mercredi 11 novembre 2020

100 mots pour une vie : Jean Etchemendy (1877-1928)


En ce jour de commémoration de l’Armistice de 1918, je viens de retrouver cette photo de mon arrière-grand-père, Jean Etchemendy (1877-1928), un des poilus de la Grande Guerre. Gazé, il est reconnu invalide à 30% pour « troubles pulmonaires ». Chose rare, la mention « décédé des suites de blessures de guerre » figure sur son acte de décès le 3 juillet 1928 à St-Jean-le-Vieux. Il avait 51 ans et était père de sept enfants.

Avant de se marier, il avait tenté sa chance en Californie où, d’après sa fiche matricule, il s’était enregistré au Consulat de San Francisco en 1905.  

dimanche 25 octobre 2020

Quand un ancêtre "invisible" rajoute une branche à notre arbre

Dans un récent webinaire de MyHeritage, la conférencière Elise Lenoble énumérait les nombreuses sources permettant au généalogiste de retracer la vie d'un ancêtre "invisible". Mais d'abord, qu'entend-on par ancêtre invisible ? Juste quelqu'un qui, peut-être comme vous et moi, n'a jamais fait parler de lui de son vivant, que ce soit en bien ou en mal, n'a jamais connu comme le chantait si bien Brassens les "trompettes de la renommée", et dont la vie se résume à trois dates - et encore ! - de notre arbre : naissance, mariage et décès.

Ainsi de Pierre surnommé "Cadet" Apeceix dit Iriart. Dans mon arbre, c'est un collatéral très éloigné. Quand j'ai commencé ma généalogie, je ne m'intéressais pas vraiment à ces branches "secondaires" mais comme je partage mon arbre sur Geneanet, je pars du principe que ce qui ne me sert pas vraiment servira à d'autres. Et inversement.  

Les registres sous l'Ancien Régime étant très lacunaires pour les Pyrénées Atlantiques, je me sers énormément des minutes notariales. Nous, généalogistes basques et béarnais, avons la chance inouïe qu'elles aient été numérisées et accessibles sur le site des AD 64. Les plus anciennes remontent au 16e siècle mais on considère que les minutiers sont assez complets à partir de la moitié du 17e. 
Notre Pierre, donc, naît à Sunharette vers 1788 dans la maison Iriart de ce village de 121 âmes*, berceau d'une partie de ma famille souletine. Comme 90% des habitants, ses parents sont cultivateurs. Son père est son exact homonyme, Pierre Apeceix (son patronyme) dit Iriart (son domonyme). Sa mère, Marie Recalt dite Iriart, est native de Sunharette. Sauf erreur de ma part, ils ont eu sept enfants parvenus à l'âge adulte.
L'aînée, et future héritière de la maison, Marie, est la seule dont j'ai retrouvé l'acte de baptême, lequel indique qu'elle est née un 1er janvier (comme moi !) de l'année 1780. Elle et ses cadets naîtront tous sous le règne de Louis XVI sauf les deux derniers. Les chances pour moi de reconstituer cette fratrie étaient quasi nulles si Pierre n'avait décidé de faire son testament.
Le 10 février 1826, Pierre qui n'a pas 40 ans, est laboureur au Bordar d'Epilune à Alçay, un village voisin (les communes d'Alçay, Alçabehety et Sunharette fusionneront en 1833). Mais c'est dans sa maison natale Iriart de Sunharette que Maître Jean-Baptiste Detchandy (1777-1848), notaire royal (Charles X est au pouvoir) à Abense-de-Haut, se rend au chevet du malade, accompagné de trois témoins. 
Le testament court sur cinq pages dans lesquelles le notaire transcrit les dernières volontés de Pierre.  Les différents legs à ses neveux et nièces, filleul.es, frères et sœurs et à sa mère encore vivante (le père de famille est décédé cinq ans auparavant) vont me permettre de dénouer un à un les fils de cette branche. Pierre dont l'acte de décès mentionne qu'il était marié (ce que je n'ai pu vérifier), n'a vraisemblablement pas eu d'enfants mais s'est montré à la fois généreux et équitable pour sa nombreuse famille !
J'ai donc pu établir qu'il avait eu deux frères, Pierre Iriart dit Sorhondo, marié à Engrace Oxibar, métayer à Suhare puis cultivateur à Camou, dont le fils Pierre était un filleul ... de Pierre. L'autre frère, Jean, domestique à Suhare au moment du testament, était lui marié à une Luce Irigoyen dite Ardoy de Cihigue. La sœur aînée, Marie, s'est mariée avec Jean Etcheto dit Iriart, maire du village de Sunharette, et le couple aura également sept enfants dont l'aînée est la filleule de Pierre.
La cadette Christine épouse en 1807 un Pierre Mendiondo de Menditte et ce couple de métayers donnera naissance à neuf enfants dans toute la Soule avant de se fixer à Roquiague. L'un des fils se prénomme Pierre comme son parrain qui ne l'oublie pas non plus !
Une autre sœur, Thérèse, se marie en 1814 avec un Jean Haritchague dit Curutchet de Sibas. Je ne leur ai trouvé qu'une fille, Magdeleine, autre filleule de Pierre. Enfin, la benjamine, Elisabeth, épouse en 1824 un forgeron de Lacarry, Dominique Carricart. Le couple aura quatre enfants. Les deux sœurs, Thérèse et Elisabeth, décéderont la même année de 1869 à deux mois d'écart. Leur sœur aînée Marie est morte vingt ans plus tôt.  
On le voit, un simple testament d'un ancêtre "invisible" peut nous permettre de débloquer une branche entière pour peu qu'il soit aussi détaillé. Dans d'autres cas, c'est un contrat de mariage qui jouera le même rôle. Quant à Pierre Apeceix dit Iriart, il est décédé dans sa maison natale le 13 février 1826 soit trois jours après avoir dicté son testament. Grâce lui soient rendues !

* Recensement de 1793 (Wikipedia)

Illustration : José Arrue "La sortie de l'église"
Sources
Webinaire de MyHeritage 
AD 64 (Etat civil et Minutes notariales)

dimanche 18 octobre 2020

La quête de Dominique Inchauspé dit Tanto (II)

Personne ne venant troubler notre tête-à-tête, je repris mon récit. Dominique avait cessé de s'agiter et je décidai d'évoquer quelques souvenirs que je pensais plus agréables à ses oreilles.

