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vendredi 2 février 2018

Mariages croisés

Pour comprendre le droit coutumier basque, il faut se souvenir que la plupart des fermes comprenaient des domaines de moins d'un hectare*. Il était donc vital de sauvegarder à tout prix le patrimoine familial qui devait être indivisible et transmis à un héritier unique. Bien que le droit d'aînesse ait longtemps prévalu, que le premier né soit un garçon ou une fille d'ailleurs, le maître ou la maîtresse de maison pouvait "faire un aîné" en choisissant lequel de ses enfants était le plus apte à lui succéder. 

Après la Révolution, les lois successorales dites égalitaires du 7 mars 1794** tenteront de casser cette coutume mais elles seront allègrement contournées devant les tribunaux ! Dans un précédent billet, j'évoquais le rôle des maisons dans lesquelles cohabitaient "maîtres vieux" et "maîtres jeunes" et d'où les cadets étaient exclus s'ils ne voulaient pas y rester en tant que domestiques toute leur vie...

Autre conséquence de cet "arrangement" ancestral, l'aîné d'une maison ne pouvait pas épouser sa voisine si elle-même était l'aînée ou l'héritière de sa propre maison. On assistait souvent à l'intérieur d'un même village ou dans deux villages voisins à des mariages croisés : un frère aîné épousait une cadette ce qui permettait au frère ou à la soeur qui le suivait de convoler avec l'aîné(e) de celle-ci.

Récemment, je suis tombée sur un contrat de mariage datant du 23 avril 1787 qui m'a permis de m'y retrouver dans un imbroglio d'alliances que l'usage du nom des maisons venait compliquer. Il s'agissait de conventions matrimoniales passées entre deux familles dont les maîtres étaient tous mes sosa !

Je m'explique : dans le village de Sunhar, Pierre Iriart, fils aîné de Raymond Inchauspé dit Iriart (sosa 132) et de Marie Iriart (sosa 133) se trouve promis à Anne Recalt du village de Sunharette, fille de Raymond Iriart dit Recalt et d'Engrâce Recalt (mes sosas 134 et 135). Notons au passage la disparition des noms patronymiques des pères au profit du nom de la maison des deux mères héritières ! 

Or Pierre, le futur marié est le frère aîné de Raymond Iriart dit Recalt (mon sosa 66) marié à Engrâce Recalt (ma sosa 67), l'héritière de la maison Recalt de Sunharette ! Là, ce sont deux frères qui ont épousé deux soeurs mais il arrive souvent que ce soit un mariage croisé frères-soeurs. 

L'avantage de tomber sur un tel contrat de mariage c'est la mention des "collatéraux" qui viennent témoigner de la notoriété des deux familles ! Le notaire précise aimablement à l'intention des généalogistes des futures générations, quels liens de parenté unissent tous ces braves gens entre eux, permettant du même coup de vérifier ou d'augmenter certaines branches !

* D'après Serge Pacaud in "Il y a 100 ans, les gens du Pays basque", éd. PyréMonde
** 17 Ventôse an II de la République     

Note : Pour les non initiés à la généalogie, la numérotation dite de Sosa-Stradonitz est une méthode de numérotation des individus permettant d'identifier par un numéro unique chaque ancêtre dans une généalogie ascendante.  
Illustration : Ramiro Arrue (1892-1971)
Sources : Minutes notariales des AD 64
Bibliographie : La vie d'autrefois en Pays Basque de Marie-France Chauvirey, Ed. Sud-Ouest

samedi 20 janvier 2018

Petite leçon de sociologie basque

Nous sommes le 20 janvier 1838. Vous avez bien lu, 1838, car c'est aujourd'hui que j'ai mon "rendez-vous ancestral". Pour l'honorer, je me rends dans un hameau de moins de cent âmes*, Sunhar, en Haute-Soule, canton de Tardets, Basses-Pyrénées (actuellement Pyrénées-Atlantiques) dans le Royaume de France.

En effet, depuis juillet 1830, la France est redevenue une monarchie même si celle-ci n'a plus grand chose à voir avec celle de l'Ancien Régime. Je doute par ailleurs que les soubresauts de la grande histoire ne soient venus troubler mes ancêtres souletins du 19e siècle, paysans à 90%.

Me voici donc sur le seuil de la maison Iriart, la maison-souche ou etxondoa de la branche qui m'intéresse et je m'apprête à rendre visite à la sœur de mon arrière-arrière-grand-père Raymond Eppherre dit Harismendy. C'est elle-même qui m'ouvre la porte, deux enfants accrochés à ses basques et un nourrisson dans les bras. 

