marie Eppherre-Irigoyen (1888-1918)

Marie voit le jour le 28 janvier 1888 à Aussurucq dans la maison Etxeberria. Elle est la quatrième enfant de Dominique Eppherre et Elisabeth Irigoyen*. Le 18 avril 1912, elle épouse Joseph Hoquigaray, un cultivateur d'Oyherq, de dix ans son aîné. Le couple aura bientôt deux fils, Raymond, en juillet 1913 et Michel en février 1917. Alors que la famille est déjà éprouvée par la mort en février 1916 à Verdun de Michel, son frère cadet, et que ses frères aînés Dominique et Jean-Baptiste ne sont pas encore rentrés de la guerre, Marie s'éteint en novembre 1918 de la grippe espagnole.    
 * Mes arrière-grands-parents

Avec un bilan final compris entre 50 et 100 millions de morts, l’épidémie de grippe espagnole survenue entre 1918 et 1920 coûta la vie à trois à six fois plus de personnes que la Première Guerre mondiale. (RetroNews). 

Voilà ce qu'on peut lire dans "Autour du clocher", le bulletin paroissial de Mauléon, en décembre 1918 : « Tel est le triste bilan des ravages exercés par la grippe dans la paroisse depuis un mois : 24 décès (Juana Asnarez Mendiara, 82 ans, André Méheillalt, 71 ans, Jean-Pierre Berdalle, 32 ans, Pierre Aguer, 66 ans, Grégoria Nadal, Henriette Carricart 21 ans, Marie-Louise Damalenaere, 48 ans, Marie-Anna Bessouat 63 ans…) dont quatre mères de famille (Tomasa Jasa épouse Martin, 28 ans, avec son fils, Marie Epherre Irigoyen épouse Hoquigaray, 30 ans, Catherine Peillen épouse Paillet, 34 ans, après Anne-Marie Paillet, Sylvie-Marie Collet épouse Braconnier et Marianne Harichoury épouse Borde, 32 ans) ; et aussi dix enfants de 6 mois à 7 ans : Albert Martin, 2 ans, Félicien Daviton, 7 ans, Marie Castejon, 6 ans, Pierre-Michel Fourcade, 6 ans, Jean Anso, 5 ans, Joseph Vincente, 6 mois, Jean-Pierre Hoguy, un an, Jean Langlois, 5 ans, Jules Cuyen, 2 ans et Marguerite Indurain, 3 ans)! Nous recommandons aux personnes atteintes la plus rigoureuse prudence hygiénique. » (Ikerzaleak).

Illustration : Active History, Canada

dimanche 4 mars 2018

Destins brisés (III)

A quel moment Jean-Baptiste apprend-t-il la disparition de son frère Dominique ? Sûrement assez vite vu qu'ils sont du même régiment. Est-ce lui qui écrit à ses pauvres parents pour leur annoncer la nouvelle ? Ou préfère-t-il attendre de savoir si son cadet a été fait prisonnier ? Le temps passe et voilà déjà Noël 14. La veille, il a été nommé sergent.

1915. Une période de calme relatif commence. On en profite pour multiplier les tranchées et les boyaux afin de créer des abris profonds et bien aménagés pour mettre les hommes à l'abri des obus et des intempéries. Le 28 juin est une journée mémorable, le Président de la République se déplace en personne à Rosnay pour accrocher la Croix de guerre au drapeau du régiment. 

1916. Nouvelle année. Mi-janvier, Jean-Baptiste suit les cours de chef de section et est promu sous-lieutenant de réserve pour la durée de la guerre. Dans la nuit du 4 au 5 avril, il se distingue, comme indiqué dans l'ordre du régiment n°118 du 10 avril 1916 : "Le sous-lieutenant Brisé s'est particulièrement signalé par le courage et le sang froid dans une lutte à la grenade et au fusil entre une patrouille française et une patrouille allemande." 

Moins de deux semaines après ce moment de bravoure, sa mère Engrâce meurt à Saint-Just-Ibarre. Son "Battitta" en est-il prévenu ? Bénéficie-t-il d'une permission pour rentrer au pays ? C'est une chose que les livrets militaires ne disent pas...    

