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mardi 7 avril 2020

Monographie d'une commune basque : Aussurucq (V)

 
Au centre du village d'Aussurucq trône l'église. Dédiée à Saint-Martin, elle est mentionnée dès 1189 comme chapellerie de la commanderie d'Ordiarp, surplombant le château de Ruthie, elle en occupait le sommet de l'enceinte. Pour y accéder, on emprunte un escalier imposant qui la fait dominer tout le village. Elle est de style souletin avec son clocher parfois dit trinitaire mais qui en fait est un clocher calvaire représentant Jésus et ses deux compagnons d'infortune sur le Golgotha.

Contrairement aux autres églises de la Soule elle n'a jamais été murée. Sur son flanc droit, on distingue encore la "porte des agots" par laquelle ces "bannis" qu'ailleurs on nomme "cagots" avaient accès à l'église. 
Comme c'est souvent le cas en Pays basque, l'église est ceinte par le cimetière. Pas de monument aux morts à Aussurucq, c'est sous le porche qu'une plaque égrène les noms des disparus des dernières guerres. J'avais consacré à mon grand-oncle Michel Eppherre (1885-1916) et à ses deux cousins germains deux billets à retrouver ici.

L'intérieur de l'église a un petit côté baroque qui peut surprendre dans un village de quelque 250 âmes mais le Pays basque a toujours été très croyant et pratiquant et le reste encore même si, comme partout ailleurs, les curés se font rares et que ce sont désormais les laïcs qui assurent un service aux côtés de prêtres obligés de se partager entre plusieurs paroisses.

Depuis quelques années se tient en juillet dans un cadre qui s'y prête parfaitement un événement musical, "Aussurucq Lyrique" où de belles voix résonnent entre ces murs qui en ont déjà entendues d'autres. Les Basques, je l'ai déjà dit, ont des voix puissantes - surtout les hommes - un sens inné de l'harmonie vocale et leurs polyphonies n'ont rien à envier à celles des Corses ! 

J'ai un souvenir très vif à ce sujet : lorsque petite fille âgée de neuf ou dix ans, j'assistais à la messe assise en bas de l'église de Mauléon avec ma mère et ma grand-mère, je reconnaissais non sans une certaine fierté la voix de ténor de mon grand-père s'élevant de la galerie où la tradition voulait que les hommes se tiennent.  

Mais il est temps d'arrêter là le "dépliant touristique" pour en arriver à la généalogie. Sauf erreur de ma part, un seul de mes ancêtres a été desservant de cette église, Jean ou Jean-Baptiste Recalt, né vers 1737 à Sunharette, fils de Bernard Recalt, mon sosa 268, laboureur et maître de la maison du même nom à Sunharette. 

Jean Recalt fut prêtre à Aussurucq avant de l'être dans les paroisses de Lacarry, Charritte et Arhan. Il a d'ailleurs terminé sa vie à Lacarry le 21 juin 1808, où il a été inhumé dans le cimetière du village et a laissé à la postérité un testament chez M° Detchandy, notaire à Abense-de-Haut, qui m'a permis de bien avancer dans mes recherches. Grâces lui soient rendues ! Jean Recalt joue aussi un rôle dans un de mes premiers billets intitulé "Les deux orphelines et l'église d'Aussurucq". 

Il reste encore beaucoup à dire sur cette église et le rôle qu'a joué la religion dans ce village mais comme ceux de mes lecteurs qui me connaissent bien le savent, je n'aime pas les billets trop longs...

A suivre...
Illustrations : 
Première photo : carte postale ancienne Delcampe
Photos suivantes : collection personnelle
Sources :
Sur l'histoire de l'église Aussurucq : descriptif dans l"église
Liens avec les épisodes précédents http://bit.ly/2UlkR3b,  http://bit.ly/3dnyzey  https://bit.ly/33LITse, https://bit.ly/2wU86EX

mercredi 15 janvier 2020

Les mariés de l'an V

On ne dira jamais assez tout ce que le généalogiste doit aux indexations réalisées le plus souvent par des bénévoles d'associations. Ainsi, Mariages 33 (avec un lien sur Geneanet) m'a-t-il permis de retrouver un ancêtre que je n'aurais jamais débusqué sans cette aide. Le président de l'association girondine rencontré lors d'une précedente édition du Salon de la Généalogie m'avait bien fait une démonstration en tentant une recherche sur mon nom mais à l'époque, elle n'avait rien donné.

