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dimanche 18 octobre 2020

La quête de Dominique Inchauspé dit Tanto (II)

Personne ne venant troubler notre tête-à-tête, je repris mon récit. Dominique avait cessé de s'agiter et je décidai d'évoquer quelques souvenirs que je pensais plus agréables à ses oreilles.

"Savez-vous, Aitatxi*, que pour un cadet je trouve que vous vous êtes drôlement bien débrouillé ? De nos jours, on parlerait de vous comme d'un self made man ! De 1791 à 1801, vous n'avez cessé d'acheter des terres, d'échanger, de revendre, d'agrandir vos domaines à Abense-de-Haut, Alos, Sibas et Lichans. Vous devenez l'un des plus gros propriétaires de cette partie de la Soule.

En 1807, vous avez 47 ans (je ne vous l'ai pas dit mais j'ai retrouvé votre acte de baptême à Lacarry le 22 avril 1760) et vous réalisez le plus beau coup de votre vie : vous rachetez une terre labourable de cinquante ares et deux arpents trois-quarts sise à Sibas aux Sieurs Armand-Jean et Jacques-Philippe Sibas, père et fils, installés à Salies-de-Béarn. La Révolution est passée par là mais chacun dans le pays sait qu'il s'agit de terres appartenant aux anciens Seigneurs de Sibas même si leurs héritiers ont perdu leur particule.  

Vous acquérez cette terre pour la somme de deux mille francs en argent et pour ce faire, vous versez quatre cent francs d'arrhes et vous vous engagez à régler le solde dans les trois ans à venir avec un intérêt de 5%, payables aux vendeurs chaque année. Le contrat de vente, passé devant M° Pierre Darhan, notaire à Tardets le 15 octobre 1807, stipule que vous hypothéquez également vos immeubles à Abense-de-Haut et Lichans.   

Toutefois, excusez ma curiosité, mais je me suis demandé comment cette fortune vous était venue au départ. Certains actes mentionnaient que vous étiez marchand mais sans préciser de quoi. L'information la plus intéressante que j'ai trouvée vous concernant était contenue dans un acte du 26 Pluviôse an 3 (14 février 1795) dans lequel vous apparaissiez comme voiturier mettant ses mulets et ses chevaux à disposition des charrois pour l'armée des Pyrénées Occidentales basée à Trois-Villes. Vous recrutiez alors un cadet de la maison Quillihalt de Sorholus pour les conduire.  

Un autre acte plutôt édifiant, daté du 29 juillet 1801, rapportait un litige qui vous opposait, vous et votre femme, à votre belle-sœur Augustine Jauréguiberry et son mari Jean-Baptiste Faure à propos de la vente que votre beau-père leur avait faite de la maison familiale de Jauréguiberry d'Abense-de-Haut. Pour plaider votre cause, vous arguiez du fait que vous aviez prêté à celui-ci à deux reprises des sommes importantes, et que le compte n'y était pas. 

Dans le but d'éviter un procès très dispendieux dont le résultat ne pouvait être prévu et qui aurait causé [votre] désunion pour la vie (sic), vous avez trouvé un accord à l'amiable. Je ne peux m'empêcher de penser que votre belle-sœur Augustine vous en a peut-être tenu rigueur malgré tout car dans son testament, elle désigne comme héritière sa petite-nièce Julie Althabégoïty et lègue quelque chose à ses neveux Arotchex mais rien pour les Inchauspé dit Tanto...

Cher Aitatxi, auriez-vous été un tout petit peu procédurier ? Pas plus tard qu'en octobre de l'année dernière, vous avez été à l'origine de la demande d'expropriation de la maison Monsegurenia de Tardets de Jean-Pierre Monségu, l'un de vos petits-neveux par alliance. Le comble étant qu'il était lui-même huissier, fils et petit-fils d'huissier ! J'en ignore la raison mais c'est assez troublant."

Cette fois, Dominique ouvrit un œil torve et me foudroya du regard. Il avait raison, qui étais-je pour venir embêter un vieil homme sur son lit de mort sous prétexte que je lui avais couru après pendant cinq ans ? Pour me faire pardonner, je posai un baiser sur sa main et le remerciai pour tout ce qu'il m'avait apporté. A commencer par la vie...

*Aitatxi : grand-père en basque (écrit aussi aïtatchi)

Illustration : Valentín de Zubiaurre, Personajes vascos.
Sources : AD 64 (BMS, Etat civil et minutes notariales) - Acte de décès de Dominique Inchauspé dit Tanto (sosa 68).
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral

samedi 17 octobre 2020

La quête de Dominique Inchauspé dit Tanto (I)

Le 23 avril 1845, je me glissais subrepticement dans la maison de Pierrisen du bourg d'Abense-de-Haut en Soule. Dans une chambre à l'étage, un lit recouvert d'une courtepointe en laine rouge et surmonté d'un grand crucifix en bois occupait toute la place. De l'oreiller émergeait la tête d'un vieillard chenu qui semblait au plus mal. 

Je m'assis sur une chaise en paille à hauteur de son visage et pris une de ses mains tavelées entre mes doigts. Je me préparai à un monologue plus qu'à un véritable échange, j'ignorai même si son cerveau fatigué capterait mes mots mais peu m'importait, j'avais beaucoup choses à lui dire. Et pour commencer, que j'avais mis cinq ans à le retrouver.

"Aitatxi*, je vous dois une explication. Je suis votre descendante à la sixième génération et depuis cinq ans je m'adonne à la généalogie. Or, vous êtes l'aïeul qui m'a donné le plus de fil à retordre. J'ai su assez vite que vous étiez Dominique Inchauspé dit Tanto, le père de Jean-Baptiste, mon quadrisaïeul. Vous et votre épouse, Marie Jauréguiberry, êtes mentionnés dans son acte de mariage de 1811 avec Marie-Jeanne Duthurburu. Jolie dot entre parenthèses !

Non, mon problème était de vous relier avec une maison Inchauspé et je ne vous apprendrais rien en vous disant que c'est un nom que l'on retrouve dans presque tous les villages basques. Et voilà que récemment, je tombe sur le répertoire des minutes de M° Jean-Pierre Detchandy, notaire ici-même, et que vous avez bien connu si j'en juge par le nombre d'actes où vous apparaissez. 

Dans la marge renvoyant à un acte du 8 août 1789, vous êtes cité comme Dominique Inchauspé dit Tanto mais, vérification faite dans le minutier, l'acte se réfère à un Dominique Inchauspé de Lacarry. Lequel est témoin d'une obligation entre tiers et signe d'une jolie signature. Mue par l'intuition du généalogiste, je parcours les registres de baptême et mariages de Lacarry qui sont assez fournis pour l'époque.

Là, je découvre l'acte de baptême le 13 août 1789 d'un Dominique, fils de l'héritière de la maison Inchauspé de ce lieu et dont le parrain est cadet de ladite maison. Et, - miracle ! - je reconnais votre signature très particulière avec son "I" tirant sur le "y". Je sens que je brûle.

En décembre 1790, toujours dans les minutes de M° Detchandy, les choses se précisent : vous êtes Dominique Elissagaray dit Inchauspé**, cadet de Lacarry et domicilié à Abense-de-Haut, et en mars 1791, vous devenez Dominique Inchauspé, maître adventice de la maison Jauréguiberry (le nom de votre femme !). 