"Madame Irigaray ?
- Dia, qui m'appelle ainsi ?" s'exclame-t-elle en partant d'un grand rire franc. 
- Vous êtes bien Engrâce Eppherre mariée à Dominique Irigaray ?
- Oui mais pour tout le monde ici, je suis Engrâce Iriart et quand je vivais encore chez mes parents, à Sunharette, j'étais Engrâce Recalt. Mais entrez donc, il fait un froid de gueux, venez donc près de l'âtre."

Elle s'écarte pour me laisser passer et me désigne le zuzulu sur lequel elle s'assied à son tour et sans façon, dégrafe sa blouse et commence à nourrir le bébé au sein.
"Un goulu celui-là, il est né une semaine avant la Noël et s'agit pas de lui faire sauter un repas, ah ça non !" et me montrant ses deux aînés avec tendresse de poursuivre : "Elle c'est ma grande, Marie, elle aura 4 ans en mars, et lui, Pierre, il fera 3 ans aux moissons".

Je profite de ces présentations pour lui demander quelles autres personnes vivent sous ce toit.
"Ouille, ouille Ama, voyons : mon beau-père Dominique Irigaray, la maison était à ma belle-mère, Justine Iriart mais je ne l'ai jamais connue, elle est morte avant nos fiançailles ; mon mari qui s'appelle comme son père, et moi. Ah et j'oubliais, son frère Osaba Pierre. Lui, il s'appelle vraiment Iriart ! (rires). Et puis, il y a les cadets de mon mari pas encore mariés et bien sûr nos enfants, et on compte pas s'arrêter là !
- Et tout ce petit monde s'appelle Iriart ?
- Bai, même les domestiques ! Dia, c'est plus simple comme ça".

Je n'ose pas lui dire quel casse-tête représentera pour les généalogistes futurs ce va-et-vient permanent entre le nom patronymique et le nom de la maison ! Elle par exemple dans mon arbre, se nomme Engrâce Eppherre dite Recalt dite Iriart. Dans les actes de naissance de ses enfants (elle en aura huit en tout) elle est parfois appelée Engrâce Eppherre de Sunharette, Engrâce Recalt, Engrâce Iriart (jamais Irigaray !). Et dans son acte de décès (elle vivra 88 ans), elle redevient Engrâce Eppherre de Sunhar, veuve de Dominique Irigaray, née de parents inconnus à Lichans-Sunhar (!). 

Pour l'heure, l'etcheko andere réajuste son corsage et m'annonce gaiement : "C'est pas tout ça, mais je dois aller surveiller ce qui se passe en cuisine. Ma garbure mijote depuis des heures. Vous allez bien rester souper ?"

*Sunhar compte 86 hts au recensement de 1836. En 1842, la commune fusionne avec Lichans et devient Lichans-Sunhar.

Lexique :
Dia : Exclamation qui ponctue souvent les débuts de phrase en basque
Zuzulu : banc-coffre
Ama : Mère, maman (ouille, ouille ama peut se traduire par Bonne mère !)
Osaba : Oncle 
Bai : oui (ez : non) 
Etcheko andere : maîtresse de maison
Garbure : soupe traditionnelle basco-béarnaise aux légumes et haricots secs, servie avec du pain et du lard 
Illustration : Mauricio Flores Kaperotxipi
Sources : AD64Genealogie64, Wikipedia, Geneanet

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

mardi 26 mai 2015

Un exemple parmi d'autres de sérendipité

La sérendipité c'est le fait de trouver ce qu'on ne cherche pas. En généalogie, c'est tellement courant que je me fais des petites fiches intitulées "sérendipité" quand par hasard je tombe sur quelque chose que je ne cherchais pas ou plus. Ou bien qui peut s'avérer utile plus tard.

Dans le billet Élisabeth et Marie-Jeanne, je m'attardais un moment sur le mariage d’Élisabeth Lohitçun et d'Antoine Larrive en 1851 à Aussurucq, leur cherchant brièvement une descendance du côté de Licq-Athérey d'où était issu Antoine. Je ne trouvai rien et décidai de laisser tomber dans l'immédiat, cette branche n'étant ni directe ni très importante pour moi. 

En passant, je notai néanmoins dans les tables décennales de la commune de Licq-Athérey (Licq et Athérey ont été réunies en 1843) le mariage d'un Dominique Larrive avec une Marguerite Jauréguy le 12 février 1866. Après avoir passé plusieurs jours à remonter ma lignée directe à Aussurucq jusque avant la Révolution, je décidai hier de m'offrir une petite récréation en revenant à cet acte de mariage. 

Rapidement, je m'aperçois que Dominique Larrive est effectivement un frère cadet d'Antoine (mêmes parents, même maison) né huit ans après son frère, le 1er avril 1822. Mais quelle n'est pas ma surprise de m'apercevoir que son mariage avec Marguerite est en fait un remariage et qu'il est alors veuf d'une certaine ... Annette Eppherre !

