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mercredi 11 novembre 2020

100 mots pour une vie : Jean Etchemendy (1877-1928)


En ce jour de commémoration de l’Armistice de 1918, je viens de retrouver cette photo de mon arrière-grand-père, Jean Etchemendy (1877-1928), un des poilus de la Grande Guerre. Gazé, il est reconnu invalide à 30% pour « troubles pulmonaires ». Chose rare, la mention « décédé des suites de blessures de guerre » figure sur son acte de décès le 3 juillet 1928 à St-Jean-le-Vieux. Il avait 51 ans et était père de sept enfants.

Avant de se marier, il avait tenté sa chance en Californie où, d’après sa fiche matricule, il s’était enregistré au Consulat de San Francisco en 1905.  

mardi 21 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (V)

Le benjamin de la fratrie Ipharraguerre naît trois ans et demi après Louis. Prénommé Bertrand Philippe*, il voit le jour le 26 mai 1889 dans la maison familiale d'Estérençuby. Ses parents ont alors 46 et 43 ans et près de dix-huit ans le séparent de son aîné Pierre. Sans surprise, il est berger comme son père et ses six frères lorsqu'il est appelé sous les drapeaux. Son degré d'instruction est faible : 1, ce qui veut dire qu'il sait à peine lire. 

D'abord ajourné pour faiblesse en 1910, il est finalement rappelé en 1911 et versé dans le 1er régiment de zouaves d'Alger où il arrive le 16 octobre. Après Pierre en Argentine, Bertrand, Jean, Pierre, Michel et Louis en Amérique, le voilà posant le pied sur le sol africain. Décidément, il était écrit que les frères Ipharraguerre verraient du pays ! 

Zouave de deuxième classe, Philippe va prendre part pendant deux ans à des opérations militaires dans le Maroc occidental. C'est ce qu'on appellera la "campagne de pacification" ou, plus simplement, la Campagne du Maroc. Sous le haut commandement du Général Liautey, celle-ci visait à combattre les résistances de tribus marocaines à l'établissement d'un protectorat français (lequel aboutira finalement avec le Traité de Fès du 30 mars 1912).  

Le 18 septembre 1913, Philippe est rendu à la vie civile avec un certificat de bonne conduite. Réserviste, il reprend ses activités pastorales dans les estives d'Iramendy. Ses frères, Michel et Pierre sont rentrés d'Amérique trois ans auparavant pour épouser des filles du pays. On imagine la famille Ipharraguerre réunie autour de l'âtre de la maison Ampo, le père, la mère, les fils et les brus lisant les lettres des Amerikoanoak auxquelles sont peut-être jointes un mandat...      

Mais bientôt, les trois frères vont être happés par le tourbillon de l'Histoire et Philippe, pas plus que ses aînés, ne va échapper à l'ordre de mobilisation générale. Cette fois, il rejoint le 57e Régiment d'Infanterie, d'abord à Bayonne où il arrive le 3 août 1914 puis à Libourne. Le 57e dont la devise est "le terrible que rien n'arrête" sera de tous les combats de la Grande Guerre : Bataille de la Marne en septembre 1914, Verdun en 1916, Craonnelle en 1917, tristement célèbre pour ses 800 heures de combat, Somme puis Aisne en 1918.
Aucun fait d'armes mentionné dans le livret militaire de Philippe, pas de Croix de Guerre venue le distinguer comme ses frères Michel et Pierre. Un simple troufion qui fera toute la guerre, du Grand départ du 3 août 1914 au 3 novembre 1918 où il meurt des suites de ses blessures dans l'ambulance 6/18 à Nouvion et Catillon dans l'Aisne. Tombé pour la France à 29 ans.

Ainsi s'achève sur une note un peu triste l'histoire de ces 7 frères Ipharraguerre, sept destins de jeunes Basques de ce petit village de montagne pyrénéen où la Nive prend sa source.

Mais ceux qui s'adonnent à la généalogie savent que la page n'est pas toujours définitivement tournée. Qui sait si un jour je ne recevrai pas comme cela m'est déjà arrivé, un signe d'Argentine, d'Arizona ou d'ailleurs, qui me permettra d'en écrire la suite ?


Fin
* Pour simplifier, nous l'appellerons Philippe

Sources : AD64 (Etat civil et registres militaires) 
Campagne du Maroc : Wikipedia
Parcours du 57e RI : Chtimiste
MPLF : Mémorial GenWeb
Bibliographie : Les Poilus du Sud-Ouest "Le 18e Corps dans la Grande Guerre de Vincent Bertrand (Ed. Sud Ouest).
Illustrations : Cliquer dans la photo pour les deux premières, Delcampe.net pour la dernière.  

vendredi 17 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (IV)

Downtown Glendale, Maricopa County, Arizona, années 1950
En 1920, Louis Ipharraguerre apparaît dans le US Census d'Aberdeen, Bingham County, Idaho. Sa femme, Grace et ses enfants Marie, 7 ans et Wendell, 3 ans sont mentionnés sous le même nom que lui. Or en 1924, quand il fait sa demande de naturalisation, il déclare seulement deux enfants, Jeanne née 1921 et Bert né en 1923. Que sont devenus les premiers ?

La réponse viendra du recensement de 1930 de Glendale, Maricopa, Arizona. Cette fois, Louis Ipharraguerre est devenu Lewis Ipharr (!), il est accompagné de sa femme Grace Ipharr et leurs quatre enfants, Maree (sic), 17 ans, Wendell, 14 ans, Jeanne, 8 ans, tous trois nés dans l'Idaho et Bert, 6 ans, né dans l'Arizona. Mais en face des deux aînés, la mention stepdaughter et stepson confirme que ce sont bien les beaux-enfants de Louis né du premier mariage de Grace (d'où l'intérêt de bien lire tous les renseignements !).    
 
Mais revenons à la demande de naturalisation pour laquelle Louis entreprend des démarches en avril 1924. Dans sa déclaration d'intention, on apprend que Louis, alors âgé de 39 ans, est berger, qu'il est de couleur blanche mais de carnation foncée (dark), qu'il mesure 1, 67 m (5 feet, 5 inches), pèse 68 kg (150 pounds), que ses cheveux sont bruns et ses yeux, bleus. Comme signe particulier, son auriculaire de la main droite est tordu (crooked). Le Diable se loge dans les détails !  

Il se vieillit d'un an (il est né le 9 octobre 1885 et non 1884), est natif d'Estérençuby en France. Il déclare que sa femme Grace est née à Moore, Idaho (en fait, elle est d'Antelope). Il précise qu'il est arrivé à New York le 7 mars 1904 en provenance du Havre à bord de La Loraine (sic). Enfin, Louis donne son adresse : 1829 West Adams Street à Phoenix, Arizona. A noter qu'il signe de ses nom et prénom.