Enfin, en mai suivant, le clerc de notaire se fait encore plus précis : Dominique Elissagaray dit Inchauspé de Lacarry, marchand, résidant à Abense-de-Haut. Il faut attendre mars 1793 pour que vous apparaissiez comme Dominique Inchauspé dit Tanto, maison dans laquelle vous déclarez à partir de 1796 la naissance de deux fils, Manuel et Pierre, et le décès d'une petite fille de 5 ans prénommée Marie."

Avais-je rêvé où étais-je en train de sentir une pression de la main du vieillard dans la mienne ? Raviver ces souvenirs l'avait-il bouleversé ? Si je voulais continuer à dérouler le fil de sa vie, il me fallait user de plus de doigté...     

A suivre...

*Aitatxi : grand-père en basque (écrit aussi aïtatchi)

** Rappel : en généalogie basque, le nom de la maison (domonyme) prime sur celui du père (patronyme).

Illustration : J. Unceta "Aldeano con paisaje y caserío"
Sources : AD 64 (BMS, Etat civil et minutes notariales)

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral

samedi 21 mars 2020

Dialogue avec mon père à propos d'un makhila

"Ce makhila, Papa, tu l'as reçu de ton père ?
- Non, je l'ai acheté il y a une trentaine d'années à Saint-Jean-Pied-de-Port, nous étions en vacances avec ton fils qui était tout petit, on lui avait mis un béret rouge, il en était très fier !
- Oui, je m'en souviens, il devait avoir trois ans. Donc, ce n'est pas ton père qui t'a transmis son makhila ? 
- Je te rappelle que ton grand-père était le dernier d'une famille de onze enfants et qu'il a fait toute sa carrière comme cheminot, il n'en avait pas les moyens ! Tu as une idée de combien ça coûte un makhila ?
- Non, pas vraiment...
- Chez Ainciart Bergara à Larressore qui en fabrique depuis deux siècles, les premiers prix sont à 300 euros et un makhila d'honneur vaut facilement le double ! C'est qu'il en faut du temps pour fabriquer un makhila. D'abord, travailler la tige de néflier. Souple et solide, c'est le bois qu'ont choisi nos ancêtres dès le début pour ce bâton de marche. Les tiges sont scarifiées à même l'arbre. Il faut ensuite l'écorcer, le colorer et le séchage peut prendre dix ans ! Il faut aussi travailler le cuir pour la poignée et la dragonne et le tresser en fines bandes, et enfin la virole est découpée dans une plaque de métal, mise en forme autour de la tige et poinçonnée. La mienne est ornée d'un lauburu, d'une croix basque, si tu préfères".   
"Le makhila était vraiment indissociable de la vie des Basques pendant longtemps. J'ai trouvé sur Gallica toute une série de gravures datant de 1828 représentant des personnages de l'époque dont plusieurs s'appuient sur leur makhila. Un historien disait qu'il remplaçait les dards, piques, poignards et épées. Car ce n'était pas qu'un bâton de marche, c'était aussi une arme, non ?
- La pique servait d'abord à aiguillonner les bœufs pour les faire avancer mais le makhila devait aussi servir à se défendre. Il ne s'agit pas de canne-épée à proprement parler mais on pouvait assommer quelqu'un avec la canne ou le pommeau ou bien le blesser avec la pointe !
- Tu ne crois pas si bien dire, et là, Papa, je pense que c'est moi qui vais t'apprendre quelque chose !
- Ah ?
- Oui, figure-toi qu'en 1903, un Pierre Eppherre d'une branche différente de la nôtre, en pleine force de l'âge (il avait 45 ans), ancien maire d'Ordiarp, a été agressé alors qu'il revenait de la foire de Mauléon, à hauteur de Garindein. Deux bohémiens l'ont attaqué à coup de makhila et détroussé. La pauvre homme n'a pas survécu à ses blessures. 
- Et on les a retrouvés, ses agresseurs ? Oui, ils ont été arrêtés par la gendarmerie d'Espès-Undurein très vite après. On a trouvé sur eux la bourse et la ceinture du malheureux. Il faudrait que je fasse des recherches dans les registres d'écrou pour savoir de quelle peine ils ont écopé mais comme leurs noms n'ont pas été mentionnés dans la presse...
- Ça ne ramènera pas le pauvre homme à la vie...
- Oui c'est sûr, d'autant que ça s'est passé il y a plus d'un siècle !"

Il restait une question que je n'avais pas posée à mon père : auquel de ses quatre petits-fils transmettrait-il son précieux trésor ? Le connaissant, probablement à celui qui saurait le plus l'apprécier...

Illustrations :
Photo 1 : Delcampe, cartes postales anciennes : types basques
Photo 2 : Makhila Ainciart Bergara (je n'ai pas eu de réponse à ma demande de reproduction de cette photo que je retirerai si nécessaire).
Photo 3 : Bilketa, Portail des Fonds documentaires basques
Photo 4 : Presse ancienne dans Gallica (Le Figaro du 18 décembre 1903)
Sources : AD 64 Makhila Ainciart BergaraBilketa

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral. Ce mois-ci, je l'ai doublé du #Geneatheme proposé par Sophie Boudarel de la Gazette des Ancêtres sur les objets familiers et leur transmission.


samedi 15 février 2020

Le laboureur et le châtelain

Il fait plutôt friquet ce matin du 3 mars 1769 tandis que je traverse le parc du château de Trois-Villes en Haute-Soule. Le Château d'Eliçabia, c'est son nom, est une belle maison noble qui domine le Saison. Il se murmure que ses plans auraient été conçus par le grand architecte Mansart lui-même, et qu'au siècle dernier, il retrouva un peu de son lustre grâce à Jean-Arnaud du Pereyre, Capitaine des Mousquetaires du Roy, qui le fit transformer en un édifice "Grand Siècle".

Anobli en 1643 par la grâce d'Anne d'Autriche, le vaillant mousquetaire - il s'était distingué lors du siège de La Rochelle - devint comte de Trois-Villes (ou de Tréville). Après sa mort en 1672, et celle de son fils unique Joseph-Henry sans descendance, c'est à son neveu le Chevalier Armand-Jean, marquis de Monein et comte de Trois-Villes que revint le château. Hélas, je n'aurai pas la chance de le croiser.

En effet, si je suis là en catimini aujourd'hui, c'est pour emboîter le pas à mon ancêtre Dominique Eppherre qui s'apprête à signer un important contrat pour lequel il a fait le déplacement depuis Barcus. Messire Jean Pierre, abbé de Sarry, est "fondé de procuration" pour le comte comme l'annonce d'emblée M° Darhan, notaire à Tardets.

La transaction porte sur un bail à ferme pour neuf ans et neuf récoltes consécutives qui prendra effet au prochain jour des Rameaux et aura pour terme le même jour de 1778. Tandis que je propose mon cruchon aux participants (c'est tout ce que j'ai trouvé pour pouvoir observer la scène à loisir), j'essaie de comprendre les tenants de ce contrat mais ce n'est pas simple !