L'instruction se poursuit activement au sein du 18e. Tous se préparent pour Verdun dont on entend au loin l'écho de la canonnade. Jean-Baptiste sait-il que son cousin Michel, engagé dans le 60e, est tombé en février au Bois de Caures ? Le 23 mai, le régiment est conduit sous une chaleur accablante à Dugny par automobiles.

Début juin, nouvelle citation dans l'ordre général n°75 de la 36e Division d'infanterie à laquelle le 18° RI appartient : "Très belle attitude au feu. Blessé une première fois, a conservé le commandement de sa section, l'a entraînée vigoureusement en avant malgré la violence du bombardement. A été blessé une seconde fois".

Ce sera la dernière. En mai 1917, le plateau de Craonne, jugé inexpugnable, est enlevé à l'ennemi par le 18e. Malgré cette victoire, c'est à Craonne que le sous-lieutenant Jean-Baptiste Brisé, instituteur, rugbyman, décède le 4 juin 1917 des suites de ses blessures. On lui décerne la Croix de guerre. Il avait 27 ans et la vie devant soi. 

Illustration : Carte postale non datée, Delcampe.net et Scuf pour la photo de JP Brisé
Sources : AD64Registres militaires du 64, Historique du 18) Régiment d'Infanterie (BDIC, domaine public, transcription P. Chagnoux, 2016)

mercredi 28 février 2018

Destins brisés (II)

Dominique Brisé sort de l'Ecole Normale de Pau le 30 septembre 1911. Le rapport de la sous-commission d'aptitude qui l'inspecte alors qu'il est instituteur-stagiaire à Suhescun, est élogieux. Il a en charge une classe de trois niveaux de 30 élèves, dont 29 assidus, qui ont de "bonnes habitudes". Et leur maître fait des "efforts très sérieux pour les amener à parler français."  

Le rapport d'inspection le juge "sérieux et travailleur, précise "qu'il réussira mieux à la campagne qu'à la ville" et rend un avis favorable pour l'obtention à la prochaine rentrée d'un poste à Bunus, près de Saint-Just. Là même où sa mère Engrâce Irigoyen, a terminé sa carrière.

Cependant, tout comme son aîné, Dominique est rapidement appelé sous les drapeaux et le 1er octobre 1912, il arrive à son tour à la Caserne Bernadotte de Pau pour rejoindre le 18e RI. En février suivant, passé caporal, il suit les cours à l'Ecole Normale de gymnastique et d'escrime de Joinville dont il obtient le diplôme dans l'année 1913. 

Si l'on se fie à leurs registres militaires, les deux frères semblent jumeaux : 1,60 m, cheveux châtains, yeux gris chez Jean-Baptiste et "châtains clairs" chez son cadet. Le front de l'aîné est peut-être plus dégarni ou bien doit-on sa description à un fonctionnaire plus zélé... 

Le 6 août 1914, trois trains quittent Pau pour le front avec à leur bord, trois bataillons, composé chacun d'un état-major et de quatre compagnies, au total 3326 hommes et gradés sous les ordres du colonel Gloxin. Les frères Brisé, âgés de vingt-cinq et vingt-trois ans sont parmi eux. Les 7 et 8 août, le train fait des étapes à Coutras, Orléans et Troyes, où une grosse avarie dans le convoi précédent bloque les voies.

Le baptême du feu a lieu du 21 au 23 août à Charleroi, en Belgique. Le 18e RI se retrouve ensuite aux premières lignes de ce que les historiens appelleront "la première bataille de la Marne". Le 16 septembre, c'est le combat de la Ville-aux-Bois. Au milieu de la nuit, sept compagnies du 18e RI sont rassemblées au nord de Pontavert. 

Au petit matin, quand elles atteignent les premières maisons de la Ville-aux-Bois, l'artillerie allemande arrose le village et le bois, infligeant des pertes "sensibles" au 18e. Ce jour-là, le Caporal Dominique Brisé disparaît au combat. Du 16 au 18 septembre, le régiment va perdre 1477 hommes.