En 1926, Louis remplit une autre demande et cette fois, il est domicilié à Flagstaff, toujours dans l'Arizona, au 616 North Beayer Street. C'est là qu'il donne un peu plus de détails sur sa situation de famille et ses différents emplois (récapitulés dans le billet précédent). Il est arrivé avec sa famille dans l'Arizona le 6 juillet 1923. Le benjamin, Louis Bertrand dit Bert, y naîtra le 23 octobre de la même année. A Flagstaff, sur la fameuse route 66, Louis sera employé par la société Campbell & Francis, le plus grand ranch de l'Arizona. 

La pétition pour devenir Citoyen américain requiert le témoignage de deux ressortissants de ce pays. Louis Ipharraguerre demande ce service à A.E Livingstone, fermier, et Henry C Toeys, marchand, tous résidents d'Aberdeen, Idaho. 

Les témoins doivent préciser dans quelles circonstances ils ont été amenés à fréquenter Louis Ipharraguerre. Livingstone déclare qu'il l'a connu en mai 1916 alors qu'ils élevaient ensemble des moutons dans le désert à l'ouest d'Aberdeen tandis que Toeys fait remonter leur rencontre au printemps 1917 en tant que client de son magasin. Ils se sont fréquentés jusqu'à ce que Louis quitte l'Idaho pour l'Arizona.   

Apparemment, Louis ne sera pas naturalisé avant 1927. Il coulera alors une retraite qu'on espère heureuse auprès de sa femme, de ses quatre enfants et de ses huit petits-enfants à Glendale, une coquette banlieue de Phoenix, Arizona. Il y est inhumé au Resthaven Park West Cemetery depuis juin 1966. Sa femme Grace Stoddard l'y a rejoint le 29 juin 1983.

 A suivre...

Sources : Gen&OAD64 (Etat civil et registres miltaires), FamilySearch, Geneanet, Ancestry, MyHeritage, FindAGrave
Illustrations : Cliquer dans la photo 

Billets précédents : https://bit.ly/2ZTZk46,  https://bit.ly/3eiYZgJ, https://bit.ly/3fByepg

Un grand merci à Marguerite Ambroise du blog "Mes découvertes généalogiques" qui a fait des recherches pour moi sur Ancestry et notamment sur la demande de naturalisation de Louis Ipharraguerre ô combien riche en informations !

jeudi 16 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (III)

Farmer day in Aberdeen, Idaho, 1916
Des sept frères Ipharraguerre dont quatre auront tenté leur chance outre-atlantique, disons-le tout de suite, seul Louis parviendra à s'y ancrer. Et comme souvent, lorsque l'on fait des recherches aux Etats-Unis c'est à son sujet que j'ai glané le plus d'informations. Les Américains, peuple relativement jeune et issu pour la plupart d'autres continents, sont souvent friands de connaître leurs origines et les sources ne manquent pas.

Pour retracer la vie de Louis, je suis néanmoins partie comme pour ses frères de son acte de naissance et de son registre matricule. Avant-dernier de la fratrie, Louis naît le 9 octobre 1885 dans la maison familiale "Ampo" d'Estérençuby. Ignorance ou distraction de sa part, selon les différentes archives américaines, il serait né un an plus tard... ou plus tôt.  

Côté affaires militaires, il est de la classe 1905, est déclaré insoumis en 1907 mais se présente de lui-même en 1910 au Consulat de France à San Francisco. Néanmoins, il ne prendra pas part à la Première guerre mondiale car en décembre 1914, la Commission de réforme de Bayonne l'en dispense pour raison de "faiblesse de ligaments du genou gauche".

Mais revenons à son arrivée aux Etats-Unis. Louis pose le pied sur le sol américain le 7 mars 1904, à New York en provenance du Havre où il a embarqué sur "La Lorraine" - le plus grand transatlantique de l'époque - en 3e classe. Il semble avoir voyagé seul mais donne comme contact aux services de l'immigration le nom de son frère Bertrand à Reno, Nevada. Sa fiche matricule y précise même l'adresse, le "Commercial Hotel" à Reno.   
La future demande de naturalisation de Louis nous apprend qu'il a d'abord travaillé pour son frère Bertrand justement, pendant un an environ, puis les quatre années suivantes à Ely, Nevada, d'abord pour un certain Mr Magill puis chez un autre éleveur, un "Français" dont il ne précise pas le nom. 

Rappelons que c'est en juin 1906 que décède son frère Bertrand à Reno pour des raisons que j'ignore. Quand ses frères Pierre et Michel rentrent au pays fin 1910, on retrouve Louis à Aberdeen, dans l'état voisin de l'Idaho, mais tout de même à une distance de 460 miles (740 km) au nord-est d'Ely.

A Aberdeen, une ville qui comptait 471 habitants en 1920 (environ 2000 aujourd'hui), Louis déclare avoir travaillé d'abord chez deux éleveurs avant de se mettre à son compte vers 1919. C'est cette année-là que notre célibataire de presque 34 ans va convoler en justes noces avec une jeune veuve de 24 ans, Grace Stoddard. 

Née le 8 juillet 1895 à Antelope, Idaho, Grace a d'abord épousé le 15 novembre 1911 à Moore, Idaho, un dénommé Frank Gilbert McGee de Paris, Missouri. Le couple s'est ensuite installé à Arco, Binham County, Idaho, où ils ont eu deux enfants, Marie, née en 1912 et Wendell, né en 1916. Mais fin 1918, Frank meurt de la grippe espagnole. 

Il m'a d'abord été difficile d'identifier Grace car elle apparaissait sous son nom de veuve McGee, y compris dans son acte de mariage avec Louis, célébré le 30 août 1919 au County Court House de Blackfoot, Idaho. Une fois que j'ai trouvé son nom de jeune fille, Grace Stoddard, tout a été plus simple : j'écrivais en préambule que les Américains sont généreux en témoignages familiaux. La preuve avec cette étonnante archive dénichée sur FamilySearch "The Life and Times of the Stoddard Family : Twelve generations"  

 A suivre...
Sources : Gen&OAD64 (Etat civil et registres miltaires), FamilySearchGeneanetAncestryMyHeritage, FindAGrave
Illustrations : Cliquer dans la photo 

Billets précédents : https://bit.ly/2ZTZk46 et https://bit.ly/3eiYZgJ

samedi 11 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (II)

Ces élèves de l'école d'Eagleville dans le Comté de Modoc du Nord-Est de la Californie qui posent devant l'objectif d'un photographe en 1902, ont-ils croisé les frères Ipharraguerre sans avoir la moindre idée d'où se trouvaient la France et encore moins la vallée reculée du Pays basque dont ils étaient issus ? Pierre et Michel ont-ils cru voir des ressemblances entre ces jeunes américains et leurs petits frères restés au pays ? Les sommets de la Sierra Nevada que l'on distingue à l'arrière-plan de ce cliché leur ont-ils rappelé le Pic familier de Béhorléguy ? Qui sait. 