"Savez-vous, Aitatxi*, que pour un cadet je trouve que vous vous êtes drôlement bien débrouillé ? De nos jours, on parlerait de vous comme d'un self made man ! De 1791 à 1801, vous n'avez cessé d'acheter des terres, d'échanger, de revendre, d'agrandir vos domaines à Abense-de-Haut, Alos, Sibas et Lichans. Vous devenez l'un des plus gros propriétaires de cette partie de la Soule.

En 1807, vous avez 47 ans (je ne vous l'ai pas dit mais j'ai retrouvé votre acte de baptême à Lacarry le 22 avril 1760) et vous réalisez le plus beau coup de votre vie : vous rachetez une terre labourable de cinquante ares et deux arpents trois-quarts sise à Sibas aux Sieurs Armand-Jean et Jacques-Philippe Sibas, père et fils, installés à Salies-de-Béarn. La Révolution est passée par là mais chacun dans le pays sait qu'il s'agit de terres appartenant aux anciens Seigneurs de Sibas même si leurs héritiers ont perdu leur particule.  

Vous acquérez cette terre pour la somme de deux mille francs en argent et pour ce faire, vous versez quatre cent francs d'arrhes et vous vous engagez à régler le solde dans les trois ans à venir avec un intérêt de 5%, payables aux vendeurs chaque année. Le contrat de vente, passé devant M° Pierre Darhan, notaire à Tardets le 15 octobre 1807, stipule que vous hypothéquez également vos immeubles à Abense-de-Haut et Lichans.   

Toutefois, excusez ma curiosité, mais je me suis demandé comment cette fortune vous était venue au départ. Certains actes mentionnaient que vous étiez marchand mais sans préciser de quoi. L'information la plus intéressante que j'ai trouvée vous concernant était contenue dans un acte du 26 Pluviôse an 3 (14 février 1795) dans lequel vous apparaissiez comme voiturier mettant ses mulets et ses chevaux à disposition des charrois pour l'armée des Pyrénées Occidentales basée à Trois-Villes. Vous recrutiez alors un cadet de la maison Quillihalt de Sorholus pour les conduire.  

Un autre acte plutôt édifiant, daté du 29 juillet 1801, rapportait un litige qui vous opposait, vous et votre femme, à votre belle-sœur Augustine Jauréguiberry et son mari Jean-Baptiste Faure à propos de la vente que votre beau-père leur avait faite de la maison familiale de Jauréguiberry d'Abense-de-Haut. Pour plaider votre cause, vous arguiez du fait que vous aviez prêté à celui-ci à deux reprises des sommes importantes, et que le compte n'y était pas. 

Dans le but d'éviter un procès très dispendieux dont le résultat ne pouvait être prévu et qui aurait causé [votre] désunion pour la vie (sic), vous avez trouvé un accord à l'amiable. Je ne peux m'empêcher de penser que votre belle-sœur Augustine vous en a peut-être tenu rigueur malgré tout car dans son testament, elle désigne comme héritière sa petite-nièce Julie Althabégoïty et lègue quelque chose à ses neveux Arotchex mais rien pour les Inchauspé dit Tanto...

Cher Aitatxi, auriez-vous été un tout petit peu procédurier ? Pas plus tard qu'en octobre de l'année dernière, vous avez été à l'origine de la demande d'expropriation de la maison Monsegurenia de Tardets de Jean-Pierre Monségu, l'un de vos petits-neveux par alliance. Le comble étant qu'il était lui-même huissier, fils et petit-fils d'huissier ! J'en ignore la raison mais c'est assez troublant."

Cette fois, Dominique ouvrit un œil torve et me foudroya du regard. Il avait raison, qui étais-je pour venir embêter un vieil homme sur son lit de mort sous prétexte que je lui avais couru après pendant cinq ans ? Pour me faire pardonner, je posai un baiser sur sa main et le remerciai pour tout ce qu'il m'avait apporté. A commencer par la vie...

*Aitatxi : grand-père en basque (écrit aussi aïtatchi)

Illustration : Valentín de Zubiaurre, Personajes vascos.
Sources : AD 64 (BMS, Etat civil et minutes notariales) - Acte de décès de Dominique Inchauspé dit Tanto (sosa 68).
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral

samedi 17 octobre 2020

La quête de Dominique Inchauspé dit Tanto (I)

Le 23 avril 1845, je me glissais subrepticement dans la maison de Pierrisen du bourg d'Abense-de-Haut en Soule. Dans une chambre à l'étage, un lit recouvert d'une courtepointe en laine rouge et surmonté d'un grand crucifix en bois occupait toute la place. De l'oreiller émergeait la tête d'un vieillard chenu qui semblait au plus mal. 

Je m'assis sur une chaise en paille à hauteur de son visage et pris une de ses mains tavelées entre mes doigts. Je me préparai à un monologue plus qu'à un véritable échange, j'ignorai même si son cerveau fatigué capterait mes mots mais peu m'importait, j'avais beaucoup choses à lui dire. Et pour commencer, que j'avais mis cinq ans à le retrouver.

"Aitatxi*, je vous dois une explication. Je suis votre descendante à la sixième génération et depuis cinq ans je m'adonne à la généalogie. Or, vous êtes l'aïeul qui m'a donné le plus de fil à retordre. J'ai su assez vite que vous étiez Dominique Inchauspé dit Tanto, le père de Jean-Baptiste, mon quadrisaïeul. Vous et votre épouse, Marie Jauréguiberry, êtes mentionnés dans son acte de mariage de 1811 avec Marie-Jeanne Duthurburu. Jolie dot entre parenthèses !

Non, mon problème était de vous relier avec une maison Inchauspé et je ne vous apprendrais rien en vous disant que c'est un nom que l'on retrouve dans presque tous les villages basques. Et voilà que récemment, je tombe sur le répertoire des minutes de M° Jean-Pierre Detchandy, notaire ici-même, et que vous avez bien connu si j'en juge par le nombre d'actes où vous apparaissez. 

Dans la marge renvoyant à un acte du 8 août 1789, vous êtes cité comme Dominique Inchauspé dit Tanto mais, vérification faite dans le minutier, l'acte se réfère à un Dominique Inchauspé de Lacarry. Lequel est témoin d'une obligation entre tiers et signe d'une jolie signature. Mue par l'intuition du généalogiste, je parcours les registres de baptême et mariages de Lacarry qui sont assez fournis pour l'époque.