Il y est question de fruits décimaux que mon aïeul percevra mais aussi de quatre conques de milloq, de dix conques de froment et d'un agneau de choix qu'il devra "bailler" chaque année au titre de la dîme à l'église de Laguinge appartenant au Seigneur de Trois-Villes, en plus d'un loyer de 428 livres par an*. Ce contrat me semble bien léonin mais a l'air de satisfaire Dominique qui appose sa plus belle signature au bas du parchemin. Il est vrai que ce n'est pas rien pour un laboureur au 18e siècle de prendre à ferme les terres d'un seigneur !
En plus du curé et du notaire, les autres signataires sont Jean d'Espeldoy de Tardets, sergent royal, et Henry de Pourtau, négociant à Montory, témoins. L'oncle paternel de Dominique, Jean Saru, qui était concierge au château de Trois-Villes à cette époque n'est pas présent. J'aurais aimé demander à mon ancêtre si c'est par son intermédiaire qu'il avait eu ses entrées auprès du châtelain mais il est temps pour moi de me faire oublier...  

Qui sait, en repartant, peut-être vais-je croiser dans le beau jardin à la française le nommé Pierre Bouvié, originaire de Chateaubourg en Bretaigne (sic), jardinier exilé en cette terre souletine ? 
*environ 4826 euros

Illustration : Le château de Trois-Villes par le Dr Delanghe (Bilketa)
Sources : AD64 (état civil et minutes notariales) et sur le château de Trois-Villes : Baskulture
Bibliographie : "Ancêtres paysans" de Marie-Odile Mergnac (Ed. Archives & Culture)
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral. 


samedi 16 novembre 2019

Celle qui nous a transmis son nom

Elle était assise sur un banc de pierre, le regard tendu vers la ligne de montagne se détachant derrière le clocher de l'église. A vue de nez, elle devait avoir à peu près mon âge mais paraissait beaucoup plus usée par les années. Cette fois-ci, j'avais décidé de ne pas finasser, de jouer cartes sur table.

"Egun on ! Vous êtes Catherine Eppherre ?
- C'est mon nom. Et vous ?
- Je suis Marie, votre descendante à la huitième génération. Vous savez, je rêvais de vous rencontrer. Car c'est à vous que je dois mon nom. Et qu'elle n'a pas été ma surprise de voir qu'à trois siècles d'écart, il s'orthographiait toujours de la même façon ! 
- Oh, vous savez, moi je n'ai jamais appris à écrire.
- Oui, je sais. Qu'est-ce que ça peut m'agacer de lire dans les actes notariés : la femme autorisée et congédiée par son mari et de le voir signer à votre place ! Mais au bout du compte, c'est vous qui avez gagné.
- Comment ça ?
- Et bien, non seulement vous êtes l'héritière de la maison Eppherre de Barcus mais c'est votre nom à travers elle que vous nous avez transmis alors que nous aurions dû prendre le patronyme de votre mari Jean Saru. 
Ce nom, on le porte fièrement jusqu'à maintenant. Par exemple, mon père, Dominique Eppherre, est l'exact homonyme de votre grand-père et de votre fils aîné. D'ailleurs, c'est une tradition qui a perduré jusqu'au milieu du XXe siècle, tous les aînés se prénomment Dominique. Avez-vous une idée du nombre de Dominique Eppherre dans mon arbre ? Vingt-et-un !
- Comment vous savez tout ça, vous ?
- Je suis généalogiste, enfin ... amateure. Mais j'ai quand même coécrit un livre sur le sujet car la généalogie basque, c'est drôlement compliqué ! Tenez, vous par exemple, vous êtes doublement mon aïeule : je descends à la fois de votre fils aîné Dominique par son cadet Simon Eppherre dit Recalt, et de votre cadet, François Eppherre dit Iriart. Nous savions que le berceau de la famille était à Barcus mais sans vous, nous ne serions pas là ! 
- Vous m'en direz tant !
- Ah, j'ai remarqué autre chose à propos de votre mère Marie Satçoury qui a épousé en secondes noces le frère aîné de votre mari.
- Ne m'en parlez pas, quelle peau de vache, celle-là ! Savez-vous qu'elle nous a traînés chez le notaire Carricondo ? Prétextant qu'elle s'était chargée de l'administration de la maison Eppherre pendant six ans avec son deuxième mari Dominique qui, en effet, est le frère aîné de mon mari Jean, elle a demandé sa part de l'héritage. Nous avons dû mon mari et moi leur verser 225 livres en argent comptant ! Mais bon, j'aime beaucoup ma demi-sœur, Marie Saru, alors je pardonne à notre vénale de mère, que Dieu ait son âme !
- Demi-sœur qui est aussi la nièce de votre mari et qui à son tour deviendra héritière de la maison de Saru et donnera son nom à une autre lignée de Barkostars
- C'est vrai, je n'y avais pas pensé. En somme, c'est nous les femmes qui avons tout fait ici !" conclut Catherine, en partant d'un grand éclat de rire. Sur ce, elle arrange quelques mèches échappées de son burukoa, époussette son tablier, fait claquer ses sabots, se lève et s'en va en me faisant un petit signe de la main.

Je la regarde s'éloigner, cette aïeule qui avait 10 ans à la mort de Louis XIV, n'aura connu que l'Ancien Régime et qui pourtant, à elle seule, illustre un modèle plutôt moderne : la famille matrilinéaire basque...

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

Lexique :
Egun on : bonjour (se prononce egoun oun en souletin)
Barkostars : habitants de Barcus (Barkoxe en basque)
Burukoa : petit filet en dentelle blanche recouvrant les chignons de nuque

Sources : AD64 (Minutes notariales)
Illustration : Valentin de Zubiaurre (1879-1963)



samedi 20 avril 2019

Les deux testaments d'Anne D'Etchahon

En ce 27 avril 1786, Maître Pierre Darhan, la petite trentaine, demande à son premier clerc de lui apporter le testament établi par son défunt père de la Dame Anne D'Etchahon, veuve d'André Darhanpe, marchand et ancien jurat de Tardets. Malgré l'habitude, il a toujours un mouvement de recul au moment de déchiffrer les pattes de mouche de celui dont il a hérité la charge.

La famille Darhanpe est bien connue dans cette petite bourgade de Haute-Soule. Les aînés ont tous fait de beaux mariages, à l'exception du cadet Grégoire qui a choisi d'entrer dans les ordres et du benjamin, Jean-Pierre qui se destine à une carrière militaire. Le jeune notaire royal n'a encore jamais rencontré Madame Darhanpe mère mais il sait qu'elle passe pour une femme de caractère. Il relit le précédent testament datant de cinq ans auparavant, affûte sa plume, la met dans sa besace et se dirige vers le bourg mitoyen de Sorholus. 

Moi aussi, je suis sur les traces depuis longtemps de cette aïeule qui m'a donné du fil à retordre et je décide donc d'emboîter le pas de l'homme de loi. Les minutes notariales ne faisant pas mention de l'âge des parties en présence et les registres de l'Ancien Régime de la Soule étant très lacunaires voire quasi inexistants, je ne connais que par bribes la biographie d'Anne D'Etchahon. Je sais qu'elle est la fille de Martin, propriétaire de la maison d'Etchahon d'Abense-de-Haut et d'Engrace d'Etchecopar dite d'Argat, surnommée "Grachiqui". 

D'après mes déductions, Anne a dû naître vers 1727 à Abense-de-Haut. Elle s'est mariée une première fois avec un certain Bernard de Galtier, décédé prématurément sans descendance mais qui lui a laissé deux maisons, celle de Galtier et celle d'Appeceix. Ce nom dont était affublée mon ancêtre Anne Darhanpe dite d'Appeceix m'a longtemps laissée perplexe jusqu'à ce que je comprenne que sa mère lui avait fait cadeau de cette maison. Mais n'anticipons pas. 