- Michel Ipharraguerre est le quatrième de la fratrie mais c'est le premier à naître à Estérençuby dans la maison Ampo qui sera désormais le foyer de cette grande famille constituée uniquement de garçons. Né le 12 avril 1879, il a deux ans de moins que Pierre et cinq ans de moins que Bertrand. D'abord dispensé de service national pour cause de frère sous les drapeaux, il incorpore en mai 1900 le 9e régiment d'infanterie de Bayonne. 

Dès qu'il est dégagé de ses obligations militaires, il file en Amérique. Exactement comme Bertrand et Pierre, l'Armée note qu'il est en octobre 1903 à Reno (Nevada) puis en janvier 1907 à Eagleville (Californie). Il est fort probable que Pierre et Michel aient été présents au moment de la mort de leur aîné Bertrand. Cela les a peut-être poussés à tenter leur chance plus loin...

Mais comme Pierre avant lui, Michel rentre au pays trois ans plus tard pour se marier une semaine avant son frère, le 13 novembre 1910, avec une fille d'Estérençuby, Jeanne Suhit de la maison Arotçaenia. Et comme ses frères et tous les jeunes gens de sa génération, il est rattrapé par l'ordre de mobilisation générale du 2 août 1914.

De même que son aîné et bientôt son cadet, il se verra décerner la Croix de Guerre. Une citation résume son héroïsme : "Brave soldat (qui) a fait preuve de dévouement et d'un grand mépris du danger au cours des corvées très pénibles de ravitaillement en ligne pendant la période du 19 au 26 avril 1917".  Michel est renvoyé dans ses foyers le 7 février 1919. Il retrouve à Estérençuby sa femme et ses trois enfants, juste à temps pour fêter son quarantième anniversaire.

- Trois ans presque jour pour jour après Michel, la famille accueille un autre Pierre. Né le 2 avril 1882, l'appelait-on Pette ou Peio pour le différencier de ses frères ? Ni l'état civil ni son livret militaire ne nous renseignent là-dessus. En revanche, ce qui le distingue de ses aînés, c'est qu'il ne sera pas berger en Argentine ou en Californie puisqu'on le retrouve facteur à Paris en janvier 1909 puis à Bayonne en juin 1910.

Réserviste dans les PTT, il rejoint le front en mai 1916 en étant affecté au 2e Régiment du Génie de Montpellier. Le 15 août 1918, il reçoit un éclat d'obus à la cuisse. Comme celle de Michel, sa fiche matricule comporte une citation : "Sapeur courageux et dévoué, blessé au cours de la période difficile du 4 au 15 août 1918". Après Pierre et Michel, il reçoit la Croix de Guerre.

La Grande Guerre lui laissera des séquelles. Revenu à Bayonne début 1919, il souffre d'hydarthrose du genou et de troubles digestifs, ce qui lui donne droit à une pension de 20% en 1920 puis de 75% (!)  pour entérite chronique en 1925, année où il décède le 17 juin à Bayonne à l'âge de 43 ans. J'ignore s'il a eu le temps de fonder une famille...

A suivre...

SourcesGen&OAD64 (Etat civil et registres militaires)
Illustration : Cliquer dan la photo 

Billet précédent : https://bit.ly/2ZTZk46


mercredi 8 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (I)

Le berceau de "mes" Biscaichipy se situe à Saint-Michel en Basse-Navarre. La branche dont descend mon arrière-arrière-grand-mère Dominica s'est établie à Saint-Jean-le-Vieux même si celle-ci est née en Argentine comme j'ai déjà eu l'occasion de le raconter ici. D'autres branches ont fait souche aux Aldudes, à Béhorléguy ou Estérençuby ce qui, pour ceux qui connaissent le coin, ne représente jamais qu'un territoire grand comme un mouchoir de poche.

Et chaque génération, quelle que soit la branche, a fourni son lot d'immigrés, ses Amerikanoak partis en nombre offrir leurs bras aux fermiers ou éleveurs d'Uruguay, d'Argentine, du Nevada ou du Wyoming. La famille Ipharraguerre d'Estérençuby n'a pas fait exception à la règle. Née d'une cadette Biscaichipy prénommée Marie et d'un aîné, Pierre Ipharraguerre, pasteur de son état, mariés en 1870, cette fratrie était composée de huit fils ! Oui, que des garçons, aucune fille, et dont un seul, le "numéro trois" ne parvint pas à l'âge adulte.

Comme souvent en cette fin du 19e siècle et début du 20e, ce sont les registres matricules (numérisés de 1878 à 1921 par les AD64) qui m'ont permis de retracer en grande partie la vie de ces sept frères aux destins très divers. Bergers comme leur père, certains se sont soustraits à leurs obligations militaires pour tenter leur chance en Argentine ou dans l'Ouest américain où ils avaient été précédés par des oncles et tantes maternels ou paternels. Certains en sont revenus, d'autres pas, suivons-les.

De l'aîné, Pierre, né le 3 août 1871 dans la maison Uhaldia de son grand-père maternel Jean, maire d'Estérençuby, je ne sais rien ou presque si ce n'est qu'il est le premier insoumis de la fratrie. Il est d'abord dispensé de service militaire en tant qu'aîné de sept enfants puis il manque la revue de novembre 1892. L'Armée note alors qu'il est domicilié à Buenos-Ayres (sic). Au recensement argentin de 1895, son oncle Pierre Biscaichipy est commerçant dans cette ville. L'a-t-il rejoint ou a-t-il continué vers l'Uruguay où un cousin germain du même âge, Bertrand Ipharraguerre, semble s'être installé ? 

Son cadet, Bertrand, né dans la même maison le 29 mars 1873, fait le même choix que son frère. Insoumis, il choisit l'Amérique. Le 20 décembre 1893, c'est un Bertrand d'à peine 20 ans, qu'on retrouve sur la liste des passagers à l'arrivée à New York du Chateau-Lafite en provenance de Bordeaux. La traversée sur ce steamer de l’éphémère Compagnie bordelaise de navigation à vapeur dure alors douze jours. 
En 1904, Bertrand donne aux autorités militaires une adresse à San Francisco, puis de là part sans doute se placer comme berger dans le Nevada où son décès est signalé le 7 juin 1906 à Reno, à l'âge de 33 ans.

Un autre Pierre, né le 24 juin 1877 dans la Borde de Chahotéguy suit les traces de Bertrand. Après avoir fait son service militaire pendant deux ans, on le retrouve en octobre 1903 à Reno (Nevada) puis en janvier 1908, à Eagleville (Modoc County, Californie). Mais deux ans plus tard, il est de retour à Estérençuby où il se marie le 20 novembre 1910 avec Gratianne Goyhenetche de treize ans sa cadette. Quand l'ordre de mobilisation intervient, il rejoint son régiment, le 142e RIT. Selon la formule consacrée, Pierre fera la Campagne contre l'Allemagne du 4 août 1914 au 23 janvier 1919 et obtiendra la Croix de Guerre avec étoile d'argent. Quand il est enfin libéré de ses obligations militaires, il est père d'un enfant.    