D'après sa fiche matricule, Dominique Brisé est "tué à l'ennemi" avant le 30 octobre 1914, et "inhumé par les soins des autorités allemandes." 

Jean-Baptiste poursuit sa vie et sa guerre sans lui. Mais jusqu'à quand ?     
[A suivre...]

Illustration : Caserne Bernadotte de Pau et Monument "A la gloire du 18e Régiment d'Infanterie", carte postale non datée, Delcampe.net.
Sources : AD64Registres militaires du 64, Dossiers d'enseignement de Dominique Irigoyen consultable aux Archives départementales de Pau (64). Mémoire de l'Amicale Royale Auvergne "Sur les lieux de combats du 18e RI de 1914 à 1918".

Destins brisés (I)

Il m'était impossible après avoir pris la plume au nom de mon arrière-grand-tante Engrâce Irigoyen de ne pas évoquer ses deux fils Jean-Baptiste et Dominique Brisé, instituteurs comme elle, avant d'être broyés comme tant d'autres par la Grande Guerre...

Quelques mois après la mort de sa petite fille Marie-Jeanne, l'institutrice de l'école des filles de Saint-Just-Ibarre attend un autre enfant. Le 7 août 1889, naît dans la Maison Irigoin, un garçon prénommé Jean-Baptiste que l'on surnommera, j'imagine, Battitta. Deux ans après, jour pour jour, le 7 août 1891, il est suivi d'un frère auquel on donne le prénom de son grand-père maternel, Dominique.

Je suppose que l'enfance des deux frères se passe tranquillement dans le petit village de Saint-Just, entre l'école, l'atelier de leur père, menuisier-charpentier, sans oublier l'église où leur instituteur les conduit pour les leçons de catéchisme. Peut-être ont-ils parfois le droit d'entrer dans le café que tient leur tante paternelle aidée de leur père, mais rien n'est moins sûr...

Comment vivent-ils la mise à l'écart de leur mère en 1899, contrainte de quitter Saint-Just pour Ibarrolle ? Ont-ils la "boule au ventre" au moment de quitter le cocon familial pour l'école normale de Pau-Lescar, que Jean-Baptiste rejoint le 1er octobre 1906 et Dominique à la rentrée 1908 ? Ils en ressortent l'un et l'autre au bout de trois ans munis de leurs brevets élémentaire et supérieur ainsi que d'un certificat d'aptitude à enseigner.

Jean-Baptiste est évalué pendant l'année scolaire 1909/10 alors qu'il est en poste à l'école publique de garçons de Tardets en tant qu'instituteur adjoint. L'appréciation est très laconique... De toute façon, très vite, il est mis en congés pour cause de service militaire qu'il effectuera au 18e Régiment d'Infanterie de Pau puis à Paris. Il est renvoyé dans ses foyers en septembre 1912 avec un certificat de bonne conduite.

Une passion anime désormais "Battitta", le rugby à XV, qu'il pratique d'abord avec le Sport athlétique mauléonais puis au Scuf* pendant son service. C'est sous ce maillot qu'il dispute le 20 avril 1913 la finale du championnat de France** contre l'Aviron Bayonnais. Les Basques l'emportent 38 à 10 contre les Parisiens, ce qui dût être pour lui une petite consolation...  

A-t-il vraiment la vocation d'instituteur ? En dehors de ses exploits sportifs, on le retrouve à la fin de l'année 1913 pendant au moins quatre mois à Cañete au Chili où il rend visite aux deux frères de sa mère, Grégoire et Michel Irigoyen. Dans son dossier d'instituteur est également conservée une demande acceptée de congés pour convenance personnelle du 1er novembre 1913 au 30 septembre 1914. A-t-il songé à émigrer à son tour ? Ou à poursuivre sa carrière rugbystique ?