Celle que le notaire s'apprête à rencontrer, moi sur ses talons, a presque 60 ans et ne nous reçoit pas dans sa maison d'Arhanpé de Tardets où elle habite mais dans une autre demeure cossue de Sorholus. Une servante nous introduit auprès de la malade alitée. Elle se croit à l'article de la mort mais moi qui lis dans les grimoires, je pourrais la rassurer, elle vivra encore dix-sept ans. Elle serait sûrement surprise d'apprendre que la date de son décès sera même transcrite selon un calendrier républicain !

En effet, trois ans avant la Prise de la Bastille, pas sûr que la Dame Darhanpe n'ait conscience des soubresauts qui agitent le peuple ni du destin qui attend son benjamin, futur chef des Chasseurs basques dans le conflit qui verra s'affronter les Conventionnels français et les Royalistes espagnols. Pour l'heure, ne me prêtant aucune attention, elle dicte ses dernières volontés au notaire. Bien qu'elle révoque le précédent testament, les changements entre les deux versions me semblent minimes.

Son légataire et principal héritier est son fils aîné, Pierre Darhanpe, négociant et futur maire de Tardets qui lors du précédent testament a déjà reçu la coquette somme de 12000 livres en faveur de son mariage avec Marianne Despeldoy. Elle lègue 150 livres à sa fille aînée, Anne, remariée entre temps à Jean Duthurburu* laquelle, au moment de son premier mariage avec Jean Dastugue, avait reçu la maison d'Appeceix.

Les cadets Grégoire et Jean-Pierre, et Engrace, femme d'Aguer de Licharre se verront remettre également 150 livres et son autre fille Marie, épouse de Pierre de Rospide de Sorholus, 450 livres. A mon humble avis, tout ceci ne me paraît guère équitable mais je suppose qu'il y a eu des dots au moment des mariages des trois filles et des legs dans le testament du père.

Au moment de se rapprocher du Seigneur, Anne veut que la somme de 205 livres soit immédiatement employée après son décès pour célébrer des messes pour le repos de son âme. Elle y ajoute 18 livres pour l'église Sainte-Luce de Sorholus, 15 livres pour les nécessiteux du bourg de Sorholus, et 12 livres à destination de la Confrérie du Saint-Sacrement.

Le notaire lui fait ensuite lecture du testament avec explications en "langue vulgaire basque", signe et fait signer deux témoins, l'un de Tardets et l'autre de Sorholus. Mon aïeule ne signe pas, elle ne sait pas écrire. Quant à moi, j'observe une dernière fois la scène à la dérobée avant de m'éclipser. 

*Jean Duthurburu est le fils de Grégoire Duthurburu que j'avais rencontré lors d'un précédent RDVAncestral.

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

Sources : AD 64 (Etat civil et minutes notariales), Gen&OGeneanet
Illustration : Mauricio Flores Kaperotxipi "La dame à l'éventail"

samedi 16 février 2019

Quand un oncle de 52 ans épouse sa nièce de 19 ans

Ce rendez-vous ancestral me conduit à nouveau à Bordeaux. Mon intention était de rendre visite à mon aïeule Anne d'Etchahon épouse d'André Darhanpe dont j'avais trouvé non pas un mais deux testaments mais les événements en ont décidé autrement. La panne du site des AD64 qui se prolonge ne me permettant pas de vérifier une ou deux sources, mon attention s'est portée ailleurs.

Un curieux acte de mariage datant de 1822 me met sur les traces de Anne ou Marianne Darhanpe, née le 10 septembre 1756 à Oloron-Sainte-Marie, fille de Joseph Darhanpe, facturier à Oloron et frère cadet d'André, évoqué plus haut. Mon aïeule est donc la tante par alliance de cette personne et j'ignore si elles ont beaucoup frayé de leur vivant.

Mais faisons un saut dans le temps et plongeons-nous dans le Bordeaux de cette première moitié du 19e siècle. Nous sommes en pleine monarchie de Juillet, Louis-Philippe est sur le trône de France depuis trois ans et la dame à laquelle je m'apprête à rendre visite sans y avoir été invitée (!) est une veuve de 77 ans, rentière de son état. Elle vivra encore deux ans mais ça, je ne suis pas censée le lui dire...

J'emprunte la Porte Dijeaux et traverse la place Gambetta qui ne s'appellera ainsi que dans une cinquantaine d'années mais est déjà considérée comme le centre de la ville, une "borne zéro" y sera même installée d'ici peu. Aujourd'hui comme hier, elle est bordée d'immeubles cossus de la deuxième moitié du 18e dont les façades s'ornent d'élégants mascarons. Au nord-ouest, elle débouche sur la rue du Palais-Gallien. 

Je passe devant l'Hôtel des Monnaies qui n'est pas encore la Grande Poste de Bordeaux et me dirige d'un pas décidé vers le numéro 82 de la rue du Palais-Gallien. Un hôtel particulier bâti sur trois niveaux qui ne sait pas encore qu'il sera transformé au 21e siècle en une "boutique-hôtel" très tendance se dresse devant moi. Un majordome stylé en livrée m'introduit dans un petit boudoir et s'éclipse pour annoncer ma visite impromptue.

Perdue dans ses dentelles moirées, les cheveux blancs dépassant d'un bonnet sans âge comme elle,  Marianne, comme elle souhaite qu'on l'appelle, veuve Abadie, me toise d'un air peu amène. Sa bonne éducation reprenant le dessus, elle m'invite néanmoins à prendre place dans un fauteuil Louis XVI aux couleurs passées dont l'inconfort n'invite pas à s'éterniser. La conversation s'engage enfin.

"Je suis désolée de vous importuner Madame, mais je fais des recherches généalogiques et j'ai vu votre signature au bas d'un acte de mariage de 1822 qui m'a interpelée. Il s'agissait du mariage de votre frère cadet Joseph qui se faisait appeler Darhanpe-Casamayor...
- Du nom de ma mère, me coupe-t-elle aussitôt.
- Oui, je sais que votre père était de Tardets et votre mère Marie Jeanne Casamajor-Pourilhon, d'Oloron-Sainte-Marie. Et donc, votre petit frère Joseph vivait ici même avec vous quand il a contracté mariage avec euh, ... votre nièce ?
- C'est exact, on vous aura bien renseignée. Ma nièce Marie Claire, orpheline de sa mère, a épousé en premières noces mon frère, son oncle paternel donc. Mon frère Jean qui s'était remarié en 1813 a donné son accord comme vous le savez probablement. C'était une façon de faire bénéficier la pauvre petite d'une situation. D'ailleurs, le mariage fut bref, moins de trois ans après, mon frère Joseph nous quittait pour des Cieux plus cléments.
- J'ai vu que le mariage n'avait pas, euh, donné d'enfants ?
- Vous comprenez bien que nous ne parlons pas de ces choses-là mais c'est exact, Marie Claire n'a pas eu d'enfants ni avec son premier mari ni avec le second d'ailleurs, un avocat bordelais qu'elle a épousé en 1828. La malheureuse est morte moins de cinq ans plus tard, que Dieu dans Sa grande miséricorde ait pitié d'elle.         
- Oui, je sais, elle est décédée dans sa trentième année à Oloron. Savez-vous de quoi ?
- Non, je l'ignore, consomption j'imagine. Je n'ai plus beaucoup de contact avec ma famille de là-bas. Mon défunt mari nous a quittés il y a plus d'un demi-siècle, sous l'Ancien régime, un autre monde... Et cela fait si longtemps que je vis à Bordeaux...".