[A suivre...]

Illustrations : Ramiro Arrue y Valle (1900)

Etymologie : Daprès Geneanet, Ipharraguerre voudrait dire en basque : exposé (agueri) au Nord (Ipharra).
Sources : Gen&O, AD64 (Etat civil et registres miltaires). FamilySearch, Ancestry.  

vendredi 26 juin 2020

Quand le choléra s'abat sur une famille

Il arrive souvent en généalogie d'être confronté au hasard des registres à de véritables tragédies familiales vécues par nos ancêtres. Le cas des décès d'enfants en bas âge est le plus fréquent et, des années de recherches après, ne nous laisse toujours pas indifférent. J'avais déjà évoqué dans un billet intitulé "Quand le sort s'acharne sur une famille" l'histoire d'une mère et de ses trois filles décédées à Béhorléguy en 1874. 

Récemment, deux pages d'un registre d'actes de décès à Ossès ont attiré mon attention : le père, la mère et deux de leurs six enfants meurent entre le 23 et le 28 août 1855. J'ai d'abord pensé à un incendie de leur maison mais des recherches à des dates postérieures ont infirmé cette hypothèse : la fille aînée, Marie, âgée de 17 ans à la mort de ses parents et de ses petits frères, devient héritière quelques années plus tard de la maison Péritsh du quartier Ouhaïts d'Ossès.

Reste l'hypothèse d'une maladie contagieuse expliquant le décès de quatre membres d'une même famille la même semaine. Je m'en ouvre sur mon fil de généalogie Twitter et aussitôt plusieurs de mes contacts m'apportent la réponse : 1854 et 1855 sont des années où la France a été frappée par une terrible épidémie de choléra encore plus meurtrière que celle de 1832.

"Au cours du 19e siècle, alors que la population s’habituait depuis près d’un siècle à vivre sans épidémie, le choléra refait son apparition en France. La première vague en 1832-1834 frappe essentiellement Paris et le nord de la France (120 000 décès en 1832)".¹  En 1853-1854, une deuxième vague touche la France, faisant 143468 victimes.

Au Pays basque, l'épidémie semble s'être propagée depuis d'Espagne. "Les Bayonnais apprennent ainsi en décembre 1854 qu’un foyer épidémique existait à Peyrehorade (Landes), sans doute apporté par les Espagnols ou du moins par les échanges commerciaux avec les pays au sud des Pyrénées. [...] Dès la mi-août (1855), les nouvelles du choléra sont rapportées par les sources d’informations. Les familles espagnoles ne cessent d’arriver en nombre de Madrid et d’autres villes du pays. Les mesures prophylactiques ne suffisent plus à enrayer la maladie. On dénombre déjà des victimes à Mauléon, Saint-Etienne-de-Baïgorry et Tardets. Les courriers et enveloppes adressés par Napoléon III mentionnent désormais "Bayonne et Mauléon atteints de l’épidémie" .²

Mais revenons à notre petite famille. Guillaume Etchemendy, né à Béhorléguy en 1803, a épousé le 29 janvier 1837 à Ossès Marie Harostéguy de neuf ans sa cadette et héritière par sa mère de la maison Péritsh. Ossès est alors un gros bourg Bas-Navarrais de 2000 habitants*. En août 1855, lorsque la foudre s'abat sur ce couple de cultivateurs, ils ont six enfants encore vivants âgés de 17 ans à 9 mois. La maladie va frapper dans l'ordre la maman le 23, puis le benjamin Jean Gazté le 24 et enfin, le 28, le père et un garçonnet de sept ans également prénommé Jean.  

Les quatre enfants restants sont confiés à leur oncle paternel Jean dit Gachté, cultivateur et maître de la maison Teilleriborde de Mendive. Il sera mentionné comme tuteur de ses neveux lors du mariage de Marie en 1858 et de Jean en 1869. Une autre Marie se mariera à Mendive en 1883 mais étant majeure, son oncle et probable tuteur n'est pas mentionné dans l'acte de mariage.

Dans cette fratrie, je n'ai pas réussi à retrouver la trace de Jacques, né à Ossès le 7 mars 1845 et donc âgé de dix ans au moment des faits si toutefois il était toujours en vie... A noter aussi, qu'une tante maternelle de la maman, Jeanne Arrossa, veuve Lahore, 75 ans était décédée le 4 août 1855 soit trois semaines auparavant. A-t-elle été la première victime de la famille ? Difficile à dire... 

* Entre les recensements de 1851 et 1856, la commune perd 151 habitants, probablement à cause du choléra.

Illustration : Couverture du "Petit Journal" du 1er décembre 1912 
Sources
Journal de la société de statistiques de Paris : Note statistique sur le choléra de 1832, 1849 et 1854
Registres d'état civil : AD64

mardi 30 octobre 2018

Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage

En généalogie, il arrive parfois que l'on traverse des périodes d'abattement, par exemple lorsque l'on bloque sur une branche de son arbre, voire de l'arbre tout entier plus celles-ci sont hautes. Au début, le généalogiste amateur est tout feu tout flamme. Feuilleter virtuellement ou concrètement des registres d'état civil le plonge au cœur d'un véritable jardin d'Eden où il butine d'acte en acte, la cueillette est toujours bonne. Et puis, les branches se dégarnissent et, comme les oiseaux l'hiver, il faut gratter sous les couches pour dénicher sa pitance.  

Les BMS* de l'Ancien Régime sont à première vue rébarbatifs, les pattes de mouche de nos curés de campagne rebutent, les yeux picotent, le découragement gagne. Et pourtant, il arrive qu'un seul acte de baptême ouvre une nouvelle voie à des recherches jusque-là restées vaines. Prenons un exemple, une triste histoire qui, deux siècles et demi plus tard, a son utilité.

Le 10 avril 1786, le dénommé Hidiart, vicaire de la paroisse de Çaro, en Basse-Navarre, baptise deux fillettes, des jumelles nées la veille du légitime mariage entre Jean Biscaichipy et Marie Indart. Les deux sont prénommées Marie, ce qui peut sembler incongru de nos jours mais dont on comprend vite le choix. En effet, les "petits anges" décèdent dès le lendemain pour la puînée, et le surlendemain pour l'aînée, comme les désignent notre brave curé.

Mais regardons mieux l'acte de baptême. On y apprend le nom des parrains et marraines respectifs des deux petites, avec leur lien de parenté et le nom de leur maison. La marraine d'une des petites Marie est locataire de la maison d'Arretche, celle de l'autre est sa tante paternelle, cadette de la maison Biscaichipy, son parrain étant le "maître" de ladite maison. Les parents, d'une branche cadette, sont quant à eux, maîtres de la maison d'Haiçaberry.