Là, je découvre l'acte de baptême le 13 août 1789 d'un Dominique, fils de l'héritière de la maison Inchauspé de ce lieu et dont le parrain est cadet de ladite maison. Et, - miracle ! - je reconnais votre signature très particulière avec son "I" tirant sur le "y". Je sens que je brûle.

En décembre 1790, toujours dans les minutes de M° Detchandy, les choses se précisent : vous êtes Dominique Elissagaray dit Inchauspé**, cadet de Lacarry et domicilié à Abense-de-Haut, et en mars 1791, vous devenez Dominique Inchauspé, maître adventice de la maison Jauréguiberry (le nom de votre femme !). 

Enfin, en mai suivant, le clerc de notaire se fait encore plus précis : Dominique Elissagaray dit Inchauspé de Lacarry, marchand, résidant à Abense-de-Haut. Il faut attendre mars 1793 pour que vous apparaissiez comme Dominique Inchauspé dit Tanto, maison dans laquelle vous déclarez à partir de 1796 la naissance de deux fils, Manuel et Pierre, et le décès d'une petite fille de 5 ans prénommée Marie."

Avais-je rêvé où étais-je en train de sentir une pression de la main du vieillard dans la mienne ? Raviver ces souvenirs l'avait-il bouleversé ? Si je voulais continuer à dérouler le fil de sa vie, il me fallait user de plus de doigté...     

A suivre...

*Aitatxi : grand-père en basque (écrit aussi aïtatchi)

** Rappel : en généalogie basque, le nom de la maison (domonyme) prime sur celui du père (patronyme).

Illustration : J. Unceta "Aldeano con paisaje y caserío"
Sources : AD 64 (BMS, Etat civil et minutes notariales)

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante: je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral

samedi 10 octobre 2020

L'héritier, la cougar et la domestique

 

Pour ce billet de rentrée, j'avais prévu d'évoquer un ancêtre que je pourchasse depuis cinq ans et qui m'a enfin livré une partie de ses secrets. Mais chaque jour m'apporte son lot de découvertes au point que j'en viens à me demander s'il n'y a pas chez cet homme un brin de perversité : "Chère descendante, après cette longue quête, ne songe pas à me renvoyer aussi vite dans l'au-delà !"

Laissons donc pour l'instant de côté ce mystérieux aïeul et, à la place, je vous propose un billet plus léger et bourré d'interprétations, je m'en excuse par avance aux descendants des protagonistes ! Personnage-clé de notre histoire, Dominique né vers 1774 à Sibas, est à la fois l'héritier de la maison Haritchague dont il porte le nom et par sa mère, de celle d'Aguer d'Alçabehety, deux villages souletins. 

Or, première surprise, il épouse à 19 ans une femme de vingt ans son aînée, Marianne Althabegoïty née vers 1754 à Lichans. Qu'est-ce qui pousse notre double héritier dans les bras d'une cougar comme elle serait qualifiée à notre époque ? Je me perds en conjectures*. Peut-être tout bonnement le sens du devoir car en 1794, Dominique devient père d'une future héritière prénommée Marie. A ma connaissance, le couple n'eut pas d'autres enfants mais la mère étant déjà âgée de 40 ans, ceci explique peut-être cela...

Malheureusement, la pauvre enfant s'éteint le 27 mars 1814 dans sa vingtième année. Peut-être à cause du chagrin de perdre à la fois sa petite-fille et son héritière, le grand-père paternel, Jean Haritchague (ca 1739-1814) la suit dans le caveau familial trois jours plus tard !  Marianne survit au deuil de sa fille.

A quel moment Marguerite Elichiry dite Lechardoy, fille d'un journalier de Camou, née le 9 octobre 1812, entre-t-elle au service des époux Haritchague ? On sait le sort peu enviable des domestiques à cette époque mais pour Dominique qui avait perdu ses deux parents (Engrace Aguer, sa mère, est décédée en janvier 1821), ne pouvant compter sur des frères cadets et doté d'une épouse septuagénaire, une servante était indispensable à la bonne marche de la maison.

Faisons un bond en avant. Le 23 janvier 1838, Marianne, maîtresse d'Haritchague et d'Aguer, passe de vie à trépas à l'âge de 84 ans. Dominique, notre alerte sexagénaire, se précipite le lendemain (!) à la mairie de Sibas afin de faire publier les bans de son mariage avec ... Marguerite la servante, sa cadette de presque quarante ans, qu'il épouse le 7 février suivant. 

Loin de moi l'idée de tirer des conclusions trop hâtives mais le 29 octobre de la même année - je vous laisse faire le compte - un petit Jean voit le jour. Il sera suivi de Gratien en juillet 1841, Engrace en 1843 et Bernard en 1848 : la descendance des Hartichague de Sibas et des Aguer d'Alçabehety est assurée. 

Restons dans les clichés : "Margot", entrée comme domestique, restera la maîtresse du lieu jusqu'en 1893. Question longévité, elle aura fait aussi bien que sa maîtresse, survécu quarante-trois à son "vieux" mari et eu le temps de profiter de ses petits-enfants dont l'aîné sera blessé à la guerre de 14.

La sérendipité nous offre souvent de jolies histoires comme celle-là mais je ne peux m'empêcher de penser que je n'aurais jamais su que "Margot" était domestique de la maison Haritchague si un officier d'état civil zélé ne l'avait pas mentionné dans l'acte de mariage... 

* L’hypothèse la plus intéressante qui m’ait été proposée depuis est que 1793 fut l’année des premières conscriptions de la Première république. Rappelons que Dominique était un aîné, il ne pouvait pas se permettre de partir sept ans sous les drapeaux ! Se marier "en catastrophe" pouvait être une échappatoire au service militaire… 

Illustration : Vilhem Hammershøi, Intérieur.
Sources : AD64 (Etat civil, Minutes notariales et registres matricules).

mardi 21 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (V)

Le benjamin de la fratrie Ipharraguerre naît trois ans et demi après Louis. Prénommé Bertrand Philippe*, il voit le jour le 26 mai 1889 dans la maison familiale d'Estérençuby. Ses parents ont alors 46 et 43 ans et près de dix-huit ans le séparent de son aîné Pierre. Sans surprise, il est berger comme son père et ses six frères lorsqu'il est appelé sous les drapeaux. Son degré d'instruction est faible : 1, ce qui veut dire qu'il sait à peine lire. 