Et pour cause, je n'avais pas pensé aux orthographes fantaisistes de celui-ci et encore moins imaginé que les Archives de Bordeaux Métropole pouvaient couvrir une période de trois siècles commençant sous la Révolution, exactement de 1792 à 1916 ! Récemment, la mise en ligne des décès de 1970 à 2019 par l'Insee avec là encore un lien sur Geneanet, m'a amené à relancer une recherche sur mon patronyme.

Et là, ô surprise, je tombe sur un Simon Depherre marié à Bordeaux le 1er Ventôse de l'an V, soit le 19 février 1797 en plein Directoire ! Un vrai bonheur à lire cet acte, clair, détaillé, voilà qui me change des pattes de mouche des grimoires de la Soule à la même époque ! Ma première réaction va pourtant être un petit coup au cœur comme en éprouve souvent le généalogiste amateur.

Je m'explique. J'ai mis quatre ans à relier les Eppherre dont je descends aux Eppherre de Barcus, berceau de la maison du même nom et de la famille. L'une de ses branches remonte à un François Epherre dit Iriart (sosa 144) qui a fait souche à Alos, l'autre à un Simon Eppherre dit Recalt (sosa 32) qui lui, a "donné" les Eppherre de Sunharette puis d'Aussurucq. L'un est l'oncle paternel de l'autre, on parle donc de deux générations distinctes.

Que vient faire là-dedans mon Bordelais qui lui aussi se prénommait Simon ? Passé cette seconde d'appréhension sur la validité de mes hypothèses (étayées par des sources très sérieuses, je rassure mon lecteur !), son acte de mariage m'apporte toutes les réponses aux questions que je me posais à son sujet. Fils d'Arnaud Epherre dit Uthurralt, de Barcus et de Marguerite Uthurralt, de Restoue, c'est donc un neveu de François et un cousin germain de l'autre Simon.

En ce premier jour de Ventôse an V, Simon épouse à 34 ans, une dénommée Marie Burguburu d'un an son aînée, elle-même originaire de Tardets en Haute-Soule. Il "loue ses services" ce qui peut se traduire par homme à tout faire, journalier, tandis qu'elle est caffetière (sic) auprès de ses parents dans un café sis au 7 rue du 10-août à Bordeaux-Nord. 

En dehors de son acte de décès survenu le 5 décembre 1815 alors qu'il est cafetier au 16 rue Dauphine à Bordeaux (section 1) à l'âge de 53 ans, je n'ai trouvé ni actes de naissance d'enfants ni acte de décès de son épouse qui lui a survécu. A-t-elle encore déménagé ? Est-elle rentrée au pays ? Pour le moment, aucune piste...

Quant à l'arrivée de ce cadet basque (cinquième sur une fratrie de six) à Bordeaux, je pencherais pour une enrôlement comme soldat au sein du 4e Bataillon des Chasseurs basques, déjà évoqué, qui  joua un rôle de maintien de l'ordre dans la ville sous la Convention.

Une dernière chose, Simon était sans doute le filleul d'un de ses deux oncles paternels prénommés comme lui, dont un était Docteur en théologie et vicaire de Chéraute tandis que l'autre était curé d'Orthez, les deux réputés curés réfractaires, et dont on perd la trace en Espagne en 1792. Le premier réapparaitra néanmoins en 1803 au moment du rétablissement du culte, et deviendra le premier curé concordaire à Chéraute puis à Ordiarp. 

C'est un euphémisme que de dire que la Révolution française a bouleversé l'Histoire mais j'aime quand la petite histoire de mes ancêtres rencontre ainsi la grande...

Illustration : "L'accordée du village" de Jean-Baptiste Greuze (1761). Musée du Louvre.
SourcesAD64, Archives de Bordeaux-Métropole (acte de mariage), Mariages33Geneanet.
Sur les curés réfractaires : Gallica.bnf

mardi 15 mai 2018

Quatorze enfants, quatorze destins

En cette Journée Internationale de la Famille*, j'ai choisi dans ma généalogie celle qui me semblait le mieux incarner cette mosaïque de caractères et de destins qui constitue une famille. Sociologiquement parlant, le fait qu'elle ait été issue d'une province "reculée" du Pays basque dans un 19e siècle encore largement rural, et soumise à des traditions très ancrées (primogéniture, rôle de la maison, sort des cadets...), la rendait encore plus intéressante. 