Peu d'informations sur cette dernière si ce n'est sa date de décès le 22 juillet 1861 toujours à Licq-Athérey. Son acte de décès m'apprend qu'elle est âgée de 38 ans à sa mort, elle est donc née autour de 1822/1823. Dans mon arbre, il y a bien une Anne Eppherre née le 26 juillet 1822 à Sunharette, fille de Simon Eppherre dit Recalt (ca 1772-1852) et de Marie Iriart ou Inchauspe (ca 1778-1850), mes sosas 32 et 33.

Je ne sais rien d'elle si ce n'est qu'en 1846, elle a eu à Sunharette dans la maison familiale de Recalt, une petite fille née de père inconnu. Il ne me reste plus qu'à rechercher son acte de mariage avec Dominique Larrive. Que je trouve, non pas à Sunharette (les mariages se faisaient souvent chez la fiancée) mais à Licq-Athérey, le 23 novembre 1852. Et il s'agit bien de "mon" Anne Eppherre.

Pendant leurs neuf années de mariage, ils auront quatre garçons de 1854 à 1859. A la mort d'Anne (surnommée Annette), Dominique se remarie donc avec Marguerite Jauréguy du village d'Ainharp. Ensemble, ils auront une fille Marie, née en 1869 avant qu'à son tour Marguerite ne décède le 23 décembre 1875, elle aussi à 38 ans. Il la suivra d'un mois puisqu'il meurt le 27 janvier 1876.

Peut-être en saurai-je un peu plus un jour sur la famille d'Antoine Larrive et Élisabeth Lohitçun ? Laissons faire la sérendipité... 

Illustration : Ramiro Arrue y Valle

 

dimanche 19 avril 2015

Les deux orphelines et l'église d'Aussurucq

William Bouguereau
Dans le hors-série du magazine La Vie que je recommande, Guillaume Roehrig, généalogiste successoral dit qu'il y un côté détective privé dans ce métier. Loin de moi l'idée de me comparer à ce professionnel mais j'avoue que résoudre à mon petit niveau quelques mystères familiaux fait partie du plaisir.  

Récemment, je tombe sur un acte notarié daté du 19 mai 1853, déposé chez Maître Cazenave à Mauléon dans lequel Jean-Pierre Eppherre, mon arrière-arrière grand-oncle, reconnaît une vieille dette au nom de ses deux pupilles mineures, Gracieuse et Annette, âgée de 17 et 14 ans. Déjà orphelines très jeunes de leur mère, Marie Etchalus (1808-1841), elles ont perdu leur père Dominique (1805-1848) quatre ans auparavant. L'acte précise que la famille en a confié la tutelle au plus jeune de leurs oncles paternels, Jean-Pierre. Celui-ci, né en 1818, est célibataire au moment des faits (il se mariera en 1856). 

Curieusement, alors que cette branche de la famille est originaire de Sunharette, la dette concerne la "fabrique" de l'église d'Aussurucq. Le capital restant dû s'élève à trois cent francs soit une rente annuelle de quinze francs. Cela doit représenter une somme pour l'époque car l'oncle tuteur se voit contraint d’hypothéquer les biens immeubles de ses pupilles (bâtiments, cour, jardins, terres cultivées, vigne, prairie, bois et forgerie), situés à Sunharette, pour l'honorer.

A ce stade, je ne vois pas bien le rapport entre l'église d'Aussurucq et ces cultivateurs établis à Sunharette, même si les deux villages ne sont distants que d'une quinzaine de kilomètres. Je devine que leur père Dominique, en tant qu'aîné de la fratrie, a dû lui-même "hériter" de cette dette laquelle, à sa mort, échoit à ses filles. L'acte de 1853 faisant référence a un précédent acte daté du 21 juin 1823, déposé chez Maître Lagarde également notaire à Mauléon, j'espère que la solution du mystère y sera contenue. La chance est de mon côté car je mets la main sur l'acte en question dans les minutes notariales numérisées des AD64.

Celui-ci apporte en fait plus de questions que de réponses et renvoient à deux actes plus anciens datés du 2 septembre 1793 que je n'ai pas retrouvés. Mais ce que je comprends c'est que la dette est à l'origine celle d'un certain Jean Recalt, natif certainement de Sunharette et ... curé d'Aussurucq à la fin du 18e siècle. Dans son testament daté du 11 juin 1808, déposé chez M° Detchandy d'Abense-de-Haut, il désigne comme héritiers un frère, Arnaud, une sœur, Marie et une nièce, également prénommée Marie.

Cette dernière, Marie Inchauspe dite Recalt (1778-1850), mon aïeule, épousera Simon Eppherre (1772-1852). Dominique est leur fils aîné. C'est donc par leur branche maternelle que les Eppherre de Sunharette et nos deux orphelines se sont retrouvés liés au financement de l'église d'Aussurucq...

Illustration : William Bouguereau
Sources : AD 64 (BMS, état civil et minutes notariales).