D'abord ajourné pour faiblesse en 1910, il est finalement rappelé en 1911 et versé dans le 1er régiment de zouaves d'Alger où il arrive le 16 octobre. Après Pierre en Argentine, Bertrand, Jean, Pierre, Michel et Louis en Amérique, le voilà posant le pied sur le sol africain. Décidément, il était écrit que les frères Ipharraguerre verraient du pays ! 

Zouave de deuxième classe, Philippe va prendre part pendant deux ans à des opérations militaires dans le Maroc occidental. C'est ce qu'on appellera la "campagne de pacification" ou, plus simplement, la Campagne du Maroc. Sous le haut commandement du Général Liautey, celle-ci visait à combattre les résistances de tribus marocaines à l'établissement d'un protectorat français (lequel aboutira finalement avec le Traité de Fès du 30 mars 1912).  

Le 18 septembre 1913, Philippe est rendu à la vie civile avec un certificat de bonne conduite. Réserviste, il reprend ses activités pastorales dans les estives d'Iramendy. Ses frères, Michel et Pierre sont rentrés d'Amérique trois ans auparavant pour épouser des filles du pays. On imagine la famille Ipharraguerre réunie autour de l'âtre de la maison Ampo, le père, la mère, les fils et les brus lisant les lettres des Amerikoanoak auxquelles sont peut-être jointes un mandat...      

Mais bientôt, les trois frères vont être happés par le tourbillon de l'Histoire et Philippe, pas plus que ses aînés, ne va échapper à l'ordre de mobilisation générale. Cette fois, il rejoint le 57e Régiment d'Infanterie, d'abord à Bayonne où il arrive le 3 août 1914 puis à Libourne. Le 57e dont la devise est "le terrible que rien n'arrête" sera de tous les combats de la Grande Guerre : Bataille de la Marne en septembre 1914, Verdun en 1916, Craonnelle en 1917, tristement célèbre pour ses 800 heures de combat, Somme puis Aisne en 1918.
Aucun fait d'armes mentionné dans le livret militaire de Philippe, pas de Croix de Guerre venue le distinguer comme ses frères Michel et Pierre. Un simple troufion qui fera toute la guerre, du Grand départ du 3 août 1914 au 3 novembre 1918 où il meurt des suites de ses blessures dans l'ambulance 6/18 à Nouvion et Catillon dans l'Aisne. Tombé pour la France à 29 ans.

Ainsi s'achève sur une note un peu triste l'histoire de ces 7 frères Ipharraguerre, sept destins de jeunes Basques de ce petit village de montagne pyrénéen où la Nive prend sa source.

Mais ceux qui s'adonnent à la généalogie savent que la page n'est pas toujours définitivement tournée. Qui sait si un jour je ne recevrai pas comme cela m'est déjà arrivé, un signe d'Argentine, d'Arizona ou d'ailleurs, qui me permettra d'en écrire la suite ?


Fin
* Pour simplifier, nous l'appellerons Philippe

Sources : AD64 (Etat civil et registres militaires) 
Campagne du Maroc : Wikipedia
Parcours du 57e RI : Chtimiste
MPLF : Mémorial GenWeb
Bibliographie : Les Poilus du Sud-Ouest "Le 18e Corps dans la Grande Guerre de Vincent Bertrand (Ed. Sud Ouest).
Illustrations : Cliquer dans la photo pour les deux premières, Delcampe.net pour la dernière.  

vendredi 17 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (IV)

Downtown Glendale, Maricopa County, Arizona, années 1950
En 1920, Louis Ipharraguerre apparaît dans le US Census d'Aberdeen, Bingham County, Idaho. Sa femme, Grace et ses enfants Marie, 7 ans et Wendell, 3 ans sont mentionnés sous le même nom que lui. Or en 1924, quand il fait sa demande de naturalisation, il déclare seulement deux enfants, Jeanne née 1921 et Bert né en 1923. Que sont devenus les premiers ?

La réponse viendra du recensement de 1930 de Glendale, Maricopa, Arizona. Cette fois, Louis Ipharraguerre est devenu Lewis Ipharr (!), il est accompagné de sa femme Grace Ipharr et leurs quatre enfants, Maree (sic), 17 ans, Wendell, 14 ans, Jeanne, 8 ans, tous trois nés dans l'Idaho et Bert, 6 ans, né dans l'Arizona. Mais en face des deux aînés, la mention stepdaughter et stepson confirme que ce sont bien les beaux-enfants de Louis né du premier mariage de Grace (d'où l'intérêt de bien lire tous les renseignements !).    
 
Mais revenons à la demande de naturalisation pour laquelle Louis entreprend des démarches en avril 1924. Dans sa déclaration d'intention, on apprend que Louis, alors âgé de 39 ans, est berger, qu'il est de couleur blanche mais de carnation foncée (dark), qu'il mesure 1, 67 m (5 feet, 5 inches), pèse 68 kg (150 pounds), que ses cheveux sont bruns et ses yeux, bleus. Comme signe particulier, son auriculaire de la main droite est tordu (crooked). Le Diable se loge dans les détails !  

Il se vieillit d'un an (il est né le 9 octobre 1885 et non 1884), est natif d'Estérençuby en France. Il déclare que sa femme Grace est née à Moore, Idaho (en fait, elle est d'Antelope). Il précise qu'il est arrivé à New York le 7 mars 1904 en provenance du Havre à bord de La Loraine (sic). Enfin, Louis donne son adresse : 1829 West Adams Street à Phoenix, Arizona. A noter qu'il signe de ses nom et prénom.

En 1926, Louis remplit une autre demande et cette fois, il est domicilié à Flagstaff, toujours dans l'Arizona, au 616 North Beayer Street. C'est là qu'il donne un peu plus de détails sur sa situation de famille et ses différents emplois (récapitulés dans le billet précédent). Il est arrivé avec sa famille dans l'Arizona le 6 juillet 1923. Le benjamin, Louis Bertrand dit Bert, y naîtra le 23 octobre de la même année. A Flagstaff, sur la fameuse route 66, Louis sera employé par la société Campbell & Francis, le plus grand ranch de l'Arizona. 

