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mardi 5 juin 2018

Une brigade de douaniers en Soule au 19e siècle (III)

La brigade d'Aussurucq, comme nombre de ses voisins, a eu son lot de drames pendant le temps où elle est restée au village. Ainsi apprend-t-on au détour d'une page, qu'un petit Ambroise, né le 28 août 1833 dans la maison Etchandy - celle qui abritait plusieurs familles de préposés - décède à 20 mois le 20 juin de l'année suivante. Son père est le préposé Jean-Pierre Etcheverry et sa mère, Marie Haritchelar. 

La femme d'un autre douanier, Jean Etchebest, met au monde une fille le 9 juin 1845 à Aussurucq. La petite Eugénie-Jeanne et ses frère et sœur aînés, Gabriel et Thérésine, ne connaîtront pas longtemps leur maman : Anne Elissabé meurt un an et demi plus tard, à 34 ans. Je n'ai pas retrouvé le dossier de carrière du père de famille mais il est présent au mariage de sa fille Eugénie à Licq-Athérey en 1866 où il s'est retiré depuis sa retraite et décédera en 1881.  

Le sommier de Jean Capdepont est assez complet si ce n'est l'absence de son lieu de naissance. On sait qu'il est né en mai 1800 et a été maçon avant de devenir douanier. Il commence sa carrière en novembre 1829 à Bidarray, rejoint Aussurucq en février 1833 et y restera jusqu'en novembre 1844, presque treize ans pendant lesquels naîtront trois filles dans la maison Etchandy. En plus de sa femme, Marie Uhart, la famille comptait à son arrivée une fille née à Lecumberry et une autre, à Bidarray. 

J'ignore si cette maison Etchandy - dont le nom signifie "grande maison", et il le fallait ! - existe toujours à Aussurucq mais je l'imagine résonner du galop de tous ces enfants dans les escaliers ! L'école publique où mon aïeul Dominique Irigoyen n'exerçait pas encore, a dû se réjouir du bond de ses effectifs. De nos jours, on aurait fermé l'école au départ de la brigade...

Le préposé Pierre Camarez, né en 1807 à Ogenne et marié à Marthe Capdevielle de Lannes, n'est resté que deux ans à Aussurucq entre 1834 et 1836. Sa carrière aura de toute façon été courte puisque son dossier indique qu'il prend sa retraite le 1er novembre 1839 après sept ans et six mois de service. A-t-il préféré reprendre son premier métier de maçon ? Père de quatre enfants, tous nés à Lannes entre 1832 et 1842, seule l'aînée a peut-être fréquenté l'école du village.

Les dossiers ou sommiers* que j'ai pu consulter au Musée national des Douanes de Bordeaux recèlent une foule de renseignements sur nos ancêtres douaniers : état civil, mutations, promotions, brigades de rattachement, traitements, niveau d'instruction, langues parlées (en Pays basque, basque bien sûr mais aussi français, gascon, parfois espagnol ...). 

Le plus cocasse se trouve sans doute dans les caractéristiques physiques. Je découvre ainsi que mon aïeul à la 6e génération mesurait 5 pieds 3 pouces (1,61 m). Ses cheveux et sa barbe étaient châtains, il avait un nez recourbé et un front haut. Sur un autre extrait plus détaillé, j'apprends même que son visage portait des marques de petite vérole !

Exemple de sommier, celui de mon AAAGP 
Quand on se frotte à la généalogie, on découvre très vite que l'exhaustivité est une vue de l'esprit ! J'aurais vraiment aimé reconstituer dans son intégralité la brigade d'Aussurucq durant la période choisie (1832-1848) mais la tâche s'avère trop ardue. Que ce soit aux archives ou au Musée des Douanes, il faut aussi jouer avec les lacunes, les variantes de noms, voire même les dossiers égarés...