Quand on sait au Pays basque le rôle des maisons et la prévalence de la primogéniture (l'aîné, garçon ou fille, est celui qui hérite), on mesure combien ce seul acte ouvre des horizons à notre généalogie ! On ne le dira jamais assez mais lire un acte in extenso est primordial si l'on ne veut pas passer à côté d'informations capitales.

J'ajouterai que c'est la lecture des minutes notariales d'une étude du début du 18e siècle à Saint-Jean-le-Vieux (Basses-Pyrénées) qui m'a permis de localiser cette branche, morte jusque-là, à Çaro, une paroisse aujourd'hui disparue rattachée depuis 1842 à Estérençuby. Se plonger dans les actes notariés est encore une belle aventure généalogique, idéale pour les longues soirées d'hiver !  

* BMS : Baptêmes, Mariages, Sépultures dans les registres paroissiaux sous l'Ancien Régime.
Illustration : Sisyphe par Titien (1549)

mardi 12 juin 2018

Saint-Jean-le-Vieux - Buenos Ayres - Saint-Jean-le-Vieux

Lorsque ma grand-mère paternelle Marie-Anne Etchemendy (1912-1977) est décédée à Bordeaux, son fils aîné, mon père, a fait passer un avis dans le journal Sud-Ouest, s'attirant les foudres d'une de ses tantes qui lui reprochait de ne pas associer à ce faire-part la branche Biscaïtchipy. Je me souviens de la réaction de mon père qui ne céda pas et de celle de ma grand-tante qui répara l'erreur en republiant un avis comme elle le voulait, le lendemain ! 

Longtemps après, quand je me suis intéressée à cette branche, mon père m'a dit en substance : "Ah, je ne pensais pas que ces Biscaïtchipy nous étaient finalement si proches." Eh oui, la mère de sa grand-mère qu'il avait bien connue, Gratianne Urritzaga, s'appelait Dominica Biscaïtchipy. Elle portait un drôle de nom qui nous avait amusé mon frère et moi lors de l'"incident diplomatique" évoqué plus haut. 

Comme toujours avec le basque, au fil des siècles et de l'imagination des curés ou des employés d'état civil, on retrouve le nom sous la forme Biscaïttipy, Biscaïchipy ou Biscaïtchipy ce qui étymologiquement pourrait signifier "petit côteau" de "ttipi" (petit) et "bizcar" (côteau, crête, col). Si je me fie à Geneanet, seule notre branche établie à Saint-Jean-le-Vieux à partir du début du 19e siècle, a hérité d'un "t" en plus, tout comme nos Urri"t"zaga.

Cette longue introduction pour évoquer mon "sosa 46", tiré à la "roulette des ancêtres" (*), Jean Biscaïtchipy dit Gachte c'est-à-dire "blanc bec", surnom qui lui venait peut-être de son rang de petit dernier de sa fratrie. Jean naît le 10 septembre 1828 dans la maison familiale Larrondoa du quartier Çabalce de Saint-Jean-le-Vieux (Basses-Pyrénées), village mitoyen de Saint-Jean-Pied-de-Port en Basse-Navarre.

Benjamin d'une fratrie de six enfants issue de Jean Biscaïtchipy (1781-1857), originaire de Saint-Michel et de Gratianne Coillet (ca 1794-1862) mariés en 1813 à Saint-Jean-le-Vieux, il est précédé par quatre sœurs et un frère. A une époque indéterminée jusqu'à ce jour mais que je situerais au début des années 1850, peut-être pour échapper à la conscription, il prend son billet pour l'Argentine. Plus probablement, il débarque à La Plata et de là, s'établit à Buenos Aires.

Est-ce là qu'il rencontre sa future épouse, Marianne Saroïberry dite Sallaberry, née aux Aldudes en 1832 ? C'est ce que laisse penser leur acte de mariage qui n'interviendra que le 19 février 1871 à Saint-Jean-le-Vieux alors qu'il a déjà quarante-deux ans et sa femme, trente-huit. De l'intérêt de lire attentivement un tel document, on y découvre au verso la reconnaissance de deux enfants, une fille, Dominica née le 19 octobre 1861 à Buenos Ayres (sic) et un fils, Laurent, né le 7 novembre 1870... à Saint-Jean-le-Vieux.

A défaut de savoir pourquoi mon aïeul est parti en "Amérique" et combien de temps il y est resté, j'ai une petite idée de la raison qui l'a fait rentrer. En consultant les actes de décès de la commune, je me suis aperçue qu'alors que ses parents Jean et Gratianne étaient décédés respectivement en 1857 et 1862, en 1866, un événement va bouleverser la vie des habitants de la maison Larrondoa.

Charles Biscaïtchipy, le "maître" depuis la mort de ses parents, et sa sœur Jeanne, tous deux célibataires, disparaissent à deux semaines d'écart. Ils n'ont pas cinquante ans et la cause de leur décès n'est pas indiquée. La seule sœur survivante (une autre est décédée en 1855) a-t-elle alors prié son frère cadet de revenir pour reprendre la ferme familiale ? On ne peut que le supposer.

Dans le contrat de mariage de mes arrière-arrière-grands-parents, Martin Urritzaga et Dominica Biscaïtchipy, le 23 novembre 1882, il est clairement indiqué que les parents de cette dernière sont propriétaires de la maison Larrondoa dans le quartier Çabalce. Ce sont des cultivateurs que l'on peut qualifier d'aisés puisqu'en échange d'un quart de leur domaine et dépendances, leur futur gendre apporte une dot de deux-mille-quatre-cent-francs. 

Jean Biscaïtchipy dit Gachte s'éteindra dans sa maison le 18 mai 1907, huit ans après sa femme Marianne, entouré de sa fille, de son gendre et de ses sept petits-enfants dont mon arrière-grand-mère Gratianne était l'aînée. Aura-t-il eu le temps de voir partir ses petits-enfants Urritzaga à La Plata poursuivant ainsi son rêve américain interrompu ? Il me plaît de le penser...

(*) Dans le cadre du Généathème du mois de juin, Sophie Boudarel, généalogiste professionnelle, propose de tirer au sort un numéro sosa de sa généalogie grâce à son générateur de nombre aléatoire, et de raconter l'histoire de l'ancêtre correspondant. Son "making-of" m'a bien aidé aussi à compléter mes informations.

Illustration : Carte postale ancienne de Saint-Jean-le-Vieux (Delcampe.net)
Sources AD64 (Etat civil et Minutes notariale)Gen&OFamilySearchGeneanet. 
Sur l'Emigration basque en Argentine, lire "Diaspora basque, la huitième province"

samedi 24 février 2018

Les dernières prières d'Engrâce

Saint-Just-Ibarre, lundi 20 mars 1916
Ma très chère Elisabeth,

C'est avec un immense chagrin que j'ai appris que ton fils Michel était porté disparu à Verdun. Avec trois fils à la guerre, je sais qu'on ne vit plus, on survit dans l'attente de la mauvaise nouvelle qui viendra nous crucifier. Nous-mêmes, comme tu le sais, avons perdu notre Dominique dès septembre 1914 et je me bats depuis pour qu'on nous rende son corps mais j'ai bien peur de ne plus être là pour l'accueillir.