Le 1er août 1914, l'ordre de Mobilisation Générale le rattrape et le 2, il rejoint son régiment à Pau...
[A suivre]
* Sporting Club Universitaire de France
** Actuel Top 14

Illustration : Ecole normale d'instituteurs de Pau-Lescar, carte postale non datée, archives départementales des Pyrénées-Atlantiques.
Sources : AD64, Registres militaires du 64, Dossiers d'enseignement de Jean-Baptiste et Dominique Irigoyen consultables aux Archives départementales de Pau (64). Wikipedia et Scuf (pour la partie rugby)

samedi 24 février 2018

Les dernières prières d'Engrâce

Saint-Just-Ibarre, lundi 20 mars 1916
Ma très chère Elisabeth,

C'est avec un immense chagrin que j'ai appris que ton fils Michel était porté disparu à Verdun. Avec trois fils à la guerre, je sais qu'on ne vit plus, on survit dans l'attente de la mauvaise nouvelle qui viendra nous crucifier. Nous-mêmes, comme tu le sais, avons perdu notre Dominique dès septembre 1914 et je me bats depuis pour qu'on nous rende son corps mais j'ai bien peur de ne plus être là pour l'accueillir.

Ma santé décline de jour en jour, je me sens tout le temps oppressée, j'ai parfois l'impression d'étouffer, et mes pauvres jambes sont tellement percluses d'oedèmes qu'elles ne me portent plus. Je suis retournée consulter à Mauléon ce cher Docteur Casamayor de Planta mais il ne s'est pas montré très optimiste. Je ne me m'accroche que dans l'espoir d'une prochaine permission de Battitta*.

Quelle horreur cette guerre ! Je n'ose plus sortir de peur de croiser une de mes anciennes élèves endeuillée par la perte d'un frère ou d'un fiancé. J'évite notre maire même si je le plains sincèrement de la cruelle mission qui est la sienne.  Je ne vais même plus à la messe, je reste recluse dans ma chambre à prier. 

Je prie, ma chère soeur, pour que ton Michel soit prisonnier quelque part et qu'il te revienne. Je prie pour que le corps de mon fils repose enfin dans la terre qui l'a vu naître. Je prie pour que les trois fils de notre frère Joseph qui a déjà connu la douleur d'en perdre un, soient épargnés. Je prie pour que tous mes neveux et mon fils bien-aimés rentrent sains et saufs. Je prie pour tous ces jeunes de nos villages si loin de leur pays, et pour que cessent les larmes de leurs mères...

S'il faut donner ma vie en échange de la leur, alors je la donne volontiers.

Avec toute mon affection.

Ta soeur dévouée,
Engrâce Irigoyen   

Epilogue : Engrâce Brisé meurt le 17 avril suivant dans sa cinquante-septième année, probablement des suites de son hyposystolie diagnostiquée en 1911. Elisabeth l'apprendra (peut-être) dans une lettre de son beau-frère Martin, ce que j'ai raconté dans mon premier rendez-vous ancestral
Martin Brisé se remarie le 23 décembre 1918 à Saint-Just-Ibarre avec une certaine Charlotte Haramburu de 40 ans sa cadette. J'ignore s'ils ont eu des enfants. 
Le sous-lieutenant Jean-Baptiste Brisé* est "tué à l'ennemi" à Craonne le 4 juin 1917. De cette génération, neuf cousins germains ont combattu pendant la première guerre mondiale, trois sont décédés, deux ont été grièvement blessés, quatre sont revenus indemnes mais sûrement marqués à vie... 

Illustration : Henri Lerolle, La Lettre, 1890.
Sources : AD64 ; Livrets militaires du 64 ; Dossier d'enseignement d'Engrâce Brisé née Irigoyen (1859-1916) consultable aux Archives départementales de Pau (64) ; sur l'hyposystolie : Dictionnaire médical ; Biographie du Dr Auguste Casamayor Dufaur de Planta (1872-1921) : Réseau des Médiathèques de l'agglomération de Pau

samedi 16 décembre 2017

Le retour du Poilu

Nous sommes à l'été de mes 20 ans et je passe quelques jours de vacances avec ma cousine Jeanne chez ses parents à Aussurucq. Ce village des Arbailles, dans la province basque de la Soule, compte moins de trois-cents âmes, essentiellement des agriculteurs comme Jean-Pierre et Marie, les parents de Jeanne. Ce sont eux qui occupent désormais la maison familiale d'Etcheberria.