Pour cette fois, je ne m'attacherai ni au père, Dominique Irigoyen (1829-1898), instituteur, dont j'ai souvent parlé ici, ni à la mère, Marie-Jeanne Dargain-Laxalt (1833-1907), propriétaire, elle aussi déjà plusieurs fois mise à l'honneur, mais à la fratrie issue de ce couple. Mariés le 27 novembre 1851 à Aussurucq (Basses Pyrénées), ils auront quatorze enfants entre 1853 et 1877 dont dix parviendront à l'âge adulte. 

L'aînée, Marie dite "Maddie", aurait pu être l'héritière. Née le 17 février 1853 dans la maison Laxalt (ou Laxaltia), elle va pourtant choisir une autre voie ou plutôt répondre à une voix, celle du Seigneur. Entrée dans la Congrégation des Filles de la Croix à Bidache en novembre 1869, elle prend le nom en religion de Sœur Marie Nicéphore. Elle a à peine prononcé ses vœux, le 25 septembre 1871, qu'elle meurt brusquement le 23 novembre suivant, à seulement dix-huit ans.  

Curieusement, Marguerite dite Mallaïta, la suivante, née le 31 août 1854, ne se mariera pas dans son village natal mais à Saint-Just-Ibarre (Donisti Ibarre), petit village de Basse-Navarre. Couturière, elle épouse un "manech", Bernard Arruyé (ou Arruyer), brigadier-cantonnier de son état, le 12 juillet 1885. Ils n'auront pas d'enfants, et Mallaïta s'éteindra le 26 mars 1938 dans sa maison Antondeguia à l'âge de 83 ans. 

Le premier garçon de la fratrie, né le 9 septembre 1855 se prénomme Pierre. Je ne sais pas grand-chose à son sujet si ce n'est qu'il est gendarme à Lasseube, un gros bourg béarnais de 2200 habitants.  A-t-il été blessé, est-il tombé malade ? Toujours est-il qu'il meurt à trente ans, le 5 octobre 1885, dans la maison familiale "Etcheberria". Son nom figure sur le caveau de famille à Aussurucq.

Joseph, né le 16 mars 1857 à Laxaltia comme ses aînés, ne s'éloignera pas beaucoup de la famille. Le 13 novembre 1883, il épouse à Aussurucq une fille du village, Marie Carricart-Garat mais c'est dans le village voisin de Suhare qu'ils vont s'installer comme cultivateurs. Marie lui donnera huit enfants, autant de filles que de garçons et aura la douleur de perdre un fils à la guerre, tombé à Craonnelle en septembre 1915. Joseph lui, s'était éteint en 1902 dans sa maison Urruty de Suhare.

Cinquième de la fratrie, mon arrière-grand-mère Elisabeth naît le 12 avril 1858. Avec son mari Dominique Eppherre (1851-1928), originaire de Sunharette dans la Soule, ils vont avoir onze enfants dont mon grand-père Pierre, né en 1901, sera le petit dernier. Eux aussi vont perdre un fils en 14-18, Michel, mort à Verdun en 1916. Elisabeth et Dominique vont hériter de l'etxea (maison, dépendances et terres) d'Etcheberria.

Cadette d'Elisabeth de dix-huit mois, Engrâce est la seule qui va suivre les traces de son père et devenir institutrice. Sa vie m'a semblée tellement romanesque que je lui ai consacré plusieurs billets, ainsi qu'à ses deux fils, Jean-Baptiste et Dominique, victimes eux aussi de la folie meurtrière de la Grande Guerre. Comme sa sœur aînée Marguerite, Engrâce avait épousé en 1887 un gars de Saint-Just-Ibarre, Martin Brisé. Malade du coeur, elle décède le 17 avril 1916, à 56 ans.

Marianne dite Mañaña est celle dont j'ai eu le plus de mal à retrouver la trace. Née le 21 avril 1861, elle épousera un cultivateur de Musculdy, Félix Etchebest, de la maison Egnaut avec lequel elle aura trois filles. Elle repose depuis 1952 dans le cimetière de Musculdy où j'ai retrouvé récemment le caveau de la famille Etchebest "Enautenia".

Né le 22 mai 1863 dans la maison Laxalt, un deuxième Pierre y décède le 3 septembre 1873. Ces deux dates encadrent la trop courte vie de ce petit garçon mort à dix ans pour des raisons inconnues. Deux ans plus tard presque jour pour jour, naîtra un petit Martin qui ne vivra que six jours. Entre les deux, Jeanne née le 26 août 1864 aura elle, une longue vie.