A un certain moment, il faut savoir accepter les limites de l'exercice et dans le cas qui nous occupe, avoir plus ou moins retracé le parcours de treize douaniers, en en laissant seulement deux ou trois sur le bord du chemin, n'est déjà pas si mal. Désolée, MM. Léez et Sallaberry si je n'ai pas eu assez d'éléments pour vous rendre vie...
[Fin]

* Je tiens les copies de ces dossiers à la disposition de ceux qui m'en feraient la demande via le formulaire de contact du blog.  

Illustration : Préposé en "petite tenue" (gravure) Musée national des Douanes

lundi 4 juin 2018

Une brigade de douaniers en Soule au 19e siècle (II)

Tourner les pages d'un registre des naissances sur une période donnée plutôt que de "piocher" en fonction des recherches en cours, a l'avantage d'offrir une "radioscopie" de la commune et de remarquer quelques détails, situations ou protagonistes auxquels on n'aurait pas prêté attention autrement. Ainsi de deux préposés de la brigade d'Aussurucq à l'attitude en apparence bien différente...

En avril 1833, alors qu'il a déjà quitté la brigade d'Aussurucq pour celle de Sainte-Engrâce, le nommé Jean Esponda dit Saroïberry se présente à la mairie pour reconnaître une fille qu'il a eue six mois auparavant avec une jeune fille du village. Jean Esponda, originaire des Aldudes où il est né le 6 octobre 1807, semble avoir pris ses responsabilités sans aller toutefois jusqu'à épouser la mère de l'enfant. Celle-ci, devenue tisserande comme sa mère dont elle porte d'ailleurs le prénom, Marie, décèdera à Aussurucq à vingt ans. L'histoire ne dit pas si elle avait revu son père...

Un autre préposé déclare en février 1844, l'enfant d'une certaine Marie P., cultivatrice âgée de 38 ans, et d'un père inconnu. Le nouveau-né portera le prénom de Joseph qui se trouve être aussi celui de "notre douanier", Joseph Caritat. Né le 1er septembre 1800 à Domezain, marié depuis 1828 avec une certaine Elisabeth Alferits de Licq dont il a eu au moins trois enfants, il rejoint la brigade d'Aussurucq en 1834. Curieusement, après dix ans dans le village, il est muté le 1er juillet 1844. Simple coïncidence ou suspicion d'enfant adultérin ? Le doute demeure.

Le préposé Jean Agorreçabehere, né le 29 juillet 1807 à Baïgorry, est aussi fils de douanier. Il commence sa carrière le 1er janvier 1829 et a déjà connu sept (!) affectations quand il arrive à Aussurucq au début de l'été 1833. Il s'est marié en novembre de l'année précédente à Licq avec une demoiselle Luce Obiague d'Athérey. Eux aussi vont "donner" deux enfants à la commune, un garçon en 1835 et une fille en 1837. Ils quitteront Aussurucq deux ans plus tard pour Bidarray et la carrière de douanier de Jean s'arrêtera en 1854.

Dominique Ahetz-Etcheber ou Ahetcecheber (là, mon lecteur se dit que ces noms basques sont vraiment impossibles !) est né à Ordiarp le 13 mai 1810. Il fait deux séjours à Aussurucq entre septembre 1844 et décembre 1847, entrecoupé d'une mutation de six mois à Sainte-Engrâce (visiblement, les "RH" de l'époque se fichent comme d'une guigne des contingences familiales...). A Aussurucq, sa femme, Marguerite Ossiniry de Chéraute aura le temps de lui donner une petite Marianne en 1846 avant de repartir à Sainte-Engrâce avant Licq et Larrau. Il est admis à la retraite en 1862.

Pendant son temps à Aussurucq, Joseph Lafiosat, né à Moncayolle le 15 mai 1804, contribuera également à la "poussée démographique" du village. Il s'y marie en janvier 1834 avec une "locale", Engrâce Campané dite Etchetopé. Mon ancêtre Jean Dargain, père de Pierre, et sous-lieutenant des douanes en retraite, est témoin du mariage, la promise étant une parente du côté de sa première femme. De 1838 à 1846, le couple aura trois enfants nés à Aussurucq. Joseph prend sa retraite le 1er janvier 1862 à Sainte-Engrâce et décède trois ans plus tard dans sa maison Etchetopé d'Aussurucq.

