samedi 18 novembre 2017

La saga des Urrizaga (IV) - La rencontre

Mon vieux guide Baedeker de la République argentine à la couverture rouge écornée m'apprend que le quartier Villa Crespo de Buenos Aires est né en 1888 quand fut installée sur des terrains appartenant à la province de La Plata une usine à chaussures, la Fabrica National de Calzado. Je suppose que celle-ci a vu travailler de nombreux émigrés fraîchement arrivés du Pays basque.

J'avise une église toute simple et décide de pousser la porte pour m'y reposer quelques instants. San Bernardo, c'est son nom, est assez récente puisqu'elle date de 1896. A peine ai-je le temps de m'imprégner de la sérénité du lieu qu'un groupe de personnes y pénètre à son tour et se dirige vers le baptistère. Je m'installe au dernier rang pour suivre discrètement la cérémonie.

Soudain, une très jeune mère, le visage en partie dissimulé sous sa mantille, s'assoit près de moi et me sourit. Tout en essayant de calmer un bébé de quelques mois posé sur ses genoux, elle se présente spontanément :

"Bonjour, je suis Maria Victoria Urrizaga, et voici ma fille Ana Isubihere, elle a neuf mois et a mal aux dents !
- Oh bonjour ! Dites, je suis curieuse mais qui sont ces gens ?
- Vous voyez cette jolie femme qui porte le bébé sur les fonts baptismaux ? C'est ma mère, Ana Barcelona, la marraine, et l'enfant, c'est Ana Rosa, la première fille de mon oncle maternel Pedro Barcelona. Elle a deux mois et demi, elle est née le 30 août. Vous êtes française, non ? 
- Ça s'entend tant que ça ?
¡Claro que sí!" me lance-t-elle en riant et poursuit : "Mon oncle Pedro, vous savez, il est né en France, enfin, au Pays basque. Dans un village appelé Arnéguy. En fait, son vrai prénom, c'est Pierre."

Ma voisine me paraissant d'humeur bavarde, je décide d'en profiter :
"Alors votre mère aussi est née en France ?
- Non, c'est une curieuse histoire, vous savez. Mes grands-parents qui sont aubergistes à Arnéguy, Arnaud Barcelona et Marie Jaureguy, ont laissé leurs deux premiers enfants au pays et sont venus ici vers la fin des années 1850 quand l'Argentine accueillait des émigrés par milliers venant de toute l'Europe. 
Ma mère et son frère Guillermo sont nés ici en 1860 et 1862, puis mes grands-parents sont repartis à Arnéguy où ils ont eu Pierre en 1868 et Jeanne en 1871. Ma mère n'a jamais connu sa petite sœur mais elle sait qu'elle s'est mariée cette année en février avec Dominique Gaztambide, un maçon d'Arnéguy. En revanche, son petit frère lui, est venu vivre ici, et s'est marié l'an dernier avec Agustina Gonzales, une Argentine. Maman était son témoin et maintenant, elle est la marraine de sa première née".

Maria Victoria reprend son souffle et tandis qu'elle chatouille sa petite fille pour lui faire oublier ses quenottes, je "digère" toutes les informations qu'elle vient de me donner. Ce n'est pas la première fois que je suis confrontée à ces aller-retours entre le Pays basque et l'Argentine, c'était déjà le cas de ma trisaïeule Dominica Biscaitchipy, mais là, j'en reste sans voix.

Ma lointaine parente* s'est montrée si gentille que j'ai un peu de scrupules à me sauver comme une voleuse mais lui expliquer ma présence en ce lieu et en ce jour serait trop compliqué...
[A suivre]

*Maria Victoria est née à Buenos Aires le 17/11/1881, elle a donc presque 19 ans le jour de ce baptême, le 07/11/1900. Son père, Pedro Urrizaga, né en 1853 à Valcarlos est un frère aîné de mon arrière-arrière-grand-père Martin Urrizaga (sosa 22). 

Illustration : Photo du livre de Claudio Salvador "Villa Crespo y la industria del cuero". 
Sources : Geneanet, FamilySearch, AD64, Généalogie64Historia de Parroquias de Buenos AiresArgentina Exception
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

4 commentaires:

  1. Ton vif et bavard
    Intéressante manière de faire avancer la saga

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  2. Hola, ton article m’a donné envie d’ouvrir un guide d’Argentine pour situer ce quartier de Villa Crespo et m’y projeter. Je revois les conventillos où s’installaient les immigrants qui arrivaient. Avec toi, je me promène à Buenos Aires.

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  3. Toujours ce style direct et pur pour nous faire voyager, dans le temps, au-delà des frontières

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  4. @Fanny Nesida, ce qu'il y a de bien avec le #RDVAncestral, c'est qu'il permet de personnaliser une histoire qui pourrait paraître aride mais la "recette" ne s'applique pas à tous les sujets.
    @ Tous "mes" Urrizaga de Buenos Aires ont été baptisés et mariés à Nuestra Senora de Balvanera sur laquelle j'avais déjà bien avancé mes recherches avant de m'apercevoir que le baptême qui m'intéressait avait eu lieu dans la toute nouvelle église de San Bernardo ! J'ai dû tout recommencer, ça m'apprendra à ne pas lire jusqu'au bout ;=)
    L'église n'était pas très intéressante mais le quartier avec sa fabrique de chaussures, oui !
    @ Catherine, merci du compliment que je prends volontiers venant de quelqu'un qui met autant d'application dans ses propres billets :)

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