Marianne n'a touché ni à son thé ni à ses canelés. J'en aurais bien repris mais je sens que je l'importune avec mes questions, il est temps de prendre congé. 

Je décide de profiter du beau temps pour aller voir à quoi ressemblaient les ruines du Palais-Gallien à cette époque, je sais qu'à la fin du 18e siècle, la municipalité endettée avait décidé de le lotir et de vendre des terrains, les nouveaux propriétaires s'empressant de le piller en utilisant ses belles pierres blondes qui dataient pourtant de l'époque gallo-romaine ! Son classement n'interviendra qu'en 1840.

Chemin faisant, je réfléchis à ce que la vieille dame m'a confirmé. Les mariages arrangés y compris au sein d'une même famille ne choquaient personne. D'ailleurs, à l'acte de mariage était jointe une dispense de degré de parenté octroyée par ordonnance royale et enregistrée par le tribunal d'instance de Bordeaux. Autres temps, autres mœurs... 

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

Illustration : Joseph Basire "Vue des ruines du Palais-Gallien", 1796, aquarelle. In "Le Palais-Gallien de Burdigala à Bordeaux" par Philippe Cloutet   
Sources : Gen&O, Filae, 33-bordeaux.com

samedi 17 novembre 2018

Un échange à fleurets mouchetés

Voilà des semaines que je fais défiler sur mon écran des milliers de pages de minutes notariales sous l'Ancien Régime. Et quand je dis des milliers, ne croyez pas que j'exagère. Un registre biannuel d'un notaire royal de la province de la Soule en 1755/56 contient à lui seul 1819 pages ! 

Je rassure mon lecteur, je ne les lis pas toutes. Le temps d'un clic, mon œil scanne l'acte et, l'expérience aidant, je sais repérer rapidement un lieu, un patronyme, une signature (bénis soient mes aïeux qui savaient écrire leur nom !) ou une tranche de manuscrit qui me renseigne sur la nature du document.

C'est qu'on trouve de tout dans ces actes notariés : obligations (reconnaissances de dette), quittances, baux, ventes ou échanges de maisons ou de terres, nominations de tuteurs, actes d'opposition à un mariage (si, si), testaments, inventaires ou contrats de mariage. Ces derniers ont la préférence des généalogistes car d'un seul coup, vous voilà plongé dans la vie de vos lointains ancêtres et votre arbre peut y gagner quelques branches !

Pourquoi étudier les archives notariales est-il indispensable ? En Soule et en Basse Navarre, les registres paroissiaux sont très lacunaires. La Révolution française est passée par là et nombreux sont les BMS* qui se sont perdus depuis. Alors, comme nos ancêtres, souvent illettrés dans les campagnes, voulaient garder une trace écrite d'une transaction, ils passaient devant le notaire...

"Hum, hum !
- Euh, qui me parle ?
- Moi, Madame, votre ancêtre à la 7ème génération ! Je vous écoute pérorer depuis tout à l'heure, évoquer mes contemporains avec condescendance, vous pencher sur leur vie dont vous semblez tout savoir alors que vous ne savez rien !
- Plaît-il ? Et d'abord, qui êtes-vous ?
- Je suis Grégoire Duthurburu, greffier de la Cour, Bourgeois de Tardets en Haute-Soule, Sieur de Barnetche !"

Aïe, j'ai dû déranger l'irascible grand-père de Marie-Jeanne Duthurburu, ma centenaire ! Cela faisait un moment que je voyais passer sa signature au bas des parchemins. Voyons, essayons de l'amadouer. De nos jours, les gens adorent parler d'eux, je suppose qu'il en était de même à l'époque...

"Désolée d'avoir été impolie, je suis vraiment ravie de vous rencontrer ! Et vous tombez bien, si je puis me permettre de m'exprimer ainsi, car je me demandais ce qu'était un greffier de la Cour ?

- Je suppose que vous avez entendu parler des Etats Généraux de la Soule ? Ils regroupaient l'assemblée populaire appelée Silviet et le Grand Corps qui réunissait le clergé et la noblesse, chacun instance siégeant séparément. On appelait l'ensemble la Cour d'ordre. Celle-ci était convoquée une fois par an, le dimanche suivant la fête de nos Saint Patrons Pierre et Jean, fin juin. Je parle au passé car depuis l'arrêt du Conseil du Roi du 20 mai 1733, le Silviet n'a plus le droit de se réunir."

- Pas très démocratique tout ça !" Aussitôt que ma remarque a fusé, je me mords la langue. En même temps, cette éviction de l'assemblée du peuple n'annonce-t-elle pas la fin prochaine de l'Ancien Régime pensé-je en moi-même ?
- Bon, peut-être" concède mon aïeul "mais les Etats de Soule font toujours leur office et continuent de se réunir à la Cour de Licharre, et moi d'y officier comme greffier en ma qualité de gentilhomme terretenant."

Je cesse aussitôt de brocarder ce pauvre ancêtre et le remercie sincèrement pour ses explications, me promettant d'approfondir rapidement mes connaissances de cette page d'histoire...

Acte de 1756 paraphé par M° Detchandy, notaire, et G. Duthurburu

* BMS : Baptêmes, mariages, sépultures

Pour en savoir plus sur le sujet : "Les Assemblées provinciales du Pays basque français sous l'ancien régime" de Maïté Lafourcade.
Autres sources : Ikerzaleak ; les Duthurburu sur Geneanet ; "Etat civil et registres paroissiaux", "Actes, contrats et dispenses de mariage" et "Ancêtres paysans" de Marie-Odile Mergnac (Archives et Culture ).
Illustration : Gallica

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samedi 15 septembre 2018

De l'autre côté de la frontière

Le raidillon était plus ardu que je ne le pensais, mes chaussures n'étaient pas adaptées et je transpirais à grosses gouttes sous un soleil traitre pour la saison. Je me maudissais in petto d'avoir laissé ma voiture dans le premier parking croisé en arrivant au village. Habituée aux cimetières du Pays basque côté français, j'étais sûre de trouver celui-ci accolé à l'église.

Première déception, celle-ci était fermée et, vu l'heure, celle de la sieste sacrée dans ces contrées, il n'était pas question que j'aille toquer à la porte de la mairie pour voir si l'on pouvait me prêter la clé. Dommage, j'avais tant de fois noté son nom au regard des actes de baptême et de mariage que Santiago Apostol m'était devenue familière.

Je contournai l'imposant édifice sans grâce qui se dressait le long de la route principale, celle de Compostelle, et finit par apercevoir ce fichu cimetière mais pour l'atteindre, il me fallait venir à bout d'une interminablemontée. Enfin, je poussai le portail en fer forgé et aussitôt, je fus happée par la beauté paisible du lieu.

Un alignement de vieilles pierres tombales me faisait face, certaines discoïdales comme j'avais pu en voir en Soule ou en Basse Navarre, d'autre plus curieuses, cruciformes en bois blanc orné de liserés noirs et pansues à la base. Je commençais à déchiffrer les noms sur les tombes quand une voix féminine m'interpella en basque. Une vieille femme toute voûtée venait de se matérialiser devant moi.