La "Tante Jeanna" sera en effet d'abord gouvernante du curé-doyen de Tardets avant de s'installer dans la maison-épicerie-café dite "Zubukota" de sa nièce Julienne Eppherre (1891-1953), fille d'Elisabeth et de Dominique Eppherre. Elle rendra son dernier souffle le 22 juillet 1951 à presque 87 ans, entourée de ses nombreux neveux et nièces.

Les deux suivants, respectivement "numéros" 11 et 12 de la fratrie, Grégoire et Michel, font partie de ces très nombreux cadets partis tenter leur chance en Amérique, ce qui dans leur cas, leur a plutôt réussi. J'ai évoqué l'histoire de "Gregorio et Miguel Irigoyen-Dargain" dans deux précédents billets intitulés "Deux frères partis faire fortune au Chili".

L'avant-dernier, Jean, naît le 23 septembre 1871 à Laxaltia et décède moins de trois ans après, le 25 août 1874, à Etcheberria (la "maison neuve"). C'est donc dans ce laps de temps que mon aïeul Dominique Irigoyen fit l'acquisition-restauration de son etxondoa**. Peut-être est-ce ce pauvre petit qui, si l'on en croit la tradition orale, fit une chute dans l'escalier de la nouvelle maison et perdit ainsi la vie ?

Du quatorzième et dernier enfant, Jean-Pierre, né le 22 octobre 1877 alors que ses parents sont déjà âgés respectivement de 48 et 44 ans et que ses aînés ont plus de vingt ans, on ne sait rien ou presque.  Lors du recensement de 1901, jeune homme, il vit encore au foyer de sa sœur Elisabeth et son mari Dominique. Sa trace se perd ensuite mais d'après la mémoire familiale, il aurait émigré en Argentine. Paradoxalement, celui qui nous est le plus contemporain est celui pour lequel nous disposons du moins d'informations. Peut-être un jour... ?
*Depuis 1993, les Nations unies ont choisi le 15 mai pour marquer la Journée Internationale des Familles. L'occasion de mieux connaître les questions relatives à la famille ainsi que les processus sociaux, économiques et démographiques qui affectent les famillesSophie Boudarel, généalogiste professionnelle, propose comme Généathème du mois de mai de nous pencher sur une famille de notre généalogie : En connaît-on tous les membres ? Quels ont été leurs parcours ? Sont-ils tous restés au même endroit ? Ont-ils eu la même destinée ?  
**Etxondoa : maison-souche
Illustration : Mauricio Flores Kaperotxipi (1901-1997)
Sources : AD 64 (état civil, actes notariés, fiches matricules, registres d'instituteurs), Gen&OFamilySearch et mémoire familiale (merci à mon père, mes "tantes" Marie, Thérèse et Georgette, mes cousines Annie et Julienne ainsi que María Isabel et Miguel Hernan au Chili). 
Remerciements à Sœur Clotilde Arrambide de la Congrégation des Filles de la Croix à La Puye (86) pour ses précieuses informations sur Sœur Marie Nicéphore.

samedi 20 mai 2017

Histoire d'un rendez-vous manqué

Carte postale ancienne Delcampe.net
Bientôt deux heures que je suis seule dans cette petite salle du Château de Ruthie. Devant moi, étalés sur la table, une douzaine de registres reliés en cuir rouge que m'a apportés la secrétaire de la mairie d'Aussurucq. Deux heures que je déchiffre des écritures des siècles passés et qui, mis bout à bout, résument une vie : on naît, on se marie, on a des enfants, on meurt. 

J'ai un peu chaud, ma vue se brouille, mes pensées vagabondent de plus en plus... Soudain, des bruits de voix dans la pièce d'à côté :
"Mais enfin, mon Père, vous pensez qu'ils vont bientôt arriver ? C'est que je n'ai pas que ça à faire moi, on m'attend à l'étude !
- Ne vous inquiétez pas, Maître, Monsieur l'instituteur est homme de parole".   