Pierre Claverie naît le 26 avril 1809 à Hasparren. Fils de laboureur, il est domestique avant de s'engager dans les Douanes à l'âge de dix-huit ans. Alors qu'il est en poste à Issor, il se marie en août 1837 avec une native de Licq, Adrianne Mandagaran. Ils ont déjà deux enfants, garçon et fille de trois ans et dix mois lorsqu'il rejoint la brigade d'Aussurucq en novembre 1841. Il y restera sept ans et aura encore un fils et une fille nés dans la commune en 1838 et 1841, puis un dernier fils en 1849, à Licq. Entre temps, Pierre aura été affecté à la Division de Bordeaux avant de revenir au Pays basque où il prendra sa retraite le 1er février 1866.
[A suivre] 

Nota : Sauf indication contraire, toutes les communes évoquées se situent dans les Basses-Pyrénées (aujourd'hui Pyrénées Atlantiques) 

Illustration : Officier et douanier en grande tenue 1852-1870 (gabelou.com)

vendredi 1 juin 2018

Une brigade de douaniers en Soule au 19e siècle (I)

A l'occasion de recherches au Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque, je me suis intéressée aux recensements de population de la commune d'Aussurucq en Soule, berceau de la famille paternelle de mon père. Une observation en conclusion du recensement de 1851 a attiré mon attention.

En bas de la liasse, Monsieur Bastereix, maire de l'époque, mentionne : "La population a diminué de 24 habitants depuis le dénombrement de 1846 ; cette diminution doit être attribuée à ce que depuis cette époque, une brigade de douaniers a quitté la localité ". Monsieur le Maire semblait déplorer qu'Aussurucq ne comptât plus désormais "que" 716 habitants. 

Comme déjà mentionné dans un précédent billet, je savais que mon aïeul à la sixième génération, Pierre Dargain dit Laxalt, était sous-lieutenant des Douanes à Aussurucq à cette époque. Son dossier retrouvé au Musée national des Douanes de Bordeaux, m'apprend qu'il y était une première fois du 1er juin 1837 au 30 avril 1842, puis du 1er avril 1845 au 30 septembre 1848.   

Le départ de cette brigade semble être intervenu avant la fin de l'année 1848 et mon aïeul, le seul natif du la commune, a été apparemment le dernier à partir. Pour comprendre l'impact de la présence de cette brigade sur le village, l'idée m'est venue de reconstituer le parcours de chacun. 

Commençons par le plus gradé, le lieutenant Martin Iribarnegaray. Né le 10 octobre 1783 à Baïgorry*, il a d'abord été instituteur avant d'intégrer les Douanes Impériales le 1er janvier 1807. Deux ans plus tard, il est sous-lieutenant et en décembre 1813, lieutenant. Il a donc déjà vingt-deux ans de carrière quand il prend la brigade d'Aussurucq en 1829. Entre temps, il a épousé une jeune fille de Musculdy, Anne Duhalt, et ils ont déjà trois fils en bas âge à leur arrivée au village.

Martin Iribarnegaray ne restera que trois ans à Aussurucq, il aura une dernière affectation avant de se retirer à Musculdy où sa femme et lui auront encore deux fils en 1832 et 1834, l'année où il prend sa retraite à cinquante-et-un-ans. Les deux garçons n'atteindront hélas pas leurs deux ans mais en 1839 naît leur dernier enfant, enfin une fille. Le 2 décembre 1867, le cadavre de Martin est retrouvé dans un champ à Pagolle, commune voisine de Musculdy. Sa femme, Anne, lui survivra cinq ans. 