La pétition pour devenir Citoyen américain requiert le témoignage de deux ressortissants de ce pays. Louis Ipharraguerre demande ce service à A.E Livingstone, fermier, et Henry C Toeys, marchand, tous résidents d'Aberdeen, Idaho. 

Les témoins doivent préciser dans quelles circonstances ils ont été amenés à fréquenter Louis Ipharraguerre. Livingstone déclare qu'il l'a connu en mai 1916 alors qu'ils élevaient ensemble des moutons dans le désert à l'ouest d'Aberdeen tandis que Toeys fait remonter leur rencontre au printemps 1917 en tant que client de son magasin. Ils se sont fréquentés jusqu'à ce que Louis quitte l'Idaho pour l'Arizona.   

Apparemment, Louis ne sera pas naturalisé avant 1927. Il coulera alors une retraite qu'on espère heureuse auprès de sa femme, de ses quatre enfants et de ses huit petits-enfants à Glendale, une coquette banlieue de Phoenix, Arizona. Il y est inhumé au Resthaven Park West Cemetery depuis juin 1966. Sa femme Grace Stoddard l'y a rejoint le 29 juin 1983.

 A suivre...

Sources : Gen&OAD64 (Etat civil et registres miltaires), FamilySearch, Geneanet, Ancestry, MyHeritage, FindAGrave
Illustrations : Cliquer dans la photo 

Billets précédents : https://bit.ly/2ZTZk46,  https://bit.ly/3eiYZgJ, https://bit.ly/3fByepg

Un grand merci à Marguerite Ambroise du blog "Mes découvertes généalogiques" qui a fait des recherches pour moi sur Ancestry et notamment sur la demande de naturalisation de Louis Ipharraguerre ô combien riche en informations !

jeudi 16 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (III)

Farmer day in Aberdeen, Idaho, 1916
Des sept frères Ipharraguerre dont quatre auront tenté leur chance outre-atlantique, disons-le tout de suite, seul Louis parviendra à s'y ancrer. Et comme souvent, lorsque l'on fait des recherches aux Etats-Unis c'est à son sujet que j'ai glané le plus d'informations. Les Américains, peuple relativement jeune et issu pour la plupart d'autres continents, sont souvent friands de connaître leurs origines et les sources ne manquent pas.

Pour retracer la vie de Louis, je suis néanmoins partie comme pour ses frères de son acte de naissance et de son registre matricule. Avant-dernier de la fratrie, Louis naît le 9 octobre 1885 dans la maison familiale "Ampo" d'Estérençuby. Ignorance ou distraction de sa part, selon les différentes archives américaines, il serait né un an plus tard... ou plus tôt.  

Côté affaires militaires, il est de la classe 1905, est déclaré insoumis en 1907 mais se présente de lui-même en 1910 au Consulat de France à San Francisco. Néanmoins, il ne prendra pas part à la Première guerre mondiale car en décembre 1914, la Commission de réforme de Bayonne l'en dispense pour raison de "faiblesse de ligaments du genou gauche".

Mais revenons à son arrivée aux Etats-Unis. Louis pose le pied sur le sol américain le 7 mars 1904, à New York en provenance du Havre où il a embarqué sur "La Lorraine" - le plus grand transatlantique de l'époque - en 3e classe. Il semble avoir voyagé seul mais donne comme contact aux services de l'immigration le nom de son frère Bertrand à Reno, Nevada. Sa fiche matricule y précise même l'adresse, le "Commercial Hotel" à Reno.   
La future demande de naturalisation de Louis nous apprend qu'il a d'abord travaillé pour son frère Bertrand justement, pendant un an environ, puis les quatre années suivantes à Ely, Nevada, d'abord pour un certain Mr Magill puis chez un autre éleveur, un "Français" dont il ne précise pas le nom. 

Rappelons que c'est en juin 1906 que décède son frère Bertrand à Reno pour des raisons que j'ignore. Quand ses frères Pierre et Michel rentrent au pays fin 1910, on retrouve Louis à Aberdeen, dans l'état voisin de l'Idaho, mais tout de même à une distance de 460 miles (740 km) au nord-est d'Ely.

A Aberdeen, une ville qui comptait 471 habitants en 1920 (environ 2000 aujourd'hui), Louis déclare avoir travaillé d'abord chez deux éleveurs avant de se mettre à son compte vers 1919. C'est cette année-là que notre célibataire de presque 34 ans va convoler en justes noces avec une jeune veuve de 24 ans, Grace Stoddard. 

Née le 8 juillet 1895 à Antelope, Idaho, Grace a d'abord épousé le 15 novembre 1911 à Moore, Idaho, un dénommé Frank Gilbert McGee de Paris, Missouri. Le couple s'est ensuite installé à Arco, Binham County, Idaho, où ils ont eu deux enfants, Marie, née en 1912 et Wendell, né en 1916. Mais fin 1918, Frank meurt de la grippe espagnole. 

Il m'a d'abord été difficile d'identifier Grace car elle apparaissait sous son nom de veuve McGee, y compris dans son acte de mariage avec Louis, célébré le 30 août 1919 au County Court House de Blackfoot, Idaho. Une fois que j'ai trouvé son nom de jeune fille, Grace Stoddard, tout a été plus simple : j'écrivais en préambule que les Américains sont généreux en témoignages familiaux. La preuve avec cette étonnante archive dénichée sur FamilySearch "The Life and Times of the Stoddard Family : Twelve generations"  

 A suivre...
Sources : Gen&OAD64 (Etat civil et registres miltaires), FamilySearchGeneanetAncestryMyHeritage, FindAGrave
Illustrations : Cliquer dans la photo 

Billets précédents : https://bit.ly/2ZTZk46 et https://bit.ly/3eiYZgJ

samedi 11 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (II)

Ces élèves de l'école d'Eagleville dans le Comté de Modoc du Nord-Est de la Californie qui posent devant l'objectif d'un photographe en 1902, ont-ils croisé les frères Ipharraguerre sans avoir la moindre idée d'où se trouvaient la France et encore moins la vallée reculée du Pays basque dont ils étaient issus ? Pierre et Michel ont-ils cru voir des ressemblances entre ces jeunes américains et leurs petits frères restés au pays ? Les sommets de la Sierra Nevada que l'on distingue à l'arrière-plan de ce cliché leur ont-ils rappelé le Pic familier de Béhorléguy ? Qui sait. 