Je glisse un œil par la porte entrebâillée. J'ai beau savoir que le château servait de presbytère avant d'abriter la mairie, qu'elle n'est pas ma surprise de voir un curé en soutane devisant avec un gentilhomme en habit semblant tout droit sorti d'un roman de Balzac ! De plus en plus irrité, celui-ci se saisit d'un porte-plume et commence à écrire tout en énonçant pour l'auditoire :

"Aujourd'hui, 6 octobre 1856, par devant nous Jean Casenave, notaire à la résidence de Mauléon, chef-lieu du troisième arrondissement des Basses Pyrénées furent présents la dame Engrace Iribarne appelée aussi Sorçaburu ou Sagaspe, travaillant au métier de tisserante (sic) résidant en ladite commune d'Aussurucq et..."

A ce moment, j'aperçois une femme que je n'avais pas vue, la quarantaine, coiffée d'un mouchoir de tête blanc et chaussée de sabots de travail. A ses côtés, un homme du même âge vêtu de la traditionnelle chamarra* noire et le béret posé sur l'occiput. 

"Ah les voilà ! s'écrie l'homme d'église, je vous l'avais bien dit, Maître." Il n'a pas l'air en forme notre brave curé, sa mine est grise et son souffle court quand il accueille ses ouailles, un jeune couple que je reconnais aussitôt sans les avoir jamais vus : mes arrière-arrière-grands-parents, Dominique Irigoyen, instituteur du village, 27 ans, présente ses excuses au notaire, sa jeune femme Marie-Jeanne Dargain-Laxalt s'est sentie soudain souffrante.  

J'ai bien envie d'aller les saluer mais je ne pense pas que ce soit du goût de l'homme de loi. Je devine la raison de l'indisposition de ma chère aïeule, je sais qu'elle est enceinte de quatre mois, un petit Joseph s'annonce pour le printemps prochain. Et qu'elle est déjà fatiguée par ses petites Marie, 3 ans, Marguerite, 2 ans et le bébé Pierre, un an, alors qu'elle-même n'a que 22 ans. Ce qu'elle ignore, c'est que ce ne sont que les premiers de ses quatorze enfants, elle une fille unique !

Sa présence s'explique car c'est elle l'héritière des terres dont parle le notaire en poursuivant maintenant que tous les protagonistes sont là : les deux témoins, le Père Pierre Etchegoyhen-Etcheverry, desservant de la paroisse, et le sieur Dominique Necol dit Jaureguiberry, charpentier, les vendeurs et l'acheteuse. La transaction porte sur une pièce de terre labourable de dix-huit ares vingt centiares (1820 mètres²) appelée "Guessaltia" cédée pour la somme de trois cents francs.

Tous signent l'acte de vente à la suite du notaire, sauf l'acquéreuse qui ne sait pas écrire, et chacun repart vaquer à ses occupations. Je ferais bien un bout de chemin avec mes aïeux mais malgré son jeune âge, Dominique m'impressionne, quant à Marie-Jeanne, elle a l'âge d'être ma fille. Alors, je les regarde prendre la direction de la maison Laxalt en traversant le terrain devant le château qui bientôt abritera un fronton où leurs descendants joueront des années durant à la pelote.

La porte s'ouvre soudain sur la secrétaire de mairie qui m'annonce que celle-ci va bientôt fermer et me demande si j'en ai encore pour longtemps. Un doute me gagne : me serais-je assoupie ?

Epilogue : Mon intuition était bonne, deux jours après cette scène, deux voisins sont venus en mairie signaler que le "pasteur de brebis" du village, le Père Etchegoyhen, s'était envolé au Royaume des Cieux. Quant à mes ancêtres, ils seraient sans doute surpris d'apprendre que sur cette terre de Guessalia, l'un de leurs arrière-arrière-petits-enfants, mon cousin Dominique, a bâti sa maison...

Sources : AD64 (état civil et archives notariales de l'Etude IV de Mauléon, Pyrénées Atlantiques), association Ikarzaleak pour l'histoire du château de Ruthie et mémoire paternelle. 
Lexique : *Chamarra : veste courte noire à une ou deux fermetures portée autrefois en Soule et Basse Navarre.
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

jeudi 20 avril 2017

La pastorale souletine et les curés basques

Pastorale d'Alos, 1928 - Delcampe.net
Un de mes précédents billets s'achevait sur la promesse d'évoquer les pastorales, une spécialité typiquement souletine et une tradition qui perdure encore aujourd'hui. Comme ceci est un blog de généalogie et n'a pas la prétention de faire de la sociologie, je renvoie d'emblée ceux qui veulent en savoir plus, à l'excellent article de l'académicien basque Jean-Louis Davant