Dans le billet "Douaniers de père en fils", j'avais intégré une "bio express" de Pierre Dargain dit Laxalt. J'ai fait une petite erreur que les recensements m'ont permis de corriger. Quand il quitte Aussurucq en 1848, Pierre est veuf depuis six ans et a perdu une petite fille. Cependant, contrairement à ce que je pensais, Marie-Jeanne, mon arrière-arrière-grand-mère, alors âgée de quinze ans, va le suivre dans son affectation suivante.   

En octobre 1848, il est muté à la brigade de Boucau-Nord, à côté de Bayonne et son traitement passe à 650 francs. Il sera admis à la retraite le 1er avril 1850, six mois avant ses cinquante ans. Lui et sa fille se retirent alors dans leur maison Laxalt d'Aussurucq où il mourra trois ans plus tard. Entre temps, Marie-Jeanne, sa fille unique, s'est mariée à dix-huit ans avec Dominique Irigoyen avec lequel elle aura quatorze enfants.    

Parmi les préposés qui composent la brigade, un autre est relié à mon arbre même si c'est de façon éloignée. Jean Gombault, fils d'un receveur des douanes, neveu et futur père de préposés des douanes, est né à Vieux-Boucau le 18 avril 1804. Trente ans plus tard, presque jour pour jour, il arrive à Aussurucq, "par suite de son mariage" précise son sommier. Il a en effet convolé le 20 novembre 1833 à Licq avec Engrâce Eppherre, couturière de métier.

Bien que d'une branche différente de la mienne, cette Engrâce n'est autre que la demi-sœur de Scholastique, plusieurs fois évoquée ici. Ensemble, ils vont avoir pendant les quatorze ans qu'ils passeront à Aussurucq, six enfants entre 1834 et 1845 dont l'aîné, Joseph, fera à son tour carrière dans les douanes. La famille a sa propre maison dans le village, contrairement à d'autres qui sont regroupées dans la maison Etchandy, probablement dans un logement de fonction.

A son départ d'Aussurucq, Jean Gombault terminera sa carrière à Licq où Engrâce et lui auront un septième enfant, un garçon, en 1851. Dix ans plus tard, il prend sa retraite, toujours comme préposé, et le 26 octobre 1873, il s'éteint dans sa maison d'Escapila-Tchipila, suivi sept ans plus tard de sa femme.

Il n'aura échappé à personne que le départ de cette famille nombreuse aura, à elle seule, contribué à ce que le village se vide...

[A suivre] 
* Aujourd'hui Saint-Etienne-de-Baïgorry

Illustration : Douanier dans les Pyrénées à la frontière d'Espagne (gabelou.com)

samedi 7 avril 2018

Douaniers de père en fils

La branche Dargain est l'une des premières que j'ai étudiées lorsque je me suis lancée sur les traces de mes ancêtres basques. Très tôt, j'ai su que mon arrière-arrière-grand-mère (sosa 19) Marie-Jeanne Dargain-Laxalt était fille et petite-fille de douaniers. En cherchant sur la toile où trouver les archives des Douanes françaises, j'ai remarqué que certaines avaient été versées au Musée national des Douanes qui se trouve ... à Bordeaux. Pour une fois, j'avais des sources à portée de main ! 

Pour ceux qui comme moi, auraient des douaniers parmi leurs ascendants, la demande se fait en ligne. La documentaliste effectue des recherches ponctuellement et envoie le document en question ... si elle le trouve ! En effet, si certains dossiers de personnel et sommiers de signalement ont été confiés au Musée des Douanes, celui-ci n'a pas vocation à conserver toutes les archives des douanes françaises.

Dans mon cas, j'ai eu de la chance car les sommiers de Bayonne ont été transférés récemment à Bordeaux. La quête a été concluante et par deux fois, j'ai eu le plaisir de me rendre au musée pour découvrir sur de magnifiques registres (photo) les états de service de mes ancêtres directs, Jean et Pierre D'Argain (sosas 76 et 38).
    