"Ez dut euskara mintzo, je ne parle pas le basque, désolée.
- Je vois. Espagnol, peut-être ?
Si, Señora."
La question de la langue étant réglée, nous pouvions reprendre notre discussion.

"Quel nom cherchez-vous ?"
- Urrizaga, c'est le nom de jeune fille de mon arrière-grand-mère, Gracianne. Elle n'est pas enterrée là mais à Garazi*, je crois, mais comme toute sa famille était de Valcarlos..."
"Luzaide" me reprend-elle sèchement en donnant au village son nom basque. Mon ama aussi se prénommait Graciana mais on l'appelait plutôt Engracia."

Oups, je ne pensais pas être remontée si loin dans le temps ! Je visualise mentalement cette branche de mon arbre et j'en conclus que sauf erreur, je suis en présence d'une fille d'Engracia Urrizaga née en 1747, sœur cadette de mon aïeul Domingo. Mon interlocutrice par conséquent a dû voir le jour dans la deuxième moitié du 18e siècle et au vu de son grand âge, nous devons être en 1850 ou 60 !

Ma lointaine parente poursuit, se parlant plus à elle-même qu'à moi : "C'est qu'elle n'a pas eu la vie facile, ma mère, et celle-ci s'est terminée en véritable tragédie.
- Racontez-moi...
- Elle s'est mariée en 1778 à 31 ans avec un veuf, Pedro Erramuzpe. Elle a élevé ses deux fillettes de 4 et 2 ans, mes demi-sœurs, Maria et Dominica, puis elle m'a eue moi, Juana, et ensuite, ma petite sœur Engracia.

Pendant une quinzaine d'années, tout allait bien, mes parents étaient les maîtres de Praxemuño, une grande maison en bordure du Chemin de Saint-Jacques et les pèlerins s'arrêtaient chez nous. Ils trouvaient là un gîte confortable et le couvert, et ça nous faisait un petit pécule. Et puis la guerre est arrivée".

"La guerre ?"
- Vous êtes Française, non ? (aïe, je suis démasquée), vous avez bien dû entendre parler de la guerre de la Convention contre l'Espagne ? En fait, c'est notre roi, Carlos VII de Bourbon qui a déclaré la guerre aux Républicains français, il a moyennement apprécié que ceux-ci coupent la tête de son cousin Louis XVI ! Malheureusement, notre armée n'a pas été assez forte pour repousser les assauts de vos sans-culottes aidés des bataillons de chasseurs basques".

"Et donc, le 25 avril 1793, la foudre nous est tombée dessus. Toutes les maisons sur le passage de ces hordes de sauvages ont brûlé. Ceux qui avaient des bordas** dans la montagne s'y sont réfugiés et ne sont revenus dans le village que trois ans après. L'église aussi est partie en fumée, celle que vous voyez en bas, c'est la nouvelle, elle date de 1802.

Avec mes parents, nous avons dû fuir et nous installer chez des parents à Orreaga, Roncesvalles si vous préférez ou mieux, Roncevaux comme disent les Français. C'étaient des temps terribles, il faisait froid, on avait faim, et comme si ça ne suffisait pas, il y a eu une épidémie de typhus. Mon père est mort le premier, en 95, ma mère l'a suivi en 96... Mes sœurs... Mais à quoi bon remuer tout ça ? Le passé est le passé."

Je fis un pas vers elle et lui touchai la main qu'elle repoussa, visiblement peu habituée aux effusions. Elle me désigna la porte du cimetière, et sans façon, me poussa vers la sortie en agrippant mon bras de ses doigts noueux. Une maîtresse femme cette Juana me dis-je en mon for intérieur.

Nous redescendîmes ensemble vers le village, sans échanger un mot.

* Donibane Garazi est le nom basque de Saint-Jean-Pied-de-Port (Pyrénées Atlantiques), Garazi pour faire court.
** Borda, ferme dans la montagne souvent annexe de l'habitation principale. 

Sources : FamilySearch, Geneanet. Un grand milesker à José Luis Erramuzpe pour sa précieuse documentation sur les conséquences de la Guerre de la Convention contre l'Espagne sur les populations frontalières. 
Illustration : Valentin de Zubiaurre, Retrato de Mari Tere. 

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samedi 17 février 2018

Fiers et valeureux Chasseurs basques

C'est décidé, je retourne voir ma centenaire. Et cette fois, je ne me laisserai pas impressionner par le vicaire général ! D'ailleurs, je vais attendre qu'il retourne auprès de son évêque à Bayonne. Il me faut faire vite car cette fête d'anniversaire a beaucoup fatigué Marie-Jeanne et je sais moi, qu'elle n'en a plus pour très longtemps...

Comme beaucoup de personnes à cet âge canonique, elle "perd un peu la tête" et ne me reconnaîtra sûrement pas. En revanche, ses souvenirs d'enfance sont sans doute encore présents quelque part dans son esprit embrumé et c'est à cette mémoire que je souhaite faire appel. 

"Nola zara, Amama ? Depuis que nous nous sommes vues, j'ai découvert que vous aviez eu un oncle célèbre en son temps. Aimeriez-vous m'en parler ?
- Ah oui, tu veux parler du frère d'ama, Osaba Jean-Pierre ? C'était mon parrain ! Il a eu son heure de gloire en tant que Chef du 4e Bataillon des Chasseurs basques* sous la Révolution et jusqu'au Consultat.    

"Je me souviens de la fois où il nous rendit visite dans notre demeure de Tardets, je devais avoir 9 ou 10 ans. Il était en grand uniforme : habit long "bleu France" avec hausse-col, épaulettes d'or, chapeau, et son sabre à lame courte dans son fourreau en cuir qui impressionnait tant mon grand frère Jean-Germain ! Comme j'étais sa préférée, il me fit asseoir sur ses genoux et commença à raconter rien que pour moi :

"Vois-tu, petite, le 4e bataillon basque que je commandais, cantonné à Navarrenx, était toujours resté indépendant. Mais le 4 Pluviôse de l'an IV** tomba l'ordre du ministre de la guerre de faire passer toutes les divisions militaires disponibles dans l'armée d'Italie sauf trois d'entre elles affectées au maintien de l'ordre sur le territoire.

C'est là que notre chef, le Général Moncey qui commandait les quatre bataillons basques cantonnés sur la frontière depuis le début de la guerre contre ces royalistes d'espagnols, intervint pour empêcher notre départ. Il plaida notre cause dans une lettre au citoyen-ministre en mettant en avant le caractère du Basque :

"Fier, indépendant, aimant son pays jusqu'au fanatisme, s'il perd de vue les vallées qu'il habite, les montagnes qui les couronnent, il languit, perd son énergie...". Mais il lui rappela aussi qu'au moment de la déclaration de guerre, "au bruit des premiers échecs essuyés par les Français, le Pays basque tout entier avait couru aux armes, se formant en bataillons et en compagnies franches pour combattre l'ennemi".

"C'est ainsi que nous sommes restés pour défendre le Sud-Ouest. L'année suivante, avec cent de mes hommes, nous sommes remontés jusqu'à Bordeaux qui connaissait de graves troubles. Moncey, toujours lui, écrivit au ministre : "La bonne conduite des chasseurs basques a contribué à prévenir toute effusion de sang."

