samedi 6 février 2021

Le soldat qui partit à l'armée à la place d'un autre

Hasards de la sérendipité, en tentant de retrouver l'acte de mariage de mes sosa 94 et 95 dans les minutes notariales de Maître Jean Harismendi, notaire royal à la résidence de Saint-Etienne-de-Baïgorry, je découvre mon premier acte de remplacement au service militaire !

Pour resituer le contexte, nous sommes en juillet 1821. Napoléon 1er est mort à Saint-Hèlène deux mois auparavant et le trône de France (et de Navarre), est à nouveau occupé par Louis XVIII depuis juillet 1815*. C'est la période que les historiens qualifieront de Seconde Restauration. 

Détail qui a son importance pour ce qui va suivre, le service militaire obligatoire a été rétabli le 12 mars 1818 par la loi Gouvion-St-Cyr et sa durée en a été fixée à six ans. Le tirage au sort est en vigueur pour recruter 40 000 conscrits par an, soit un homme sur dix. La possibilité de se faire remplacer qui avait donné lieu à des surenchères folles sous l'Empire est maintenue.    

Le 9 juillet 1821 se présentent donc à l'étude de M° Harismendi Bernard Arroqui de la commune des Aldudes et son père Pierre. Ce Pierre Arroqui (1766-1847) est le petit-fils de mon sosa 378, Peillo De Sarry dit Arroqui. Un collatéral assez éloigné donc mais qui me permet d'aborder un sujet que je n'avais encore jamais évoqué.

Pierre, appelé aussi "Bethi" Arroqui, cadet de Haltçart (ou Haltçartenia) des Aldudes est métayer à la borde de Louisenia lorsque son fils Bernard naît le 7 Germinal an VII (27 mars 1799) et non le 27 comme le note le notaire dans l'acte de remplacement. La mère, Marie Laxague, n'est pas présente. On imagine que tout ceci est une affaire d'hommes...

Bernard a obtenu le numéro 80 au tirage au sort de 1820 pour les conscrits de l'année précédente mais il s'est porté volontaire - avec le consentement de son père - pour remplacer au service militaire un conscrit qui lui, a tiré un mauvais numéro. Ce dernier, Miguel Ipoutcha, laboureur, est né le 29 janvier 1798 à Ossès (là, je suis obligée de croire notre bon notaire sur parole, les registres des cette époque pour cette commune ayant disparu).

Miguel est le fils de Martin Ipoutcha et de Marie Urretiber, maîtres de la maison d'Ipoutchennia à Ossès, quartier d'Exare. A la grande loterie de l'Armée de 1818, il a tiré  le numéro 23 et il vient juste d'être appelé sous les drapeaux. Malheureusement pour notre récit, le régiment n'est pas précisé dans l'acte.       

Le remplacement de Miguel par Bernard est donc acté moyennant la somme de huit cent francs sur laquelle les deux parties se sont entendues. Le jour même de la signature de l'acte, Bernard reçoit 300 francs. Le solde de 500 francs doit lui être payé par Martin Ipoutcha dans un an. Pour ce faire, le laboureur n'hésite pas à hypothéquer sa maison d'Ipoutchennia et ses dépendances (basse-cour, jardin, bordes, terres, vignes, bois, fougeraies...).

On le voit l'affaire est sérieuse ! On imagine que Martin Ipoutcha, propriétaire, a vraiment besoin de bras et ne peut se passer de son fils alors que Pierre Arroqui, cadet, métayer, peut faire sans le sien. À moins que Bernard n'ait eu simplement le goût de l'aventure... 

Une autre condition du contrat est intéressante : les 300 francs du premier versement devront être entièrement restitués à Martin Ipoutcha si Bernard Arroqui désertait avant l'expiration d'une année. Cette clause sera portée à son contrat militaire et son père Pierre s'y engage solidairement. 

Preuve encore s'il en fallait de l'enjeu de ce contrat, les deux témoins de l'acte de remplacement sont Dominique Ibarnegaray, huissier à Saint-Etienne et Martin Arrambide, maire de la commune des Aldudes qui signent tous les deux mais aucune des parties en présence "pour ne savoir ni écrire ni signer".


Bernard est-il allé au bout de ses six ans ? Je n'ai trouvé trace ni de quittance ni de testament de sa part. Seulement son acte de décès le 29 juillet 1827 déclaré par son père Pierre, âgé de 60 ans et son cousin Jean Laxague, 25 ans. Il était mort dans la nuit dans sa maison de Bethihaltçartena (petit Haltçart). À seulement 28 ans...

* Après l'épisode des Cent jours.

Illustration : Gallica (cliquer sur l'image)
Sources : AD64 (état civil et minutes notariales)
Gen&O (Généalogie et Origines en Pyrénées-Atlantiques