Collection personnelle ©Mdep
Collection personnelle ©Mdep
Et maintenant, un peu d'histoire...
Les Douanes "modernes" apparaissent sous la Constituante avec la loi du 1er mai 1791. En effet, avec la Révolution française disparaissent les frontières intérieures et leur corollaire le plus haï, la gabelle. Cette taxe était très inégalitaire selon les régions et sa suppression revenait souvent dans les doléances des fameux cahiers du même nom.

A partir de là, les douaniers vont s'occuper exclusivement de la surveillance des frontières nationales. On assiste à l'instauration d'un fort protectionnisme d'Etat, lequel sera encore renforcé sous Napoléon 1er avec le Blocus continental. A Bordeaux, par exemple, les exportations de vin vers l'Angleterre vont être interdites !

Sous le Premier Empire, la Douane est organisée militairement avec des brigades, groupes d'intervention sur le terrain, et des bureaux, composés d'agents administratifs. Il faudra attendre la Restauration pour que les douaniers affectés à la surveillance soient dotés d'uniformes. On reconnaît le douanier à sa veste gris-vert et à son pantalon bleu céleste bordé d'un galon rouge. 

Mais revenons à nos douaniers basques. Qui dit douanier dit contrebandier. Ceux qui ont lu Ramuntcho de Pierre Loti connaissent déjà l'antagonisme proverbial entre ces deux groupes bien connus du Pays Basque qui, comme chacun sait, est à cheval sur deux frontières. En basque, la contrebande est appelée "Gaueko lana" ce qui signifie "travail de nuit", c'est dire son importance !

Douaniers et contrebandiers, qui sont parfois de la même famille, jouent en permanence au "gendarme et au voleur" sur les sentiers de montagne entre la France et l'Espagne. L'essentiel du travail des brigades est de surveiller sa zone appelée aussi "penthiére". Les journées sont longues, dix heures en moyenne, et les douaniers partent souvent pendant plusieurs jours d'affilée.

Armés de fusils, ils sont parfois accompagnés de chiens dressés, appréciés pour leur flair et leur ouïe. Il leur arrive aussi d'emporter en plus de leur paquetage un "lit d'embuscade" pour se protéger du froid car ils peuvent rester des nuits entières au même endroit sans pouvoir bouger. 
Lit d'embuscade - Musée national des Douanes 
Quant au recrutement, à l'époque où mes deux aïeux ont exercé ils s'est fait d'abord parmi les anciens soldats de la Convention. C'est le cas de Jean D'Argain qui a été sergent au Premier bataillon de la Brigade basque avant s'être engagé comme douanier. Ensuite, la cooptation est un levier de recrutement important et il n'est pas rare aux 19e et 20e siècles d'être douanier de père en fils. 

En dehors des Dargain, j'ai retrouvé de véritables "dynasties" de douaniers dans mon arbre souletin. C'est le cas de Joseph Elichiribehety de Lanne marié à Marguerite Inchauspé de Sunharette (petite-fille de Jean-Baptiste Inchauspé dit Harismendy, mon sosa 34). Ensemble, ils ont eu un fils douanier, Jean-Pierre, et une fille, Marie-Jeanne, mariée à un douanier d'Alos ! 

Pour finir ce billet plus long que d'habitude, je ne résiste pas à partager ce charmant petit tableau que l'on peut voir au Musée des Douanes de Bordeaux, "La visite des pacotilleuses" qui montre que les femmes aussi s'adonnaient à la contrebande pour la plus grande distraction des douaniers...
Rémy Cogghe (1854-1935)
Première illustration : Officier et préposé des Douanes sous la Révolution 

lundi 29 janvier 2018

Retour sur une vie

Avoir partagé le dîner d'Engrâce E. à laquelle j'avais rendu visite sans y avoir vraiment été invitée ne m'autorisait pas à "plomber l'ambiance" en dévoilant à une assistance médusée ce que je savais d'elle. Ainsi aurait-il été parfaitement inconvenant de révéler à mon hôtesse que ce bébé joufflu qu'elle nourrissait au sein n'atteindrait jamais ses six ans. Ni qu'après lui, elle aurait une fillette qui mourrait à sept ans.