C'est l'heure méridienne. Allongée pour la sieste dans mon petit lit en bois surmonté d'un énorme crucifix, je laisse mes pensées vagabonder. Où sont passées ma cousine et son amie anglaise Tricia ? Jean-Pierre est-il reparti aux champs faner ?  Non, il fait trop chaud. Irons-nous demain au cayolar voir Battitta ? La maison est silencieuse, seule Marie s'active en bas. En bonne etcheko andere, elle doit déjà s'atteler au dîner de ce soir.

Soudain, une cavalcade dans l'escalier. Et des cris d'enfants. Bizarre, il n'y a plus - ou pas encore - d'enfants dans cette maison depuis des années.
- "Osaba Battitta est de retour ! Il est de retour !" hurle un gamin d'une dizaine d'années. Une jeune femme portant dans ses bras un bébé de quelques mois, attirée comme moi par tout ce raffut, sort d'une chambre voisine à la mienne.

Nous nous penchons en même temps par-dessus la rambarde pour apercevoir sur le pas de la porte un soldat trapu encore vêtu de sa vareuse malgré la chaleur*, de taille moyenne, visiblement harassé. Il me semble le reconnaître. C'est Jean-Baptiste, un frère aîné de mon grand-père Pierre, le seul en dehors de lui que j'aie connu dans cette fratrie de onze enfants.

Mais voilà qu'attirée par cette animation inattendue, sort à son tour une petite femme aux cheveux grisonnants qui se jette dans les bras du soldat et le serre, le serre à lui faire perdre haleine contre son cœur de mère. Elisabeth, mon arrière-grand-mère, murmure à l'oreille de ce grand fils qui lui est revenu un chapelet de mots doux en basque. Je ne comprends pas ce qu'ils se disent mais l'émotion me submerge.

Tous sont à présent assis autour de la grande table de la salle à manger et entourent le héros. Je me cale dans l'encoignure de la porte, et j'écoute. Je comprends qu'il est question de Michel, le petit frère disparu à Verdun. A la question de son ama, Battitta confirme, oui, il est au courant... Mieux, il se battait lui-même pas très loin au même moment...

"On pense que Michel est tombé le 21 février 1916 au Bois des Caures. Dès 6h30 ce matin-là, les Boches ont déclenché un déluge de feu d'une violence inouïe. Une pluie d'obus s'est abattue sur les positions des première et deuxième lignes tenues par les 1200 vaillants chasseurs du Colonel Driant, mais aussi sur les routes, les carrefours et les cantonnements environnants.

J'ignore où se trouvait Michel mais nous qui étions à l'arrière, nous avons senti la terre trembler ! Plus tard, on nous a dit que pendant ces deux jours meurtriers des 21 et 22 février, plus de 70 000 obus s'étaient abattus sur cette bande de terre d'à peine 1,3 km sur 800 mètres ! Le Colonel Briand et 90% de ses hommes y auraient perdu la vie même si leur résistance a contribué à repousser l'avance allemande sur Verdun... Dia, Michel n'avait aucune chance d'en réchapper."

La voix du soldat s'éteint, la mère et sa belle-fille écrasent une larme, les enfants semblent pétrifiés. Le cœur gros, je retourne doucement dans ma chambre...

* Jean-Baptiste Eppherre (1889-1973) était, pendant la guerre de 14-18 2e canonnier-conducteur au sein du 24° régiment d'artillerie. D'après sa fiche matricule, il est renvoyé dans ses foyers, chez ses parents à Aussurucq, en juillet 1919. Il avait alors 30 ans. Plus tard, il fera une carrière dans les PTT. 

