dimanche 18 octobre 2020

La quête de Dominique Inchauspé dit Tanto (II)

Personne ne venant troubler notre tête-à-tête, je repris mon récit. Dominique avait cessé de s'agiter et je décidai d'évoquer quelques souvenirs que je pensais plus agréables à ses oreilles.

"Savez-vous, Aitatxi*, que pour un cadet je trouve que vous vous êtes drôlement bien débrouillé ? De nos jours, on parlerait de vous comme d'un self made man ! De 1791 à 1801, vous n'avez cessé d'acheter des terres, d'échanger, de revendre, d'agrandir vos domaines à Abense-de-Haut, Alos, Sibas et Lichans. Vous devenez l'un des plus gros propriétaires de cette partie de la Soule.

En 1807, vous avez 47 ans (je ne vous l'ai pas dit mais j'ai retrouvé votre acte de baptême à Lacarry le 22 avril 1760) et vous réalisez le plus beau coup de votre vie : vous rachetez une terre labourable de cinquante ares et deux arpents trois-quarts sise à Sibas aux Sieurs Armand-Jean et Jacques-Philippe Sibas, père et fils, installés à Salies-de-Béarn. La Révolution est passée par là mais chacun dans le pays sait qu'il s'agit de terres appartenant aux anciens Seigneurs de Sibas même si leurs héritiers ont perdu leur particule.  

Vous acquérez cette terre pour la somme de deux mille francs en argent et pour ce faire, vous versez quatre cent francs d'arrhes et vous vous engagez à régler le solde dans les trois ans à venir avec un intérêt de 5%, payables aux vendeurs chaque année. Le contrat de vente, passé devant M° Pierre Darhan, notaire à Tardets le 15 octobre 1807, stipule que vous hypothéquez également vos immeubles à Abense-de-Haut et Lichans.   

Toutefois, excusez ma curiosité, mais je me suis demandé comment cette fortune vous était venue au départ. Certains actes mentionnaient que vous étiez marchand mais sans préciser de quoi. L'information la plus intéressante que j'ai trouvée vous concernant était contenue dans un acte du 26 Pluviôse an 3 (14 février 1795) dans lequel vous apparaissiez comme voiturier mettant ses mulets et ses chevaux à disposition des charrois pour l'armée des Pyrénées Occidentales basée à Trois-Villes. Vous recrutiez alors un cadet de la maison Quillihalt de Sorholus pour les conduire.  

Un autre acte plutôt édifiant, daté du 29 juillet 1801, rapportait un litige qui vous opposait, vous et votre femme, à votre belle-sœur Augustine Jauréguiberry et son mari Jean-Baptiste Faure à propos de la vente que votre beau-père leur avait faite de la maison familiale de Jauréguiberry d'Abense-de-Haut. Pour plaider votre cause, vous arguiez du fait que vous aviez prêté à celui-ci à deux reprises des sommes importantes, et que le compte n'y était pas. 

Dans le but d'éviter un procès très dispendieux dont le résultat ne pouvait être prévu et qui aurait causé [votre] désunion pour la vie (sic), vous avez trouvé un accord à l'amiable. Je ne peux m'empêcher de penser que votre belle-sœur Augustine vous en a peut-être tenu rigueur malgré tout car dans son testament, elle désigne comme héritière sa petite-nièce Julie Althabégoïty et lègue quelque chose à ses neveux Arotchex mais rien pour les Inchauspé dit Tanto...

Cher Aitatxi, auriez-vous été un tout petit peu procédurier ? Pas plus tard qu'en octobre de l'année dernière, vous avez été à l'origine de la demande d'expropriation de la maison Monsegurenia de Tardets de Jean-Pierre Monségu, l'un de vos petits-neveux par alliance. Le comble étant qu'il était lui-même huissier, fils et petit-fils d'huissier ! J'en ignore la raison mais c'est assez troublant."

Cette fois, Dominique ouvrit un œil torve et me foudroya du regard. Il avait raison, qui étais-je pour venir embêter un vieil homme sur son lit de mort sous prétexte que je lui avais couru après pendant cinq ans ? Pour me faire pardonner, je posai un baiser sur sa main et le remerciai pour tout ce qu'il m'avait apporté. A commencer par la vie...

*Aitatxi : grand-père en basque (écrit aussi aïtatchi)

Illustration : Valentín de Zubiaurre, Personajes vascos.
Sources : AD 64 (BMS, Etat civil et minutes notariales) - Acte de décès de Dominique Inchauspé dit Tanto (sosa 68).
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral

4 commentaires:

  1. Une belle fin. "Je le remerciai pour tout ce qu'il m'avait apporté, à commencer par la vie"... c'est si juste et tellement beau. Merci Marie

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    1. Milesker mon cher Sébastien pour ta fidélité à me lire et à commenter avec autant de bienveillance :)

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  2. Voilà une belle série en deux épisodes ! Bon, il semble que tu peux lui pardonner ce penchant à passer des actes chez le notaire, et même lui en être reconnaissante...

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    1. Merci Marie :)
      Je suis TRES reconnaissante à Dominique même s'il m'a épuisée : 5 ans à le chercher, 1 mois à le poursuivre d'acte en acte ;=)

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