Saint-Just-Ibarre, vendredi 4 mai 1888
Ma très chère sœur,
Tu as dû apprendre par notre père et notre
sœur Marguerite* que j'ai été bien souffrante, ce qui explique mon silence.
Nous avons en effet eu mon mari et moi l'immense chagrin de perdre notre
premier enfant, une petite fille née le 14 du mois dernier, soit un an pile
après notre mariage. Nous l'avons aussitôt baptisée et
lui avons donné le prénom de notre chère maman, Marie-Jeanne.
Hélas, la pauvrette était de faible
constitution et elle nous a été reprise au bout de quatre petits jours. Martin
était dévasté, moi-même victime de fièvres puerpérales, et délirant plusieurs
jours après la délivrance, je n'ai pas réalisé tout de suite qu'elle était
partie, pauvre petit ange, que Dieu la garde à ses côtés !
Le 27, Monsieur Brisé, mon époux, a écrit
à l'inspecteur d'académie demandant pour moi un congé, indiquant que même si
j'étais en voie de guérison, je restais encore faible et dans l'incapacité de
reprendre mon poste d'institutrice à l'école des filles. Entre temps, comme tu
le sais sans doute, notre père s'est proposé de me remplacer au pied levé vu
qu'il est à la retraite.
L'inspecteur, jugeant sûrement cet
arrangement providentiel, nous a répondu sans tarder et m'a autorisée à prendre
un congé du 1er au 19 mai. Je ne te cache pas que faire la classe à mes chères
élèves alors que je venais de perdre ma petite fille était au-dessus de mes
forces. Je sais qu'elles seront sans doute surprises d'avoir un maître, elles
qui n'ont connu que moi, mais le fait qu'il s'agisse de mon aïta devrait
être de nature à les rassurer...
J'espère que mon collègue de l'école des
garçons, Monsieur J., avec lequel je ne suis pas dans les meilleurs termes ne
lui mettra pas de bâtons dans les roues mais j'ai confiance en l'aménité de
notre cher père et imagine que la réputation de ses états de service le
préviendra de toute tentation de malveillance. Avoir notre père à la maison m'est aussi un
réconfort, il a toujours été si sage !
Voilà ma chère sœur, les tristes nouvelles
que j'avais à t'apporter. J'espère que Monsieur Eppherre, mon beau-frère, que
tu salueras de ma part, ne se tue pas à la tâche et que toi-même, tu t'en sors
avec tes quatre petits. Comment se porte la petite Marie ?
Fait-elle ses nuits ? Embrasse-les tous pour moi ainsi que notre chère Maman.
Ta soeur dévouée,
Engrâce Irigoyen
* Une soeur aînée d'Elisabeth et d'Engrâce, Marguerite âgée alors de 34 ans, est mariée avec le chef cantonnier de St Just-Ibarre, Bernard Arruyé. Le couple n'a pas d'enfant (et ne semble pas en avoir eu par la suite). Elisabeth, 30 ans, mon arrière-grand-mère est mariée avec un cultivateur d'Aussurucq, Dominique Eppherre, et a déjà quatre enfants nés entre 1882 et 1888. Elle vit avec ses parents, Dominique Irigoyen, instituteur public en retraite, et Marie-Jeanne Dargain, propriétaire, dans la maison Etcheberria d'Aussurucq.
Lexique : Aïta : papa (Ama : maman)
Illustration : Johannes Weiland, 1870
Sources : AD64 Dossiers d'enseignement de Dominique Irigoyen (1829-1898) et Engrâce Brisé née Irigoyen (1859-1916) consultables aux Archives départementales de Pau (64). Un grand "milesker" à Nicolas Urruty !
* Une soeur aînée d'Elisabeth et d'Engrâce, Marguerite âgée alors de 34 ans, est mariée avec le chef cantonnier de St Just-Ibarre, Bernard Arruyé. Le couple n'a pas d'enfant (et ne semble pas en avoir eu par la suite). Elisabeth, 30 ans, mon arrière-grand-mère est mariée avec un cultivateur d'Aussurucq, Dominique Eppherre, et a déjà quatre enfants nés entre 1882 et 1888. Elle vit avec ses parents, Dominique Irigoyen, instituteur public en retraite, et Marie-Jeanne Dargain, propriétaire, dans la maison Etcheberria d'Aussurucq.
Lexique : Aïta : papa (Ama : maman)
Illustration : Johannes Weiland, 1870
Sources : AD64 Dossiers d'enseignement de Dominique Irigoyen (1829-1898) et Engrâce Brisé née Irigoyen (1859-1916) consultables aux Archives départementales de Pau (64). Un grand "milesker" à Nicolas Urruty !
" moi-même victime de fièvres puerpérales" rien que pour le mal mis en mot des maux d'Engrâce, je valide ce texte touchant.
RépondreSupprimerQuelle chance d'avoir une ancêtre institutrice pour retrouver des détails sur leur vie quotidienne et les dures réalités de la vie à cette époque, leurs relations familiales.
RépondreSupprimerMerci Marie de partager ces "bribes de vie" avec nous.
@Bérangère, merci de ta fidélité, tu dois être ma plus ancienne lectrice vu qu'AMQLTP a bientôt 11 ans ! J'ai beaucoup de plaisir à écrire ce blog généalogique et j'espère avoir enfin trouvé la bonne distance avec mes ancêtres ;=)
RépondreSupprimer@ Milesker Christine. Ces dossiers d'enseignement sont une vraie mine. Ca faisait longtemps que je voulais me rendre à Pau les consulter et je ne remercierais jamais assez Nicolas de l'avoir fait pour moi !