Ma santé décline de jour en jour, je me sens tout le temps oppressée, j'ai parfois l'impression d'étouffer, et mes pauvres jambes sont tellement percluses d'oedèmes qu'elles ne me portent plus. Je suis retournée consulter à Mauléon ce cher Docteur Casamayor de Planta mais il ne s'est pas montré très optimiste. Je ne me m'accroche que dans l'espoir d'une prochaine permission de Battitta*.

Quelle horreur cette guerre ! Je n'ose plus sortir de peur de croiser une de mes anciennes élèves endeuillée par la perte d'un frère ou d'un fiancé. J'évite notre maire même si je le plains sincèrement de la cruelle mission qui est la sienne.  Je ne vais même plus à la messe, je reste recluse dans ma chambre à prier. 

Je prie, ma chère soeur, pour que ton Michel soit prisonnier quelque part et qu'il te revienne. Je prie pour que le corps de mon fils repose enfin dans la terre qui l'a vu naître. Je prie pour que les trois fils de notre frère Joseph qui a déjà connu la douleur d'en perdre un, soient épargnés. Je prie pour que tous mes neveux et mon fils bien-aimés rentrent sains et saufs. Je prie pour tous ces jeunes de nos villages si loin de leur pays, et pour que cessent les larmes de leurs mères...

S'il faut donner ma vie en échange de la leur, alors je la donne volontiers.

Avec toute mon affection.

Ta soeur dévouée,
Engrâce Irigoyen   

Epilogue : Engrâce Brisé meurt le 17 avril suivant dans sa cinquante-septième année, probablement des suites de son hyposystolie diagnostiquée en 1911. Elisabeth l'apprendra (peut-être) dans une lettre de son beau-frère Martin, ce que j'ai raconté dans mon premier rendez-vous ancestral
Martin Brisé se remarie le 23 décembre 1918 à Saint-Just-Ibarre avec une certaine Charlotte Haramburu de 40 ans sa cadette. J'ignore s'ils ont eu des enfants. 
Le sous-lieutenant Jean-Baptiste Brisé* est "tué à l'ennemi" à Craonne le 4 juin 1917. De cette génération, neuf cousins germains ont combattu pendant la première guerre mondiale, trois sont décédés, deux ont été grièvement blessés, quatre sont revenus indemnes mais sûrement marqués à vie... 

Illustration : Henri Lerolle, La Lettre, 1890.
Sources : AD64 ; Livrets militaires du 64 ; Dossier d'enseignement d'Engrâce Brisé née Irigoyen (1859-1916) consultable aux Archives départementales de Pau (64) ; sur l'hyposystolie : Dictionnaire médical ; Biographie du Dr Auguste Casamayor Dufaur de Planta (1872-1921) : Réseau des Médiathèques de l'agglomération de Pau

mercredi 21 février 2018

Un jugement de Salomon

Saint-Just-Ibarre, jeudi 5 janvier 1899
Ma très chère Elisabeth,

Jusqu'à la dernière minute, j'ai espéré que ma Sainte patronne intercéderait pour moi mais si les voies du Seigneur sont impénétrables celles de notre inspecteur d'académie sont hélas prévisibles et immuables ! Ce matin, son dernier courrier m'intimait l'ordre de rejoindre le plus tôt possible mon nouveau poste à Ibarrolle ! 

Ibarrolle ! Gaichoua ! Même pas deux cents habitants, deux fois moins qu'Aussurucq ou Saint-Just ! Voilà comment on me remercie de vingt-cinq ans d'enseignement et seize années à la tête de l'école des filles de Saint-Just ! Mon école était bien tenue, fréquentée par une trentaine d'élèves, un des taux de scolarisation les plus élevés et rentables du canton, et sais-tu quel argument m'oppose cet inspecteur ? 

"Votre nomination à Ibarrolle n'a nullement été provoquée par la plainte dont vous avez été l'objet mais pour des motifs purement scolaires. L'administration désireuse de ramener le calme dans la commune de Saint-Just depuis trop longtemps agitée par la mésintelligence qui régnait entre l'instituteur et l'institutrice, a jugé absolument nécessaire le changement simultané des deux maîtres qui donnaient à leurs élèves et à la population un fâcheux exemple de désaccord." 

Notre cher père* aurait dit : "Un beau jugement de Salomon !" Parlons-en de cette plainte. Elle a été arrachée à de braves pères de famille qui pour certains ne savaient ni lire ni écrire. Mon collègue Monsieur Jauréguy qui avait depuis longtemps perdu la confiance des parents à cause des mauvais traitements infligés à ses élèves, avait fait l'objet d'une première pétition en août dernier demandant son départ. Pour lui, la messe était dite, il allait partir.

Parce que sa classe était déserte et la mienne fréquentée, il nourrissait une profonde jalousie à mon égard, traduite par d'incessantes insultes et tracasseries. Aussi, sa dernière manoeuvre, son "coup de pied de l'âne", fut de m'entraîner dans sa chute en obtenant mon déplacement en même temps que le sien. 

Un jour de novembre, à la sortie de la messe (!), le conseiller municipal Iribarne, ami zélé de l'instituteur, réunit une cinquantaine de parents d'élèves et leur proposa de pétitionner pour empêcher ce dernier d'être déplacé trop loin et dans de trop mauvaises conditions. La plupart ne comprenant pas la teneur du texte, ne se rendit même pas compte qu'ils me condamnaient à partir. Imagine-toi, même le beau-frère de mon mari l'a signée ! 

Pour l'inspecteur, la cause était entendue. Malgré plusieurs courriers du conseiller municipal Etcheverry, mon meilleur avocat dans cette lamentable affaire, l'intervention à deux reprises du sous-préfet et même - paraît-il - un mot du député, il a préféré me sacrifier... 

Le 31 décembre, je lui ai moi-même écrit. Je me suis adressée à lui comme une mère de famille, contrainte de laisser ses deux garçons de neuf et sept ans, comme une épouse dont le mari a depuis longtemps sa clientèle ici et ne peut donc la suivre, comme une enseignante consciencieuse dont le succès aux examens de ses élèves a montré son investissement depuis tant d'années, rien n'y fit.

Voilà ma chère soeur, je n'ai plus d'autre choix que de me rendre à Ibarrolle, un village qui, même s'il n'est pas très loin d'ici, m'est totalement étranger. Mais je ne m'avoue pas vaincue et demanderai très vite ma réintégration à Saint-Just**. 

Vous espérant tous en bonne santé,
Bien à toi.