Mon premier souvenir de pastorale remonte à l'été de mes neuf ans. On donnait Chiquito de Cambo et il me semble que quelques-uns de mes "oncles" jouaient dedans. C'est drôle les souvenirs d'enfance, j'étais sûre que la pastorale s'était tenue dans un des villages de la Basse Soule alors que c'était à Mauléon, le chef-lieu de canton. Le héros du jour, Bernard Joseph Apesteguy, surnommé Chiquito de Cambo, était né le 20 mai 1881 à Cambo-les-Bains et mort le 27 décembre 1950 à Saint-Jean-de-Luz, C'est un joueur de pelote basque célèbre.


Tout ce dont je me souviens c'est que ça nous avait paru très, très long, à mon petit frère de sept ans et à moi, et qu'on n'y avait pas compris grand chose. C'est assez manichéen, on trouve les gentils (ou les anges) d'un côté, ce sont les bleus, les méchants (ou diables) de l'autre, ce sont les rouges. Ces derniers se déplacent de façon saccadée et frappent l'estrade d'un coup de bâton, les autres ont une démarche plus douce et aérienne (normal, ce sont des anges). 


A la pastorale, les acteurs ne parlent pas, ils chantent une mélopée sur trois temps, en basque de la Soule émaillé parfois de latin. De temps en temps, une phrase musicale ponctue les scènes, toujours la même, Des années après, je suis capable de la fredonner ..


De nos jours pour attirer les touristes friands de culture locale, il est distribué des livrets en français et on a même droit à des écrans géants. Adulte, j'en ai vu une ou deux dans ces conditions et je dois dire que pour moi qui ne parle pas le basque, c'est un progrès. Mais les puristes n'approuvent pas, autant le dire tout de suite. Car la pastorale existe depuis trois ou quatre siècles selon les "exégètes" et répond à des codes bien particuliers.

A propos d'exégète, un qui n'appréciait pas la pastorale "moderne" (au XIXe siècle !) c'était le frère de mon arrière-arrière-grand-mère que j'ai déja évoqué ici. Emmanuel Inchauspé (Sunharette, 1815 - Abense-de-Haut, 1902), vicaire général de Bayonne, linguiste, écrivain et académicien basque en avait après les errejent qu'il traitait, d'après Jean-Louis Davant, d'ignorants prétentieux. Rien que ça. 

L'errejent (du béarnais "régent") est "l'homme orchestre" de la pastorale, librettiste, metteur en scène,  régisseur, souvent acteur. De là à imaginer que le temps d'une pastorale il se prenait pour Dieu, voilà qui provoqua sans doute le courroux des curés...      

mercredi 15 février 2017

L'histoire mouvementée du Collège Saint-François de Mauléon

Collection personnelle ©Mdep
Cette année, je me suis lancée dans un grand chantier, celui de scanner, traiter et archiver nos photos de famille. Mes parents ayant conservé celles de leurs propres parents, je suis tombée sur quelques pépites. Ce cliché doit dater de 1945 ou 1946, et a été pris au Collège Saint-François de Mauléon-Licharre (Basses-Pyrénées). On y voit un groupe d'élèves et leur professeur, un prêtre. Mon père est le troisième en partant de la droite au premier rang, aisément reconnaissable pour moi à ses cheveux blonds et ses yeux clairs.  

J'ai eu envie d'en savoir plus sur l'histoire de ce collège qui, entre parenthèses, existe toujours. Fondée en 1850, l'Institution Saint-François, consacrée à Saint François d'Assise, est un établissement catholique dans cette terre souletine qui rejeta violemment la Réforme quelques siècles auparavant. Il s'établit sur l'ancien couvent des Capucins dont les bâtiments, construits en 1669, abritèrent durant la Révolution Française les Etats Généraux de la Soule avant d'être confisqués comme tous les biens du clergé. Sa chapelle - surmontée comme la plupart des églises souletines d'un clocher trinitaire - fut un temps une église paroissiale*.

L'association basque Ikerzaleak qui fait un travail remarquable sur le patrimoine de la Soule, nous apprend par ailleurs que pendant l'occupation, je cite : "le collège catholique Saint-François à Mauléon est un lieu d'accueil pour ceux qui veulent fuir la France occupée. Il reçoit aussi des enfants juifs, et parfois leurs parents. En décembre 1942, la Gestapo mène une perquisition, sans résultats. L'établissement continue à cacher des enfants alors même qu'à partir de février 1943, une partie des bâtiments est occupée par des éléments de la division SS Das reich, celle qui se signalera dans les derniers jours de l'occupation par le massacre d’Oradour-sur-Glane."