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

Lexique :
Cayolar : Cabane du berger utilisée pendant l'estive
Etcheko andere : Maîtresse de maison
Osaba Battitta : Oncle Jean-Baptiste 
Ama : Mère, maman
Dia : Exclamation qui ponctue souvent les débuts de phrase en basque

Illustration : Chtimiste.com "Quatre poilus du 60° RI", celui auquel appartenait Michel Eppherre (1895-1916)
Sources : Mémoire des Hommes, Livrets militaires des Pyrénées-Atlantiques, AD64, Chtimiste.com, Wikipedia, Geneanet : Nos ancêtres dans la Grande Guerre

Pour en savoir plus sur la Bataille du Bois des Caures : Chemins de Mémoire 


mardi 28 novembre 2017

Deux frères dans la Grande Guerre

Récemment, j'ai rejoint l'équipe de bénévoles qui se relaient pour annoter les fiches des soldats "Morts pour la France" au cours de la Première Guerre mondiale. Je me suis décidée quand j'ai constaté que le département des Pyrénées Atlantiques (ex Basses Pyrénées), berceau de ma famille paternelle, était à la traîne de ce vaste chantier d'indexation.

A partir du 11 novembre, soit un an avant la date butoir du Centenaire de l'Armistice, j'ai donc repris les Livres d'or des communes du département en commençant par la Soule, et entrepris de compléter à mon tour les fiches individuelles contenues dans la base Mémoire des Hommes.

La première chose qui m'a frappée c'est le nombre de frères tombés au champ d'honneur. Sur les Monuments aux Morts, les mêmes noms reviennent souvent deux fois. On parle là de villages qui au moment de la guerre ne comptaient guère plus de 200 habitants et en moyenne, ont perdu une douzaine d'hommes sur une période de moins de cinq ans. 

Mon cœur se serre en pensant à ces pauvres parents à qui l'on annonçait par deux fois la perte d'un enfant. Pour leur rendre hommage, je citerai les noms des frères Inchauspé à Camou-Cihigue, Etchetto à Menditte, Mendicouague à Sauguis-Saint-Etienne, Nicigar et Palacios à Tardets, Sagaspé à Trois-Villes, et je pourrais continuer longtemps la litanie ...

Parce qu'ils descendent d'un de mes lointains aïeux, Grégoire Appeceix, j'ai choisi d'évoquer le destin de deux frères originaires d'Ossas-Suhare, Jean-Baptiste et Arnaud Oxoaix. Le premier naît le 5 juillet 1881 dans la maison maternelle Elissagaray. Plus tard, on le retrouve à Saint-Pierre-et-Miquelon, souvent surnommée la "Huitième province basque" tant elle attira de jeunes du pays tentés par l'aventure de la pêche à la morue.

Soldat de la classe 1901, sa conscription est d'abord ajournée en 1902 puis en 1903, il est exempté pour cause de faiblesse de poitrine (est-ce congénital ou suite à la dure vie à bord des chalutiers ?). Quand la guerre éclate, Jean-Baptiste a 33 ans et il est affecté à la 10e section d'Infirmiers militaires de Rennes. C'est donc comme soignant qu'il participera à l'effort de guerre. Hélas, le 16 octobre 1918, il décède de la grippe à l'Hôpital auxiliaire 991 de Saint-Servan (Saint-Malo, Ille-et-Vilaine). 

Son petit frère Arnaud voit le jour le 1er août 1884 à Ossas-Suhare, toujours dans la maison familiale. A 20 ans, il s'engage à Bayonne pour une période de trois ans et rejoint le 49e Régiment d'Infanterie. En juin 1905, il passe caporal puis sergent en octobre 1906. Rendu à la vie civile en juillet 1907, il poursuit des études d'architecte et travaille pour un cabinet d'Orthez (Basses-Pyrénées).

Au moment de la mobilisation générale, il est versé au 218e régiment d'infanterie, régiment de réserve où il a le grade d'adjudant, et prend part à la fameuse bataille du Chemin des Dames. Sa guerre sera de courte durée, commencée le 5 août 1914, elle s'achève le 24 septembre à Beaurieux (Aisne) où Arnaud meurt des suites de ses blessures. Il venait d'avoir 30 ans.