- Michel Ipharraguerre est le quatrième de la fratrie mais c'est le premier à naître à Estérençuby dans la maison Ampo qui sera désormais le foyer de cette grande famille constituée uniquement de garçons. Né le 12 avril 1879, il a deux ans de moins que Pierre et cinq ans de moins que Bertrand. D'abord dispensé de service national pour cause de frère sous les drapeaux, il incorpore en mai 1900 le 9e régiment d'infanterie de Bayonne. 

Dès qu'il est dégagé de ses obligations militaires, il file en Amérique. Exactement comme Bertrand et Pierre, l'Armée note qu'il est en octobre 1903 à Reno (Nevada) puis en janvier 1907 à Eagleville (Californie). Il est fort probable que Pierre et Michel aient été présents au moment de la mort de leur aîné Bertrand. Cela les a peut-être poussés à tenter leur chance plus loin...

Mais comme Pierre avant lui, Michel rentre au pays trois ans plus tard pour se marier une semaine avant son frère, le 13 novembre 1910, avec une fille d'Estérençuby, Jeanne Suhit de la maison Arotçaenia. Et comme ses frères et tous les jeunes gens de sa génération, il est rattrapé par l'ordre de mobilisation générale du 2 août 1914.

De même que son aîné et bientôt son cadet, il se verra décerner la Croix de Guerre. Une citation résume son héroïsme : "Brave soldat (qui) a fait preuve de dévouement et d'un grand mépris du danger au cours des corvées très pénibles de ravitaillement en ligne pendant la période du 19 au 26 avril 1917".  Michel est renvoyé dans ses foyers le 7 février 1919. Il retrouve à Estérençuby sa femme et ses trois enfants, juste à temps pour fêter son quarantième anniversaire.

- Trois ans presque jour pour jour après Michel, la famille accueille un autre Pierre. Né le 2 avril 1882, l'appelait-on Pette ou Peio pour le différencier de ses frères ? Ni l'état civil ni son livret militaire ne nous renseignent là-dessus. En revanche, ce qui le distingue de ses aînés, c'est qu'il ne sera pas berger en Argentine ou en Californie puisqu'on le retrouve facteur à Paris en janvier 1909 puis à Bayonne en juin 1910.

Réserviste dans les PTT, il rejoint le front en mai 1916 en étant affecté au 2e Régiment du Génie de Montpellier. Le 15 août 1918, il reçoit un éclat d'obus à la cuisse. Comme celle de Michel, sa fiche matricule comporte une citation : "Sapeur courageux et dévoué, blessé au cours de la période difficile du 4 au 15 août 1918". Après Pierre et Michel, il reçoit la Croix de Guerre.

La Grande Guerre lui laissera des séquelles. Revenu à Bayonne début 1919, il souffre d'hydarthrose du genou et de troubles digestifs, ce qui lui donne droit à une pension de 20% en 1920 puis de 75% (!)  pour entérite chronique en 1925, année où il décède le 17 juin à Bayonne à l'âge de 43 ans. J'ignore s'il a eu le temps de fonder une famille...

A suivre...

SourcesGen&OAD64 (Etat civil et registres militaires)
Illustration : Cliquer dan la photo 

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mercredi 8 juillet 2020

Les 7 frères Ipharraguerre d'Estérençuby (I)

Le berceau de "mes" Biscaichipy se situe à Saint-Michel en Basse-Navarre. La branche dont descend mon arrière-arrière-grand-mère Dominica s'est établie à Saint-Jean-le-Vieux même si celle-ci est née en Argentine comme j'ai déjà eu l'occasion de le raconter ici. D'autres branches ont fait souche aux Aldudes, à Béhorléguy ou Estérençuby ce qui, pour ceux qui connaissent le coin, ne représente jamais qu'un territoire grand comme un mouchoir de poche.

Et chaque génération, quelle que soit la branche, a fourni son lot d'immigrés, ses Amerikanoak partis en nombre offrir leurs bras aux fermiers ou éleveurs d'Uruguay, d'Argentine, du Nevada ou du Wyoming. La famille Ipharraguerre d'Estérençuby n'a pas fait exception à la règle. Née d'une cadette Biscaichipy prénommée Marie et d'un aîné, Pierre Ipharraguerre, pasteur de son état, mariés en 1870, cette fratrie était composée de huit fils ! Oui, que des garçons, aucune fille, et dont un seul, le "numéro trois" ne parvint pas à l'âge adulte.

Comme souvent en cette fin du 19e siècle et début du 20e, ce sont les registres matricules (numérisés de 1878 à 1921 par les AD64) qui m'ont permis de retracer en grande partie la vie de ces sept frères aux destins très divers. Bergers comme leur père, certains se sont soustraits à leurs obligations militaires pour tenter leur chance en Argentine ou dans l'Ouest américain où ils avaient été précédés par des oncles et tantes maternels ou paternels. Certains en sont revenus, d'autres pas, suivons-les.

De l'aîné, Pierre, né le 3 août 1871 dans la maison Uhaldia de son grand-père maternel Jean, maire d'Estérençuby, je ne sais rien ou presque si ce n'est qu'il est le premier insoumis de la fratrie. Il est d'abord dispensé de service militaire en tant qu'aîné de sept enfants puis il manque la revue de novembre 1892. L'Armée note alors qu'il est domicilié à Buenos-Ayres (sic). Au recensement argentin de 1895, son oncle Pierre Biscaichipy est commerçant dans cette ville. L'a-t-il rejoint ou a-t-il continué vers l'Uruguay où un cousin germain du même âge, Bertrand Ipharraguerre, semble s'être installé ? 

Son cadet, Bertrand, né dans la même maison le 29 mars 1873, fait le même choix que son frère. Insoumis, il choisit l'Amérique. Le 20 décembre 1893, c'est un Bertrand d'à peine 20 ans, qu'on retrouve sur la liste des passagers à l'arrivée à New York du Chateau-Lafite en provenance de Bordeaux. La traversée sur ce steamer de l’éphémère Compagnie bordelaise de navigation à vapeur dure alors douze jours. 
En 1904, Bertrand donne aux autorités militaires une adresse à San Francisco, puis de là part sans doute se placer comme berger dans le Nevada où son décès est signalé le 7 juin 1906 à Reno, à l'âge de 33 ans.