En 1949, on donna dans l'enceinte du Collège Saint-François, la pastorale, "Berreterex" mais ceci fera l'objet d'un prochain billet ...
Pastorale Berterrech - Delcampe.net

*Sources : http://www.lasoule-leguide.fr

mardi 13 octobre 2015

Où Gallica livre deux archives de choix

Guillaume Eppherre (à gauche) en 1971
J'ai déjà évoqué ici Guillaume Eppherre, cousin germain de mon père, prêtre, écrivain et membre de l'académie de la langue basque (Euskaltzaindia). Une récente recherche dans le site de la Bnf, Gallica, m'a amené à m'intéresser à ce parent que j'ai eu la chance de croiser dans mon enfance.

Guillaume naît à Aussurucq le 19 octobre 1911 dans la maison Etcheberria. Il est le second d'une fratrie qui comptera onze enfants. Son père, Dominique (1884-1944) est un frère aîné de mon grand-père Pierre (1901-1970) qui de fait, n'a que dix ans de plus que ce neveu. Sa mère, Jeanne Etchart (1886-1960), est également native d'Aussurucq (maison Larraquia).

Destiné à la prêtrise, il fait sa scolarité au collège Saint-François de Mauléon-Licharre, des études de philosophie au Petit séminaire d'Ustaritz, de théologie au séminaire de Bayonne et enfin, de mathématiques à la faculté de Toulouse. (Sources familiales et Wikipedia)

C'est là qu'il entre au service de l’évêque de Bayonne, Monseigneur Houbaut, comme le rapporte cette coupure de presse du journal La Croix en date du 14 juillet 1937. Deux ans après, la guerre éclate et il est mobilisé.
La Croix du 14 juillet 1937
L'autre archive de Gallica nous apprend qu'il est sergent au 18e RI lorsqu'il est fait prisonnier. On retrouve son nom dans la liste transmise par les autorités allemandes au centre national d'information sur les prisonniers de guerre (j'ignorais qu'un tel service existait !)
Toujours d'après Wikipédia, après la guerre, Guillaume Eppherre devient chanoine honoraire de Bayonne et aumônier au collège Saint-Bernard de la même ville. Ses écrits contribueront largement au rayonnement de la langue basque à travers l’académie dont il devient membre en 1957. Il y siégera en tant que représentant de la province de la Soule jusqu'à sa mort, le 17 octobre 1974.

Celle-ci intervient deux jours avant son 63e anniversaire et douze jours après le décès de son petit frère Grégoire (1929-1974), prêtre comme lui... 

Sources photo : Euskomedia.org

dimanche 21 juin 2015

Où je lis un ouvrage écrit par ... mon arrière-arrière-grand-oncle !

A la recherche de documents sur le Pays basque, je feuillette un ouvrage sur Gallica intitulé "Le peuple basque, sa langue, son origine" écrit par le Chanoine Inchauspé et publié par l'Association française pour l'avancement des sciences, à l'occasion du Congrès de Pau de 1892. Comme ce livret d'une trentaine de pages est passé dans le domaine public, je le télécharge et l'imprime pour le lire tranquillement plus tard.

Mue cependant par la curiosité, je fais une recherche sur Wikipedia sur l'auteur et quelle n'est pas ma surprise de m'apercevoir que le Chanoine Emmanuel Inchauspé est en fait mon arrière-arrière-grand-oncle ! C'est le petit frère d'Anne (sosa 17) que j'ai déjà évoquée plusieurs fois et le fils de Marie-Jeanne Duthurburu (sosa 35), ma "centenaire" ! (lire "Anne, ma sœur Anne" ... et "Où je fais la connaissance de ma première centenaire").

Emmanuel (Sunharette, 1815-Abense, 1902) est déjà dans mon arbre généalogique sauf que pour moi, conformément à son acte de naissance du 12 novembre 1815, il s'appelle Manuel. Encore plus fort, je m'aperçois que lors de ma visite des cimetières "familiaux" au mois d'avril, j'ai pris en photo un tombeau à Abense-de-Haut, sur lequel figurent deux Eppherre, une Marie Jeanne (1844-1925) et une Marie Anne (1854-1923), me promettant de faire des recherches plus tard à leur sujet.

