samedi 10 octobre 2020

L'héritier, la cougar et la domestique

 

Pour ce billet de rentrée, j'avais prévu d'évoquer un ancêtre que je pourchasse depuis cinq ans et qui m'a enfin livré une partie de ses secrets. Mais chaque jour m'apporte son lot de découvertes au point que j'en viens à me demander s'il n'y a pas chez cet homme un brin de perversité : "Chère descendante, après cette longue quête, ne songe pas à me renvoyer aussi vite dans l'au-delà !"

Laissons donc pour l'instant de côté ce mystérieux aïeul et, à la place, je vous propose un billet plus léger et bourré d'interprétations, je m'en excuse par avance aux descendants des protagonistes ! Personnage-clé de notre histoire, Dominique né vers 1774 à Sibas, est à la fois l'héritier de la maison Haritchague dont il porte le nom et par sa mère, de celle d'Aguer d'Alçabehety, deux villages souletins. 

Or, première surprise, il épouse à 19 ans une femme de vingt ans son aînée, Marianne Althabegoïty née vers 1754 à Lichans. Qu'est-ce qui pousse notre double héritier dans les bras d'une cougar comme elle serait qualifiée à notre époque ? Je me perds en conjectures*. Peut-être tout bonnement le sens du devoir car en 1794, Dominique devient père d'une future héritière prénommée Marie. A ma connaissance, le couple n'eut pas d'autres enfants mais la mère étant déjà âgée de 40 ans, ceci explique peut-être cela...

Malheureusement, la pauvre enfant s'éteint le 27 mars 1814 dans sa vingtième année. Peut-être à cause du chagrin de perdre à la fois sa petite-fille et son héritière, le grand-père paternel, Jean Haritchague (ca 1739-1814) la suit dans le caveau familial trois jours plus tard !  Marianne survit au deuil de sa fille.

A quel moment Marguerite Elichiry dite Lechardoy, fille d'un journalier de Camou, née le 9 octobre 1812, entre-t-elle au service des époux Haritchague ? On sait le sort peu enviable des domestiques à cette époque mais pour Dominique qui avait perdu ses deux parents (Engrace Aguer, sa mère, est décédée en janvier 1821), ne pouvant compter sur des frères cadets et doté d'une épouse septuagénaire, une servante était indispensable à la bonne marche de la maison.

Faisons un bond en avant. Le 23 janvier 1838, Marianne, maîtresse d'Haritchague et d'Aguer, passe de vie à trépas à l'âge de 84 ans. Dominique, notre alerte sexagénaire, se précipite le lendemain (!) à la mairie de Sibas afin de faire publier les bans de son mariage avec ... Marguerite la servante, sa cadette de presque quarante ans, qu'il épouse le 7 février suivant. 

Loin de moi l'idée de tirer des conclusions trop hâtives mais le 29 octobre de la même année - je vous laisse faire le compte - un petit Jean voit le jour. Il sera suivi de Gratien en juillet 1841, Engrace en 1843 et Bernard en 1848 : la descendance des Hartichague de Sibas et des Aguer d'Alçabehety est assurée. 

Restons dans les clichés : "Margot", entrée comme domestique, restera la maîtresse du lieu jusqu'en 1893. Question longévité, elle aura fait aussi bien que sa maîtresse, survécu quarante-trois à son "vieux" mari et eu le temps de profiter de ses petits-enfants dont l'aîné sera blessé à la guerre de 14.

La sérendipité nous offre souvent de jolies histoires comme celle-là mais je ne peux m'empêcher de penser que je n'aurais jamais su que "Margot" était domestique de la maison Haritchague si un officier d'état civil zélé ne l'avait pas mentionné dans l'acte de mariage... 

* L’hypothèse la plus intéressante qui m’ait été proposée depuis est que 1793 fut l’année des premières conscriptions de la Première république. Rappelons que Dominique était un aîné, il ne pouvait pas se permettre de partir sept ans sous les drapeaux ! Se marier "en catastrophe" pouvait être une échappatoire au service militaire… 

Illustration : Vilhem Hammershøi, Intérieur.
Sources : AD64 (Etat civil, Minutes notariales et registres matricules).

6 commentaires:

  1. As-tu pensé à une éventuelle épidémie à laquelle auraient succombée le grand-père et la petite-fille ? En plus du chagrin, le pauvre grand-père ne s'en serait pas remis.

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    1. Si, j'y ai pensé, ce n'est pas ce qui manquait à l'époque...

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  2. Quelle histoire! Heureux de te lire Marie. Le titre de ton article est bien trouvé en tout cas !

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    1. Merci Sébastien pour ta fidélité à ce blog (j'aimerais pouvoir en dire autant...). Pour le titre, j'ai hésité à écrire "domestique ambitieuse" mais j'ai trouvé qu'il y avait un jugement de valeur derrière. Quoique "cougar" ...

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  3. Finement raconté cet épisode et titre judicieusement choisi somme toute

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