Un autre Pierre, né le 24 juin 1877 dans la Borde de Chahotéguy suit les traces de Bertrand. Après avoir fait son service militaire pendant deux ans, on le retrouve en octobre 1903 à Reno (Nevada) puis en janvier 1908, à Eagleville (Modoc County, Californie). Mais deux ans plus tard, il est de retour à Estérençuby où il se marie le 20 novembre 1910 avec Gratianne Goyhenetche de treize ans sa cadette. Quand l'ordre de mobilisation intervient, il rejoint son régiment, le 142e RIT. Selon la formule consacrée, Pierre fera la Campagne contre l'Allemagne du 4 août 1914 au 23 janvier 1919 et obtiendra la Croix de Guerre avec étoile d'argent. Quand il est enfin libéré de ses obligations militaires, il est père d'un enfant.    

[A suivre...]

Illustrations : Ramiro Arrue y Valle (1900)

Etymologie : Daprès Geneanet, Ipharraguerre voudrait dire en basque : exposé (agueri) au Nord (Ipharra).
Sources : Gen&O, AD64 (Etat civil et registres miltaires). FamilySearch, Ancestry.  

vendredi 26 juin 2020

Quand le choléra s'abat sur une famille

Il arrive souvent en généalogie d'être confronté au hasard des registres à de véritables tragédies familiales vécues par nos ancêtres. Le cas des décès d'enfants en bas âge est le plus fréquent et, des années de recherches après, ne nous laisse toujours pas indifférent. J'avais déjà évoqué dans un billet intitulé "Quand le sort s'acharne sur une famille" l'histoire d'une mère et de ses trois filles décédées à Béhorléguy en 1874. 

Récemment, deux pages d'un registre d'actes de décès à Ossès ont attiré mon attention : le père, la mère et deux de leurs six enfants meurent entre le 23 et le 28 août 1855. J'ai d'abord pensé à un incendie de leur maison mais des recherches à des dates postérieures ont infirmé cette hypothèse : la fille aînée, Marie, âgée de 17 ans à la mort de ses parents et de ses petits frères, devient héritière quelques années plus tard de la maison Péritsh du quartier Ouhaïts d'Ossès.

Reste l'hypothèse d'une maladie contagieuse expliquant le décès de quatre membres d'une même famille la même semaine. Je m'en ouvre sur mon fil de généalogie Twitter et aussitôt plusieurs de mes contacts m'apportent la réponse : 1854 et 1855 sont des années où la France a été frappée par une terrible épidémie de choléra encore plus meurtrière que celle de 1832.

"Au cours du 19e siècle, alors que la population s’habituait depuis près d’un siècle à vivre sans épidémie, le choléra refait son apparition en France. La première vague en 1832-1834 frappe essentiellement Paris et le nord de la France (120 000 décès en 1832)".¹  En 1853-1854, une deuxième vague touche la France, faisant 143468 victimes.

Au Pays basque, l'épidémie semble s'être propagée depuis d'Espagne. "Les Bayonnais apprennent ainsi en décembre 1854 qu’un foyer épidémique existait à Peyrehorade (Landes), sans doute apporté par les Espagnols ou du moins par les échanges commerciaux avec les pays au sud des Pyrénées. [...] Dès la mi-août (1855), les nouvelles du choléra sont rapportées par les sources d’informations. Les familles espagnoles ne cessent d’arriver en nombre de Madrid et d’autres villes du pays. Les mesures prophylactiques ne suffisent plus à enrayer la maladie. On dénombre déjà des victimes à Mauléon, Saint-Etienne-de-Baïgorry et Tardets. Les courriers et enveloppes adressés par Napoléon III mentionnent désormais "Bayonne et Mauléon atteints de l’épidémie" .²

Mais revenons à notre petite famille. Guillaume Etchemendy, né à Béhorléguy en 1803, a épousé le 29 janvier 1837 à Ossès Marie Harostéguy de neuf ans sa cadette et héritière par sa mère de la maison Péritsh. Ossès est alors un gros bourg Bas-Navarrais de 2000 habitants*. En août 1855, lorsque la foudre s'abat sur ce couple de cultivateurs, ils ont six enfants encore vivants âgés de 17 ans à 9 mois. La maladie va frapper dans l'ordre la maman le 23, puis le benjamin Jean Gazté le 24 et enfin, le 28, le père et un garçonnet de sept ans également prénommé Jean.  

Les quatre enfants restants sont confiés à leur oncle paternel Jean dit Gachté, cultivateur et maître de la maison Teilleriborde de Mendive. Il sera mentionné comme tuteur de ses neveux lors du mariage de Marie en 1858 et de Jean en 1869. Une autre Marie se mariera à Mendive en 1883 mais étant majeure, son oncle et probable tuteur n'est pas mentionné dans l'acte de mariage.

Dans cette fratrie, je n'ai pas réussi à retrouver la trace de Jacques, né à Ossès le 7 mars 1845 et donc âgé de dix ans au moment des faits si toutefois il était toujours en vie... A noter aussi, qu'une tante maternelle de la maman, Jeanne Arrossa, veuve Lahore, 75 ans était décédée le 4 août 1855 soit trois semaines auparavant. A-t-elle été la première victime de la famille ? Difficile à dire... 

* Entre les recensements de 1851 et 1856, la commune perd 151 habitants, probablement à cause du choléra.

Illustration : Couverture du "Petit Journal" du 1er décembre 1912 
Sources
Journal de la société de statistiques de Paris : Note statistique sur le choléra de 1832, 1849 et 1854
Registres d'état civil : AD64

jeudi 9 avril 2020

Monographie d'une commune basque : Aussurucq (VII)

Aujourd'hui, ça tombe bien, j'avais prévu d'aborder l'aspect géographique de cette série or c'est justement le jour que Gallica, la bibliothèque numérique de la BNF, a choisi pour faire découvrir à ceux qui ne le connaitraient pas encore Gallicarte. Gallicarte, c'est quoi ? C'est l'outil de géolocalisation de Gallica pour pouvoir notamment retrouver un lieu en France. Non sans humour, cette "quête" se repère sur les réseaux sociaux par le hashtag #Mon BledDansCassini (carte 1).