Ta soeur dévouée,
Engrâce Irigoyen 

*   Dominique Irigoyen, lui-même instituteur, est décédé le 9 juin 1898.
** Madame Brisé restera 9 mois à Ibarrolle. En septembre 1899, elle rejoint son dernier poste à Bunus, commune limitrophe et de même taille que Saint-Just-Ibarre. Elle y passera 12 ans et prendra sa retraite le 1er janvier 1912.

Lexique : Gaichoua : expression qui peut se traduire par "bon sang !"
Illustration : Jose de Almeida Jr, 1899.
Sources : AD64 Dossier d'enseignement d'Engrâce Brisé née Irigoyen (1859-1916) consultable aux Archives départementales de Pau (64).

jeudi 16 novembre 2017

La saga Urrizaga (III) - Les familles

Si je me réfère aux précieuses notes de Julian Alson-Haran déjà évoquées,  aux 17e et 18e siècles, de nombreux patronymes transmis de père en fils étaient souvent composés de deux noms accolés. Dans mon arbre, c'est le cas de De Barcelona y Granada (Maria Francisca, ma sosa 717, née en 1710) ou De Barcelona y Eguigorri (Bernardo, mon sosa 712 né ca 1700). 

Les Barcelona font partie des quatorze maisons nobiliaires de Valcarlos ou Luzaide. Son blason, décrit dans "L'Armorial de Bayonne, Pays basque et sud Gascogne" de Hubert Lamant Duhart, est constitué "d'argent à quatre fasces ondées de sinople" (vert en héraldique). La maison familiale devait se situer le long du chemin de Compostelle où il était d'usage d'accueillir les pèlerins, gracieusement ou non (comme de nos jours, somme toute).

A partir du 18e siècle, le nom est donné par le père mais cette règle n'est pas toujours suivie. J'ai déjà évoqué dans un de mes premiers billets le rôle de la maison au Pays basque. Au nom hérité du père vient s'accoler celui de la maison comme pour Bernard Barcelona-Meharin, né le 6 octobre 1857 à Arnéguy dans la maison Meharinia.

Julian Alson-Haran note également une forte consanguinité (in breeding) des familles de Valcarlos. La mémoire familiale véhiculait deux légendes à propos des Urrizaga, que mes arrière-grands-parents étaient cousins germains ce qui est archi faux et que nous avions des origines nobles, ce qui est partiellement faux à moins de considérer le blason des Barcelona comme le nôtre !

Ce qui est sûr c'est que je ne compte pas dans mon arbre le nombre de fils Urrizaga mariés à des filles Barcelona ou l'inverse. Le premier, Domingo Urrizaga dont j'ai déjà parlé (mon sosa 176) épouse à Valcarlos le 27 février 1786 Graciana Barcelona (ma sosa 177, baptisée le 12 juin 1760). La sœur cadette de Graciana, Maria Barcelona, baptisée le 28 mars 1764 à Valcarlos, épouse le 11 octobre 1784 Juan Gortari, né le 6 février 1748 toujours à Valcarlos. Ce sont mes sosa 180 et 181, les grands-parents paternels de Graciana Gortari (ma sosa 45) qui épousera en 1841 ... Pedro Urrizaga (mon sosa 44) ! A ce stade, j'espère n'avoir perdu personne.

Pour terminer sur une note plus légère, un mot sur la photo choisie pour illustrer ce billet. Pas d'ancêtres douaniers du moins dans cette branche à ma connaissance mais j'aime bien cette photo. Elle rappelle que Valcarlos se situe sur la frontière avec la France et que même si le village n'est qu'à trois kilomètres d'Arnéguy, mes ancêtres étaient espagnols ou français selon le versant de la vallée où ils avaient vu le jour...
[A suivre]

Note : Pour les non initiés à la généalogie, la numérotation dite de Sosa-Stradonitz est une méthode de numérotation des individus permettant d'identifier par un numéro unique chaque ancêtre dans une généalogie ascendante. 

Illustration : Carte postale Delcampe.net
Sources : Armorial des familles basques sur Wikipedia, notes de Julian Alberto Alson Haran, Geneanet, FamilySearch, AD 64, Généalogie 64

mercredi 21 juin 2017

Quand le sort s'acharne sur une famille

En parcourant l'acte de mariage de mes trisaïeuls Martin Etchemendy et Isabelle Esponda avant ma "rencontre" avec cette dernière, j'ai vu que celle-ci était fille unique. Néanmoins, il y était fait état d'un cousin germain du côté paternel auxquels ses parents avaient emprunté une assez grosse somme. Dette que le mariage avec "Martin l'amerikanoak" allait pouvoir éponger...  

Le cousin en question, Jean Esponda, cultivateur et maître de la maison Bordato à Béhorléguy, tel qu'il est mentionné dans l'acte en question, est né le 23 juillet 1821 et a donc trente ans quand il se marie le 24 novembre 1851 avec une jeune fille du même village, Dominica Larralde. Ensemble, ils auront d'abord deux fils dont le deuxième, Arnaud, décède à l'âge de cinq mois, suivis de huit filles. Cette famille, à première vue banale dans le contexte de l'époque, va pourtant me révéler bien des surprises. 

Le 17 décembre 1873, Jean le père qui a plutôt bien réussi dans la vie au point de pouvoir aider son oncle dans le besoin, meurt à l'âge de 52 ans dans sa maison de Bordato. Huit jours auparavant, le notaire, Maître Jean-Baptiste Etcheverry de Saint-Jean-Pied-de-Port vient sur place rencontrer un homme malade certes mais "sain de corps et d'esprit" qui souhaite dicter son testament. Sa femme, Dominica Larralde en profite pour en faire de même.

S'ils sont assez classiques (jouissance des biens et usufruit au dernier vivant) et désignation d'une héritière, en l'occurrence la fille aînée Gracianne, née le 6 mai 1852, une mention dans ces testaments m'intrigue. Ils stipulent en effet que l'héritière doit rester dans la ferme et renoncera à ses droits si elle part en Amérique. Pourquoi cette précision ? Et surtout pourquoi aucune mention n'est faite du fils aîné, Jean, né le 2 janvier 1847 ?  

L'explication viendra plus tard dans l'inventaire des biens familiaux demandé par Gracianne Esponda le 21 janvier 1875, le jour de la signature de son contrat de mariage avec Jacques Harguindeguy lui aussi natif de Béhorléguy. Pour la première fois, on évoque un frère Jean "consanguin", cultivateur à Buenos-Ayres !

Dans les registres de l'agent Guillaume Apheça, déjà évoqués, je trouve bien un Jean Esponda de Béhorléguy embarqué le 5 décembre 1873 à bord de la "Gironde". Ce qui, si c'est bien lui, voudrait dire qu'il est parti deux semaines avant la mort de son père, lequel était déjà malade. Il est alors âgé de 26 ans et en toute logique devrait être l'héritier. Mais au Pays Basque, il n'était pas rare que les parents désignent un autre enfant pour leur succéder... 