Au milieu de ce tombeau, une épitaphe en basque avait bien attiré mon attention mais comme je ne le parle pas, j'avais deviné plus que traduit. A la lueur de l'article de Wikipedia, je comprends qu'il s'agit bien d'Emmanuel, abbé (apheza), vicaire général du diocèse de Bayonne, linguiste et écrivain !

Quant aux deux Eppherre voisines sur la pierre tombale, il s'agit très probablement de ses nièces maternelles, fille de Anne Inchauspé et de Raymond Eppherre dit Harismendy, mes AAGP (sosas 16 et 17). Les prénoms et dates de naissance collent mais seule une visite à la mairie d'Abense me le confirmerait avec les actes de décès.

Jusque là dans notre famille, il y avait un écrivain et académicien basque, également chanoine, Guillaume Eppherre (Aussurucq, 1911-Bayonne, 1974), un cousin germain de mon père que j'ai connu. Il me plaît de penser qu'aujourd'hui j'en ai découvert un autre...

dimanche 19 avril 2015

Les deux orphelines et l'église d'Aussurucq

William Bouguereau
Dans le hors-série du magazine La Vie que je recommande, Guillaume Roehrig, généalogiste successoral dit qu'il y un côté détective privé dans ce métier. Loin de moi l'idée de me comparer à ce professionnel mais j'avoue que résoudre à mon petit niveau quelques mystères familiaux fait partie du plaisir.  

Récemment, je tombe sur un acte notarié daté du 19 mai 1853, déposé chez Maître Cazenave à Mauléon dans lequel Jean-Pierre Eppherre, mon arrière-arrière grand-oncle, reconnaît une vieille dette au nom de ses deux pupilles mineures, Gracieuse et Annette, âgée de 17 et 14 ans. Déjà orphelines très jeunes de leur mère, Marie Etchalus (1808-1841), elles ont perdu leur père Dominique (1805-1848) quatre ans auparavant. L'acte précise que la famille en a confié la tutelle au plus jeune de leurs oncles paternels, Jean-Pierre. Celui-ci, né en 1818, est célibataire au moment des faits (il se mariera en 1856). 

Curieusement, alors que cette branche de la famille est originaire de Sunharette, la dette concerne la "fabrique" de l'église d'Aussurucq. Le capital restant dû s'élève à trois cent francs soit une rente annuelle de quinze francs. Cela doit représenter une somme pour l'époque car l'oncle tuteur se voit contraint d’hypothéquer les biens immeubles de ses pupilles (bâtiments, cour, jardins, terres cultivées, vigne, prairie, bois et forgerie), situés à Sunharette, pour l'honorer.

A ce stade, je ne vois pas bien le rapport entre l'église d'Aussurucq et ces cultivateurs établis à Sunharette, même si les deux villages ne sont distants que d'une quinzaine de kilomètres. Je devine que leur père Dominique, en tant qu'aîné de la fratrie, a dû lui-même "hériter" de cette dette laquelle, à sa mort, échoit à ses filles. L'acte de 1853 faisant référence a un précédent acte daté du 21 juin 1823, déposé chez Maître Lagarde également notaire à Mauléon, j'espère que la solution du mystère y sera contenue. La chance est de mon côté car je mets la main sur l'acte en question dans les minutes notariales numérisées des AD64.

Celui-ci apporte en fait plus de questions que de réponses et renvoient à deux actes plus anciens datés du 2 septembre 1793 que je n'ai pas retrouvés. Mais ce que je comprends c'est que la dette est à l'origine celle d'un certain Jean Recalt, natif certainement de Sunharette et ... curé d'Aussurucq à la fin du 18e siècle. Dans son testament daté du 11 juin 1808, déposé chez M° Detchandy d'Abense-de-Haut, il désigne comme héritiers un frère, Arnaud, une sœur, Marie et une nièce, également prénommée Marie.

Cette dernière, Marie Inchauspe dite Recalt (1778-1850), mon aïeule, épousera Simon Eppherre (1772-1852). Dominique est leur fils aîné. C'est donc par leur branche maternelle que les Eppherre de Sunharette et nos deux orphelines se sont retrouvés liés au financement de l'église d'Aussurucq...

Illustration : William Bouguereau
Sources : AD 64 (BMS, état civil et minutes notariales).