Cette longue tirade avait épuisé mon aïeule, je le voyais bien. Cette fois, il me fallait l'abandonner pour de bon, laisser la petite fille qui sommeillait en elle à ses rêves auréolés de gloire ...

* Les bataillons des chasseurs basques sont créés lors de la Révolution française pour défendre la frontière contre les assauts espagnols lors de la guerre entre l’Espagne des Bourbons et la France de la Convention. En 1795, la paix est signée mais les chasseurs basques restent cantonnés sur leurs bases. En septembre 1798, les quatre bataillons sont réduits à un. En 1800, les chasseurs basques sont déployés sur Libourne, et un deuxième bataillon est reformé. Les deux bataillons feront la campagne de 1800 dans l’armée de réserve de seconde ligne dite « Armée des Grisons ». Ce qui leur fera finalement "voir du pays"... Ils seront dissous le 21 avril 1801 à Berne. 
 ** 23 janvier 1796
Lexique :
Nola Zara Amama : Comment allez-vous Grand-mère ?
Ama : Maman, Osaba : oncle
Illustration : Gravure représentant un chasseur basque (Wikipedia)
Sources : "Le chef de brigade Harispe et les chasseurs basques" par M. Labouche in "Bulletin de la Société des Sciences, Lettres et Arts de Pau" - 1892-1894 (Gallica),AD64AD40Genealogie64Geneanet,
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samedi 20 janvier 2018

Petite leçon de sociologie basque

Nous sommes le 20 janvier 1838. Vous avez bien lu, 1838, car c'est aujourd'hui que j'ai mon "rendez-vous ancestral". Pour l'honorer, je me rends dans un hameau de moins de cent âmes*, Sunhar, en Haute-Soule, canton de Tardets, Basses-Pyrénées (actuellement Pyrénées-Atlantiques) dans le Royaume de France.

En effet, depuis juillet 1830, la France est redevenue une monarchie même si celle-ci n'a plus grand chose à voir avec celle de l'Ancien Régime. Je doute par ailleurs que les soubresauts de la grande histoire ne soient venus troubler mes ancêtres souletins du 19e siècle, paysans à 90%.

Me voici donc sur le seuil de la maison Iriart, la maison-souche ou etxondoa de la branche qui m'intéresse et je m'apprête à rendre visite à la sœur de mon arrière-arrière-grand-père Raymond Eppherre dit Harismendy. C'est elle-même qui m'ouvre la porte, deux enfants accrochés à ses basques et un nourrisson dans les bras. 

"Madame Irigaray ?
- Dia, qui m'appelle ainsi ?" s'exclame-t-elle en partant d'un grand rire franc. 
- Vous êtes bien Engrâce Eppherre mariée à Dominique Irigaray ?
- Oui mais pour tout le monde ici, je suis Engrâce Iriart et quand je vivais encore chez mes parents, à Sunharette, j'étais Engrâce Recalt. Mais entrez donc, il fait un froid de gueux, venez donc près de l'âtre."

Elle s'écarte pour me laisser passer et me désigne le zuzulu sur lequel elle s'assied à son tour et sans façon, dégrafe sa blouse et commence à nourrir le bébé au sein.
"Un goulu celui-là, il est né une semaine avant la Noël et s'agit pas de lui faire sauter un repas, ah ça non !" et me montrant ses deux aînés avec tendresse de poursuivre : "Elle c'est ma grande, Marie, elle aura 4 ans en mars, et lui, Pierre, il fera 3 ans aux moissons".

Je profite de ces présentations pour lui demander quelles autres personnes vivent sous ce toit.
"Ouille, ouille Ama, voyons : mon beau-père Dominique Irigaray, la maison était à ma belle-mère, Justine Iriart mais je ne l'ai jamais connue, elle est morte avant nos fiançailles ; mon mari qui s'appelle comme son père, et moi. Ah et j'oubliais, son frère Osaba Pierre. Lui, il s'appelle vraiment Iriart ! (rires). Et puis, il y a les cadets de mon mari pas encore mariés et bien sûr nos enfants, et on compte pas s'arrêter là !
- Et tout ce petit monde s'appelle Iriart ?
- Bai, même les domestiques ! Dia, c'est plus simple comme ça".

Je n'ose pas lui dire quel casse-tête représentera pour les généalogistes futurs ce va-et-vient permanent entre le nom patronymique et le nom de la maison ! Elle par exemple dans mon arbre, se nomme Engrâce Eppherre dite Recalt dite Iriart. Dans les actes de naissance de ses enfants (elle en aura huit en tout) elle est parfois appelée Engrâce Eppherre de Sunharette, Engrâce Recalt, Engrâce Iriart (jamais Irigaray !). Et dans son acte de décès (elle vivra 88 ans), elle redevient Engrâce Eppherre de Sunhar, veuve de Dominique Irigaray, née de parents inconnus à Lichans-Sunhar (!). 

Pour l'heure, l'etcheko andere réajuste son corsage et m'annonce gaiement : "C'est pas tout ça, mais je dois aller surveiller ce qui se passe en cuisine. Ma garbure mijote depuis des heures. Vous allez bien rester souper ?"

*Sunhar compte 86 hts au recensement de 1836. En 1842, la commune fusionne avec Lichans et devient Lichans-Sunhar.

Lexique :
Dia : Exclamation qui ponctue souvent les débuts de phrase en basque
Zuzulu : banc-coffre
Ama : Mère, maman (ouille, ouille ama peut se traduire par Bonne mère !)
Osaba : Oncle 
Bai : oui (ez : non) 
Etcheko andere : maîtresse de maison
Garbure : soupe traditionnelle basco-béarnaise aux légumes et haricots secs, servie avec du pain et du lard 
Illustration : Mauricio Flores Kaperotxipi
Sources : AD64Genealogie64, Wikipedia, Geneanet

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samedi 16 décembre 2017

Le retour du Poilu

Nous sommes à l'été de mes 20 ans et je passe quelques jours de vacances avec ma cousine Jeanne chez ses parents à Aussurucq. Ce village des Arbailles, dans la province basque de la Soule, compte moins de trois-cents âmes, essentiellement des agriculteurs comme Jean-Pierre et Marie, les parents de Jeanne. Ce sont eux qui occupent désormais la maison familiale d'Etcheberria.

C'est l'heure méridienne. Allongée pour la sieste dans mon petit lit en bois surmonté d'un énorme crucifix, je laisse mes pensées vagabonder. Où sont passées ma cousine et son amie anglaise Tricia ? Jean-Pierre est-il reparti aux champs faner ?  Non, il fait trop chaud. Irons-nous demain au cayolar voir Battitta ? La maison est silencieuse, seule Marie s'active en bas. En bonne etcheko andere, elle doit déjà s'atteler au dîner de ce soir.

Soudain, une cavalcade dans l'escalier. Et des cris d'enfants. Bizarre, il n'y a plus - ou pas encore - d'enfants dans cette maison depuis des années.
- "Osaba Battitta est de retour ! Il est de retour !" hurle un gamin d'une dizaine d'années. Une jeune femme portant dans ses bras un bébé de quelques mois, attirée comme moi par tout ce raffut, sort d'une chambre voisine à la mienne.