Illustration : Carte postale Delcampe, la 12e section d'infirmiers militaires
Sources : Mémoire des Hommes, Registres militaires du 64, AD 64, Généalogie64, Chtimiste.com

En savoir plus sur les Basques à Saint-Pierre-et-Miquelon : ici et sur la vie des Infirmiers militaires : .

vendredi 13 novembre 2015

Vie et mort de trois poilus nés dans le même village (II)

Le frère aîné de Michel Eppherre, Dominique (1884-1944) avait épousé à Aussurucq le 24 novembre 1909 Jeanne Etchart (1886-1960) de la Maison Larraquia. Ensemble, ils auront onze enfants mais au moment de la mobilisation, ils en ont déjà trois, dont le futur chanoine Guillaume Eppherre (1911-1974) et Mayanna (1913-2014), une centenaire en devenir que j'évoquerai peut-être un jour...  

Jeanne aussi a perdu un petit frère au cours de la Grande Guerre dont le nom figure sur la plaque commémorative de l'église, Né le 20 janvier 1894, Arnaud Etchart est le fils de Guillaume Etchart et d'Engrâce Hidondo du même village d'Aussurucq. Son livret militaire nous apprend qu'il est d'abord réformé le 2 juillet 1914 pour "faiblesse". Mais la guerre éclate et il est finalement incorporé en même temps que Michel Eppherre, frère de son beau-frère donc, le 16 septembre suivant.

Il passe par le 170e régiment d'infanterie en tant que soldat de 2e classe, devient 1ère classe le 27 septembre 1915 et rejoint le 21 janvier 1916 le 42e RI* dit "L'as de carreau". Toujours d'après le site Chtimiste, les casernements de ce régiment sont alors regroupés à Belfort et à Giromagny (Territoire de Belfort). En août 1916, Arnaud Etchart prend part avec ses camarades à la bataille de la Somme. Il décède des suites de ses blessures le 24 août 1916 à 17 heures au Bois de Hem. Il avait 22 ans. 

Le troisième disparu que j'évoquerai est le cousin germain du précédent. Arnaud Hidondo est en effet le fils de Pierre, frère d'Engrâce, la mère de Jeanne et Arnaud Etchart. Il naît le 17 août 1882, dans la maison Althabegoïty, celle de sa mère, Marie Inchauspé. Lui aussi est d'abord dispensé car soutien de famille en tant que fils de veuve et aîné de sept enfants. En 1906, il est réserviste.

Au moment de la déclaration de la guerre, il a 28 ans. Affecté au 58e régiment d'artillerie de Bordeaux, son régiment de rattachement, il servira pendant la "campagne contre l'Allemagne" du 13 août 1914 au 13 juin 1918, date à laquelle, il meurt dans l'ambulance qui le transporte, des suites des ses blessures de guerre. Le lieu de son décès n'est pas mentionné.

Arnaud est le dernier nom de la plaque des morts de 14-18 d'Aussurucq, il allait avoir 36 ans.

* En avril 1917, le 42e RI perdra plus d'un millier d'hommes en une seule semaine au Chemin des Dames.

jeudi 12 novembre 2015

Vie et mort de trois poilus nés dans le même village (I)

Il n'aura échappé à personne que nous étions hier le 11 novembre. Sur le site Mémoire des Hommes, un gros travail d'indexation collaboratif a été entrepris pour annoter les 1,4 millions de fiches que compte actuellement la base des Morts pour la France de la Première Guerre Mondiale. J'ai voulu apporter ma petite pierre à l'édifice en me penchant sur les morts du village souletin d'Aussurucq, au Pays basque.

Je me suis souvenue d'une photo que j'avais prise sous le porche de l'église. Douze noms figurent sur une plaque en marbre. Dans la précipitation ou sous le coup de l'émotion, le graveur s'est trompé dans les dates, il a indiqué 1914-1916 alors que trois poilus du village sont bien tombés en 1917 et un en 1918. Comme quoi, l'expression "gravé dans le marbre" est parfois sujette à caution... 