La carte de Cassini est la première carte topographique établie à l'échelle du Royaume de France entre le milieu du 18e siècle et le début du 19e siècle (1756-1815). Il serait du reste plus juste de l'appeler "carte des Cassini" car elle a été dressée par la famille Cassini, principalement César-François Cassini et son fils Dominique. 

On lit parfois aussi "carte de Marie-Antoinette" pour les relevés effectués au 18e siècle. On peut y accéder via Geoportail mais aussi l'Ehess qui a l'avantage de donner en plus des informations sur l'évolution de la population par exemple (voir le 3e volet de cette série). J'ai choisi l'extrait de la carte de Cassini ci-dessus, car en plus d'Aussuruc (orthographe de l'époque), on distingue Suhare, d'où viennent les Irigoyen et Sunharette d'où était natif Dominique Eppherre, mon arrière-grand-père.  

Dans la carte n° 2, extraite du "cadastre napoléonien" d'Aussurucq (en ligne sur le site des AD64), on peut voir le centre du village tel qu'il était au début du 19e siècle. On y distingue très bien le château de Ruthie avec ses deux corps de bâtiments (parcelle 240) et au-dessus, en bleu, l'église entourée de son cimetière (parcelle 264). Quand j'aurai l'occasion de retourner en salle de lecture du PAB* à Bayonne, j'irai consulter le "Registre des augmentations et diminutions" (série 3P) pour en savoir plus sur les propriétés de mes ancêtres à l'époque.
Si on le compare avec Aussurucq aujourd'hui sur Géoportail (carte 3), on s'aperçoit que le centre du village n'a pas énormément changé, on distingue bien le bâtiment en "L" du château avec derrière, le fronton et, en haut à droite de celui-ci, l'église et le cimetière en forme de "larme".
Pour terminer avec cette approche "spatio-temporelle", la dernière carte, toujours dans Cassini, permet de repérer Aussurucq dans son environnement géographique...


* PAB : Pôle d'archives de Bayonne et du Pays basque 

mercredi 8 avril 2020

Monographie d'une commune basque : Aussurucq (VI)

Quel est le rapport entre l'Ecole Normale Supérieure de Fontenay-aux-Roses fondée en 1880 et chantée par Maxime Le Forestier, et Aussurucq ? A mi-chemin entre mon billet sur l'école et celui sur l'église, plusieurs articles de Gallica ont mentionné le nom du village associé à un certain Félix Pécaut. Né Jean Pécaut à Salies-de-Béarn, le 3 juin 1828, Félix Pécaut est le fils de Pierre Pécaut, un fabricant de chocolat béarnais, et de Félice Beigbeder. 

Pasteur, membre du consistoire protestant, Pierre Pécaut est pour le moins un original qui décide d'envoyer son fils premier né âgé de 7 ans à Aussurucq, officiellement pour y apprendre le basque ! Pour ce faire, il logera chez l'instituteur de la commune, Jean Iribarne. A la mi-septembre 1835, l'enfant arrive donc au village avec une mission quasi christique : apporter la bonne nouvelle.

Curieux mélange de genre que cette immersion d'un petit protestant (autant dire hérétique aux yeux des villageois), dûment accrédité par le sous-préfet des Basses-Pyrénées de l'époque, logé chez l'instituteur laïc et qui, très vite, a maille à partir avec le curé avec qui il débat de "choses saintes et de la Bible". Le futur journal de son fils, Elie Pécaut (1854-1912), évoquera même deux "controverses théologiques." Pas moins ! 

Très vite, le scandale éclate et dès le 22 septembre, le Maire d'Aussurucq, Monsieur Sagardoy, écrit à Pierre Pécaut en ces termes : "Lorsque j'appris que votre fils devait venir auprès de notre instituteur, je ne croyais pas qu'on aurait attaché à sa présence ici une si vive importance. Mais aujourd'hui que votre enfant est devenu le sujet de troubles et de divisions dans la commune, je vous prie de nous le retirer." Cependant, Félix y restera au moins jusqu'à janvier 1836 et ne fera aucune allusion à l'hostilité ambiante dans les six lettres qu'il écrira à ses parents. 

Devenu inspecteur général de l'Instruction publique sous Jules Ferry,  Félix Pécaut contribue à la fondation de l'ENS de Fontenay-sous-Bois aux côtés de Ferdinand Buisson. Il sera le premier Directeur de cette école chargée de former entre 40 000 et 50 000 institutrices dont la France avait besoin en cette fin du 19e siècle dans sa marche vers la laïcisation de l'école.

Mais revenons à Aussurucq, ou plutôt empruntons les pas de Félix Pécaut, alors en tournée d'inspection dans le Pays basque où il revient en 1880. Il écrit à sa fille Berthe Pécaut épouse Carrive (1860-1920) : "J'arrive d'Aussurucq, où l'instruction est loin d'avoir bougé depuis que j'y étais à l'école, en 1835. J'ai revu le porche de l'Eglise, où étaient nos bancs, la maison où j'arrivai tout enfant sur une ânesse aveugle, la petite place où, assis sur un quartier de roc, je racontais à un vicaire émerveillé les longues histoires de la Bible." [...] 

Et de conclure de façon lapidaire : "Le pays est très réactionnaire. Comment ne le serait-il pas ? Il ne lit rien ; il n'entend que le prêtre. Il faudrait vingt ans d'efforts suivis pour modifier profondément cette situation. Les pères de famille, mes camarades de 1835, suivent l'exemple de leurs devanciers en fait d'indifférence."

A ce moment-là, mon trisaïeul Dominique Irigoyen est encore en poste et vit une fin de carrière compliquée où rappelons-le, il est chantre à l'église, et en bien meilleurs termes avec le curé qu'avec le maire... On l'a un peu oublié mais à cette époque, l'école était un enjeu crucial entre le Clergé et la République. Vingt -cinq ans plus tard, la question sera en partie réglée avec la Loi de séparation de l'Eglise et de l'Etat.

A suivre...

Illustrations : ENS Fontenay-aux-Roses : delcampe.net
Portrait de Félix Pécaut : Wikipedia.
Autres sources : AD 64, Gallica Presse et Médias 
Généalogie de Félix Pécaut sur Geneanet
Sur Félix Pécaut : Lucien Carrive, "Un épisode des conflits religieux en 1835 : Félix Pécaut à Aussurucq"Bulletin du CEPB, Pau, Centre d'étude du protestantisme béarnais, série n°18,‎