Pénétrer dans l'intimité de nos ancêtres fussent-ils morts depuis plus de cent ans demande un minimum d'empathie et de discrétion, tous les généalogistes vous le diront. A l'aune d'une vie de 83 ans, commencée au début du 19e siècle et terminée à l'aube du 20e, je trouve personnellement que celle d'Engrâce, la sœur aînée de mon arrière-arrière-grand-père Raymond, fut plutôt bien remplie.

Sur ses huit enfants, six parvinrent à l'âge adulte, quatre se marièrent et elle eut en tout dix-neuf petits-enfants - en admettant qu'un ou deux n'aient pas échappé à ma vigilance - qu'elle connut tous de son vivant. A sa grande fierté, Jean Arhanegoïty, l'aîné de ses petits-fils, fils de sa fille Marie, devint instituteur à Garindein.

Le second, Dominique Irigaray, fils aîné de Pierre, prit un temps le métier de son père, charpentier, avant de devenir brigadier des douanes et de se marier sur le tard dans les Landes. Tous ses petits-enfants restèrent auprès d'elle en Soule, à Lichans-Sunhar, Sibas ou Haux. Tous sauf les quatre garçons que lui donna sa fille cadette Anna qui suivit son douanier de mari d'abord à Anhaux puis à Bidarray, du côté de Saint-Jean-Pied-de-Port, autant dire au bout du monde.

Disparue en 1893, presque quatre ans après son mari Dominique Irigaray, Engrâce n'eut pas à souffrir des ravages de la première guerre mondiale qui lui prendra trois de ses petits-fils sans qu'elle ne le sache. Sa vie fut comme pour beaucoup, une succession de petits bonheurs et de grandes peines, une vie de labeur aussi, rythmée par les saisons et les exigences d'une terre nourricière rude.

Une vie d'etxeko andere, avec pour prérogatives, l'entretien de la maison et l'éducation des enfants. Première levée, dernière couchée, préparant les repas, confectionnant les miches de pain, astiquant les meubles et les cuivres, régnant sur le potager et le poulailler, puis filant rejoindre son mari et ses aînés aux champs pour sarcler ou faner, s'arrêtant à l'église au retour pour les vêpres sans oublier d'honorer les morts de la famille...

Peut-être au moment de rendre son dernier souffle, Engrâce a-t-elle vu défiler sa vie, ses huit accouchements à la maison, les jours de marché à la foire de Tardets avec son mari pour vendre leurs agneaux, les parties de mus sur le pas de la porte avec les autres femmes du village quand elles prenaient le temps de souffler, son mariage et celui de sa fille Marie, les jours de procession ou de mascarade au son du txistu et des ttun-ttun. Une vie.

Lexique :
Etcheko andere : maîtresse de maison
Mus : dérivé de l'ancien tarot, jeu de cartes figurant des épées, bâtons et coupes d'écus  
Mascarade : de janvier au mercredi des Cendres en Soule, sorte de Carnaval réunissant les meilleurs danseurs du pays
Txistu : flûte à bec à trois trous au son aigrelet. qui se joue de la main gauche, la droite étant occupée par le ttun-ttun, tambourin à cordes basque   
Illustrations : Mauricio Flores Kaperotxipi, jour de fête
Ramiro Arrue : joueur de ttun-ttun et kantiniersa (cantinière) de la mascarade souletine
Sources : AD64, AD40, Registres militaires 64 Genealogie64, Geneanet, Wikipedia
Bibliographie : La vie d'autrefois en Pays Basque de Marie-France Chauvirey, Ed. Sud-Ouest