Envie de nouveaux horizons, "enrôlement" par un habile "marchand de palombes", reniement par ses parents qui lui préfèrent sa soeur et ne le mentionnent même pas dans leur testament ? Quelles sont les motivations de Jean ? Nous ne le saurons jamais... Mais une autre surprise de taille nous attend à la lecture de l'inventaire et du contrat de mariage de la fille aînée !   

L'année 1874, c'est-à-dire celle qui suit le départ du fils aîné pour l'Argentine et la mort du père, voit mourir trois sœurs dans la maison Bordato. Catherine, la cadette de Gracianne, née en 1854, s'éteint à l'âge de 20 ans le 22 août. Le 20 septembre, c'est au tour de Dominica dite Domena, âgée de 17 ans (née en 1857) et trois jours après, le 23 septembre, Marie âgée de 15 ans (née en 1859) les suit au cimetière !

A quoi les trois sœurs ont-elles succombé ? Tuberculose, choléra ? (mais au vu des registres, il n'y a pas eu d'autres décès dans la commune cette même année laissant penser à une épidémie). Pire, un autre nom interpelle dans le récapitulatif des décès de 1874 à Béhorléguy, celui de Dominica Larralde, leur mère ! Veuve, âgée de 50 ans, on peut imaginer que Dominica meurt de chagrin le 19 novembre de cette même année. Quelle hécatombe !


Ainsi, lorsque Gracianne alors âgée de 23 ans se fiance avec Jacques Harguindeguy et fait procéder à l'inventaire de la maison, elle se retrouve chef d'une famille décimée. Son oncle maternel Martin Larralde devient tuteur des trois petites sœurs restantes (une est morte en bas âge), Marie-Gasté, Brigitte et une autre Gracianne, âgée de 13, 11 et 8 ans au décès de leur mère. Jean Chembero, cousin de leur père (et de mon aïeule Isabelle) est désigné comme subrogé tuteur.

Il arrive parfois que la généalogie réveille de petits et grands drames intimes enfouis sous de vieux papiers ... 

Illustration : Un jour gris dans la vallée, Angel Cabanas Oteiza;
Sources : AD 64 (état civil et archives notariales), Institut culturel basque (Eke-icb) pour les registes de Guillaume Apheça.     

samedi 17 juin 2017

A la claire fontaine m'en allant promener

La source n'était qu'à une centaine de mètres de la Maison Çubiat, je m'étais cachée à proximité de la fontaine et j'entendais les voix aiguës des femmes. C'était là me semblait-il que j'aurais le plus de chances de la croiser, sur le chemin du retour. Il ne me restait plus qu'à espérer qu'elle serait seule.

Elle apparut soudain au détour d'un sentier bordé de hautes fougères, marchant d'un bon pas malgré la lourde ferreta perchée sur sa tête qui la déséquilibrait quand son pied heurtait une pierre. Je tentais une approche : 

"Vous me faites penser à une Indienne ! 
- Vous venez d'Amérique ? Comme mon promis ?
- Non, pas ces Indiens-là, une Indienne d'Inde, c'est un pays lointain où j'ai vécu, en Asie. Les femmes portent des cruches en terre cuite sur la tête, comme vous votre seau. Ce sont elles qui sont préposées à la corvée d'eau.
- Ah bon !" Elle me détailla avec ses petits yeux noirs perçants et reprit :
- "Vous êtes bizarre, vous, en cheveux, et en pantalon comme un homme !
- Je viens du 21e siècle, c'est comme ça que les femmes s'habillent maintenant, enfin pas toujours...
- Ouille, ouille ama, on aura tout vu ! Et vous êtes qui ?
Ça va vous paraître bizarre mais je suis votre arrière-arrière-petite-fille, vous êtes la grand-mère paternelle de mon amatxi.
- N'importe quoi, je ne suis pas encore mariée !
- Je sais mais vous le serez bientôt. Vous êtes fiancée à Martin Etchemendy d'Arnéguy, un Amerikanoak qui vient de rentrer au pays. Et il est drôlement riche, dites donc ! Entre l'héritage de sa mère décédée au printemps dernier et la petite fortune qu'il a ramenée d'Amérique où l'on dit qu'il aurait aidé à trouver une mine d'or, il apporte plus de 4000 francs.
- Vous êtes bien renseignée, à croire que vous travaillez pour Maître Etcheverry, notre notaire de Saint-Jean-Pied-de-Port...
- J'ai mes sources, moi aussi.
- Ah, et maline en plus, vous me plaisez malgré votre tenue débraillée. Mais vous savez, je suis un beau parti moi, le meilleur à Mendive et à plusieurs lieues à la ronde !
- C'est exact, vous êtes Isabelle Esponda, la fille des maîtres de Çubiat et vous êtes fille unique. Mais vous avez pris votre temps, 32 ans pour un mariage en 1873, c'est tard. Finalement, vous êtes en avance sur votre siècle, c'est environ à cet âge que les filles se marient chez nous maintenant..."

Elle se tut, peut-être étais-je allée trop loin ? Et puis, sur le ton de la confidence :
- "Oui, je sais, peut-être un peu tard aussi pour avoir des enfants...
- Rassurez-vous, vous en aurez plusieurs, sinon, je ne serais pas là pour vous parler. Mon arrière-grand-père Jean sera le troisième, et il y en aura encore deux après.
- Je n'ai donc pas besoin alors d'aller aussi souvent à la Chapelle Saint-Sauveur sur la route d'Iraty ?
- Celle des légendes ? Evitez, vous risqueriez de rencontrer le Basajaun ! (rires).
- Vous faites vous-même une drôle de sorcière, Mademoiselle-je-sais-tout !
- Eh oui, c'est ça la généalogie, ça vous rend omniscient (rires)."

Haussant les épaules, Isabelle reprit sa démarche chaloupée vers la grande maison. En route vers son destin.

Lexique 
Ferrata : récipient en bois servant à porter l'eau sur la tête au Pays Basque (herrade au Béarn).
Amerikanoak ou amerikanuak, Basque qui a fait fortune aux Amériques (Ouest américain, Argentine, Uruguay, Chili) et revient au pays se faire construire une belle maison (ou épouser une héritière comme mon aïeul...).
Ama : maman, Amatxi, grand-mère (en Basse Navarre et au Labour).
Basajaun : littéralement "Seigneur de la forêt", homme corpulent, poilu et sauvage, assez terrifiant, protecteur des troupeaux.

Sources : AD 64 (état civil et archives notariales), mémoire familiale, Objets d'hier (pour la ferrata), paysbasque1900.com et aussi ici pour la légende de la chapelle St Sauveur.
Pour ceux que la mythologie basque intéresse, je recommande la trilogie du Baztan de Dolorès Redondo (traduit de l'espagnol, en poche chez 10-18).
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.