Nous nous penchons en même temps par-dessus la rambarde pour apercevoir sur le pas de la porte un soldat trapu encore vêtu de sa vareuse malgré la chaleur*, de taille moyenne, visiblement harassé. Il me semble le reconnaître. C'est Jean-Baptiste, un frère aîné de mon grand-père Pierre, le seul en dehors de lui que j'aie connu dans cette fratrie de onze enfants.

Mais voilà qu'attirée par cette animation inattendue, sort à son tour une petite femme aux cheveux grisonnants qui se jette dans les bras du soldat et le serre, le serre à lui faire perdre haleine contre son cœur de mère. Elisabeth, mon arrière-grand-mère, murmure à l'oreille de ce grand fils qui lui est revenu un chapelet de mots doux en basque. Je ne comprends pas ce qu'ils se disent mais l'émotion me submerge.

Tous sont à présent assis autour de la grande table de la salle à manger et entourent le héros. Je me cale dans l'encoignure de la porte, et j'écoute. Je comprends qu'il est question de Michel, le petit frère disparu à Verdun. A la question de son ama, Battitta confirme, oui, il est au courant... Mieux, il se battait lui-même pas très loin au même moment...

"On pense que Michel est tombé le 21 février 1916 au Bois des Caures. Dès 6h30 ce matin-là, les Boches ont déclenché un déluge de feu d'une violence inouïe. Une pluie d'obus s'est abattue sur les positions des première et deuxième lignes tenues par les 1200 vaillants chasseurs du Colonel Driant, mais aussi sur les routes, les carrefours et les cantonnements environnants.

J'ignore où se trouvait Michel mais nous qui étions à l'arrière, nous avons senti la terre trembler ! Plus tard, on nous a dit que pendant ces deux jours meurtriers des 21 et 22 février, plus de 70 000 obus s'étaient abattus sur cette bande de terre d'à peine 1,3 km sur 800 mètres ! Le Colonel Briand et 90% de ses hommes y auraient perdu la vie même si leur résistance a contribué à repousser l'avance allemande sur Verdun... Dia, Michel n'avait aucune chance d'en réchapper."

La voix du soldat s'éteint, la mère et sa belle-fille écrasent une larme, les enfants semblent pétrifiés. Le cœur gros, je retourne doucement dans ma chambre...

* Jean-Baptiste Eppherre (1889-1973) était, pendant la guerre de 14-18 2e canonnier-conducteur au sein du 24° régiment d'artillerie. D'après sa fiche matricule, il est renvoyé dans ses foyers, chez ses parents à Aussurucq, en juillet 1919. Il avait alors 30 ans. Plus tard, il fera une carrière dans les PTT. 

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

Lexique :
Cayolar : Cabane du berger utilisée pendant l'estive
Etcheko andere : Maîtresse de maison
Osaba Battitta : Oncle Jean-Baptiste 
Ama : Mère, maman
Dia : Exclamation qui ponctue souvent les débuts de phrase en basque

Illustration : Chtimiste.com "Quatre poilus du 60° RI", celui auquel appartenait Michel Eppherre (1895-1916)
Sources : Mémoire des Hommes, Livrets militaires des Pyrénées-Atlantiques, AD64, Chtimiste.com, Wikipedia, Geneanet : Nos ancêtres dans la Grande Guerre

Pour en savoir plus sur la Bataille du Bois des Caures : Chemins de Mémoire 


samedi 18 novembre 2017

La saga des Urrizaga (IV) - La rencontre

Mon vieux guide Baedeker de la République argentine à la couverture rouge écornée m'apprend que le quartier Villa Crespo de Buenos Aires est né en 1888 quand fut installée sur des terrains appartenant à la province de La Plata une usine à chaussures, la Fabrica National de Calzado. Je suppose que celle-ci a vu travailler de nombreux émigrés fraîchement arrivés du Pays basque.

J'avise une église toute simple et décide de pousser la porte pour m'y reposer quelques instants. San Bernardo, c'est son nom, est assez récente puisqu'elle date de 1896. A peine ai-je le temps de m'imprégner de la sérénité du lieu qu'un groupe de personnes y pénètre à son tour et se dirige vers le baptistère. Je m'installe au dernier rang pour suivre discrètement la cérémonie.

Soudain, une très jeune mère, le visage en partie dissimulé sous sa mantille, s'assoit près de moi et me sourit. Tout en essayant de calmer un bébé de quelques mois posé sur ses genoux, elle se présente spontanément :

"Bonjour, je suis Maria Victoria Urrizaga, et voici ma fille Ana Isubihere, elle a neuf mois et a mal aux dents !
- Oh bonjour ! Dites, je suis curieuse mais qui sont ces gens ?
- Vous voyez cette jolie femme qui porte le bébé sur les fonts baptismaux ? C'est ma mère, Ana Barcelona, la marraine, et l'enfant, c'est Ana Rosa, la première fille de mon oncle maternel Pedro Barcelona. Elle a deux mois et demi, elle est née le 30 août. Vous êtes française, non ? 
- Ça s'entend tant que ça ?
¡Claro que sí!" me lance-t-elle en riant et poursuit : "Mon oncle Pedro, vous savez, il est né en France, enfin, au Pays basque. Dans un village appelé Arnéguy. En fait, son vrai prénom, c'est Pierre."

Ma voisine me paraissant d'humeur bavarde, je décide d'en profiter :
"Alors votre mère aussi est née en France ?
- Non, c'est une curieuse histoire, vous savez. Mes grands-parents qui sont aubergistes à Arnéguy, Arnaud Barcelona et Marie Jaureguy, ont laissé leurs deux premiers enfants au pays et sont venus ici vers la fin des années 1850 quand l'Argentine accueillait des émigrés par milliers venant de toute l'Europe. 
Ma mère et son frère Guillermo sont nés ici en 1860 et 1862, puis mes grands-parents sont repartis à Arnéguy où ils ont eu Pierre en 1868 et Jeanne en 1871. Ma mère n'a jamais connu sa petite sœur mais elle sait qu'elle s'est mariée cette année en février avec Dominique Gaztambide, un maçon d'Arnéguy. En revanche, son petit frère lui, est venu vivre ici, et s'est marié l'an dernier avec Agustina Gonzales, une Argentine. Maman était son témoin et maintenant, elle est la marraine de sa première née".

Maria Victoria reprend son souffle et tandis qu'elle chatouille sa petite fille pour lui faire oublier ses quenottes, je "digère" toutes les informations qu'elle vient de me donner. Ce n'est pas la première fois que je suis confrontée à ces aller-retours entre le Pays basque et l'Argentine, c'était déjà le cas de ma trisaïeule Dominica Biscaitchipy, mais là, j'en reste sans voix.

Ma lointaine parente* s'est montrée si gentille que j'ai un peu de scrupules à me sauver comme une voleuse mais lui expliquer ma présence en ce lieu et en ce jour serait trop compliqué...
[A suivre]

*Maria Victoria est née à Buenos Aires le 17/11/1881, elle a donc presque 19 ans le jour de ce baptême, le 07/11/1900. Son père, Pedro Urrizaga, né en 1853 à Valcarlos est un frère aîné de mon arrière-arrière-grand-père Martin Urrizaga (sosa 22). 

Illustration : Photo du livre de Claudio Salvador "Villa Crespo y la industria del cuero". 
Sources : Geneanet, FamilySearch, AD64, Généalogie64Historia de Parroquias de Buenos AiresArgentina Exception
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