Après m'être penchée sur le destin de chacun de ces disparus en consultant leurs livrets militaires, j'ai choisi de vous parler de trois d’entre eux. Commençons par celui qui m'est le plus proche puisqu'il s'agit du frère de mon grand-père paternel. Michel Eppherre naît le 14 février 1895 dans la Maison Etcheberria, d'Elisabeth Irigoyen (1858-1942) et de Dominique Eppherre (1851-1928). 

Il est le huitième d'une fratrie de onze enfants dont mon grand-père Pierre né le 30 septembre 1901 est le dernier. Entre eux, un frère et une sœur sont morts en bas âge, ce qui me laisse penser que ce Michel de 6 ans 1/2 son aîné a dû beaucoup compter pour le petit Pierre. A la suite de la mobilisation générale d'août, Michel est incorporé le 16 septembre 1914 comme soldat de 2e classe. Il n'a pas 20 ans. 

Le 5 octobre 1915, il rejoint le 60e Régiment d'infanterie dit "l'as de cœur" regroupé à Besançon. [Sources : Chtimiste.com]. De février à mars 1916, le 60e RI livre la terrible bataille de Verdun. C'est là que le 22 février, Michel disparaît au lieu-dit le Bois des Caures. Il faudra attendre le 4 mai 1921 pour que son décès soit acté et reporté sur le registre d'état civil d'Aussurucq. 

Dans leur sécheresse ces dates encadrent le triste destin de ce jeune homme de 21 ans, à la silhouette trapue comme souvent chez les Basques : 1,64 m, des yeux gris (ceux de mon grand-père étaient bleus) et des cheveux noirs. Un jeune agriculteur qui ne connaîtra jamais la joie d'être père et laissera dans la peine ses parents, ses trois sœurs et trois frères aînés, et bien sûr un petit frère inconsolable ...

[A suivre]

lundi 30 mars 2015

Le destin contrarié de François E., poilu de 1914

Lorsqu'il débarque le 19 juin 1914 à Ellis Island, François Eppherre, 37 ans, marié, natif de Géronce (Basses-Pyrénées), est sans doute loin de s'imaginer que son voyage en Amérique va tourner court. Il a embarqué au Havre à bord du paquebot France, deuxième du nom (sorti en 1912 des chantiers de Penhoët), une semaine auparavant après avoir traversé toute la France.

Une fois accomplies les formalités d'entrée aux États-Unis, il est certainement pressé de mettre cap sur l'Ouest où il se placera comme berger. En tout cas, à Ellis Island, il donne comme contact celui de Jean Mendiondo, un "pays" qui l'a précédé en 1905, lui aussi parti retrouver son frère Pierre à Reno (Nevada). Il faut compter alors cinq jours de train pour rallier New York à la côte Ouest.

L'émigration aux Amériques est un phénomène qui touche de nombreux cadets au Pays basque à partir du 19e siècle (François est le sixième d'une fratrie de dix). De 1832 à 1891, sur les 112 000 habitants que compte le Pays basque français, 80 000 ont émigré, soit une moyenne de 1330 par an ! On sait que François est marié, et peut-être père de famille, mais il a dû faire ce choix justement pour faire vivre les siens...

C'est là que son livret militaire nous réserve une surprise. Rappelé suite à la mobilisation générale du 2 août 1914, il rejoint son régiment à Pau le ... 4 août, soit à peine deux mois après être parti ! Ce soldat que l'armée décrit petit (1,57 m), yeux et cheveux châtain foncé et nez retroussé, est de la classe 1897. Ce qui veut dire qu'il a déjà effectué trois ans de service militaire (son livret précise qu'il est réserviste depuis le 1er novembre 1901). Oui mais voilà, la patrie est en danger et notre François revient au pays dare-dare pour la servir.

La campagne contre l'Allemagne (bel euphémisme !) durera pour lui du 4 août 1914 au 6 février 1919. Le 7, il est démobilisé définitivement et se retire à Géronce, son village natal. Il décèdera le 1er mars 1960 à Billère, près de Pau, à l'âge de 83 ans.

Il aura passé près de huit ans sous les drapeaux, et vu son rêve américain s'envoler ...