samedi 16 février 2019

Quand un oncle de 52 ans épouse sa nièce de 19 ans

Ce rendez-vous ancestral me conduit à nouveau à Bordeaux. Mon intention était de rendre visite à mon aïeule Anne d'Etchahon épouse d'André Darhanpe dont j'avais trouvé non pas un mais deux testaments mais les événements en ont décidé autrement. La panne du site des AD64 qui se prolonge ne me permettant pas de vérifier une ou deux sources, mon attention s'est portée ailleurs.

Un curieux acte de mariage datant de 1822 me met sur les traces de Anne ou Marianne Darhanpe, née le 10 septembre 1756 à Oloron-Sainte-Marie, fille de Joseph Darhanpe, facturier à Oloron et frère cadet d'André, évoqué plus haut. Mon aïeule est donc la tante par alliance de cette personne et j'ignore si elles ont beaucoup frayé de leur vivant.

Mais faisons un saut dans le temps et plongeons-nous dans le Bordeaux de cette première moitié du 19e siècle. Nous sommes en pleine monarchie de Juillet, Louis-Philippe est sur le trône de France depuis trois ans et la dame à laquelle je m'apprête à rendre visite sans y avoir été invitée (!) est une veuve de 77 ans, rentière de son état. Elle vivra encore deux ans mais ça, je ne suis pas censée le lui dire...

J'emprunte la Porte Dijeaux et traverse la place Gambetta qui ne s'appellera ainsi que dans une cinquantaine d'années mais est déjà considérée comme le centre de la ville, une "borne zéro" y sera même installée d'ici peu. Aujourd'hui comme hier, elle est bordée d'immeubles cossus de la deuxième moitié du 18e dont les façades s'ornent d'élégants mascarons. Au nord-ouest, elle débouche sur la rue du Palais-Gallien. 

Je passe devant l'Hôtel des Monnaies qui n'est pas encore la Grande Poste de Bordeaux et me dirige d'un pas décidé vers le numéro 82 de la rue du Palais-Gallien. Un hôtel particulier bâti sur trois niveaux qui ne sait pas encore qu'il sera transformé au 21e siècle en une "boutique-hôtel" très tendance se dresse devant moi. Un majordome stylé en livrée m'introduit dans un petit boudoir et s'éclipse pour annoncer ma visite impromptue.

Perdue dans ses dentelles moirées, les cheveux blancs dépassant d'un bonnet sans âge comme elle,  Marianne, comme elle souhaite qu'on l'appelle, veuve Abadie, me toise d'un air peu amène. Sa bonne éducation reprenant le dessus, elle m'invite néanmoins à prendre place dans un fauteuil Louis XVI aux couleurs passées dont l'inconfort n'invite pas à s'éterniser. La conversation s'engage enfin.

"Je suis désolée de vous importuner Madame, mais je fais des recherches généalogiques et j'ai vu votre signature au bas d'un acte de mariage de 1822 qui m'a interpelée. Il s'agissait du mariage de votre frère cadet Joseph qui se faisait appeler Darhanpe-Casamayor...
- Du nom de ma mère, me coupe-t-elle aussitôt.
- Oui, je sais que votre père était de Tardets et votre mère Marie Jeanne Casamajor-Pourilhon, d'Oloron-Sainte-Marie. Et donc, votre petit frère Joseph vivait ici même avec vous quand il a contracté mariage avec euh, ... votre nièce ?
- C'est exact, on vous aura bien renseignée. Ma nièce Marie Claire, orpheline de sa mère, a épousé en premières noces mon frère, son oncle paternel donc. Mon frère Jean qui s'était remarié en 1813 a donné son accord comme vous le savez probablement. C'était une façon de faire bénéficier la pauvre petite d'une situation. D'ailleurs, le mariage fut bref, moins de trois ans après, mon frère Joseph nous quittait pour des Cieux plus cléments.
- J'ai vu que le mariage n'avait pas, euh, donné d'enfants ?
- Vous comprenez bien que nous ne parlons pas de ces choses-là mais c'est exact, Marie Claire n'a pas eu d'enfants ni avec son premier mari ni avec le second d'ailleurs, un avocat bordelais qu'elle a épousé en 1828. La malheureuse est morte moins de cinq ans plus tard, que Dieu dans Sa grande miséricorde ait pitié d'elle.         
- Oui, je sais, elle est décédée dans sa trentième année à Oloron. Savez-vous de quoi ?
- Non, je l'ignore, consomption j'imagine. Je n'ai plus beaucoup de contact avec ma famille de là-bas. Mon défunt mari nous a quittés il y a plus d'un demi-siècle, sous l'Ancien régime, un autre monde... Et cela fait si longtemps que je vis à Bordeaux...".

Marianne n'a touché ni à son thé ni à ses canelés. J'en aurais bien repris mais je sens que je l'importune avec mes questions, il est temps de prendre congé. 

Je décide de profiter du beau temps pour aller voir à quoi ressemblaient les ruines du Palais-Gallien à cette époque, je sais qu'à la fin du 18e siècle, la municipalité endettée avait décidé de le lotir et de vendre des terrains, les nouveaux propriétaires s'empressant de le piller en utilisant ses belles pierres blondes qui dataient pourtant de l'époque gallo-romaine ! Son classement n'interviendra qu'en 1840.

Chemin faisant, je réfléchis à ce que la vieille dame m'a confirmé. Les mariages arrangés y compris au sein d'une même famille ne choquaient personne. D'ailleurs, à l'acte de mariage était jointe une dispense de degré de parenté octroyée par ordonnance royale et enregistrée par le tribunal d'instance de Bordeaux. Autres temps, autres mœurs... 

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

Illustration : Joseph Basire "Vue des ruines du Palais-Gallien", 1796, aquarelle. In "Le Palais-Gallien de Burdigala à Bordeaux" par Philippe Cloutet   
Sources : Gen&O, Filae, 33-bordeaux.com

8 commentaires:

  1. Heureux de te retrouver dans ce #RDVAncestral ! En tout cas, Marianne n'avait pas l'air commode et j'imagine son regard reprobateur... pas facile de discuter avec elle. Pourtant, tu as réussi a lui parler et elle a pu t'apporter quelques menus renseignements et confirmations...

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    1. Merci Sébastien ! Il faut dire à la décharge de Marianne que je lui posais des questions bien indiscrètes ;=)

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  2. Ah mais, voila qui me donne envie d'aller demander quelques explications à mes ancêtres pour savoir pourquoi dans ma généalogie des oncles ont épousé leur nièce... Je pense que les raisons vont ressembler à celles que nous exposent Marianne

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    1. Merci Catherine. Personnellement, c'est la première fois que je tombe sur un tel cas. Dans la "vraie vie", j'ai connu une Indienne qui avait épousé son oncle dont elle avait eu deux enfants et n'avait pas l'air de s'en formaliserr mais ceci est une autre histoire. Quoique pas tant que ça, quand mes amies en Inde s'interrogeaient sur les mariages arrangés, je leur faisais remarquer que ça se passait chez nous comme ça il n'y a pas si longtemps...

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  3. Des mariages oncles-nièces, je n'ai pas, mais entre cousins germains j'en ai une palanquée au XIXe et même au XXe, l'un d'eux pourrait-il se retrouver en RDV ancestral ? qui sait... En tout cas j'ai apprécié cette lecture :-)

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    1. Merci Renaud, contente que tu aies apprécié !
      Oui, le mariage entre cousins surtout dans les milieux bourgeois et aristos étaient fréquents aux siècles passés. Entre oncle et nièce, ça devait être plus rare, morale et religion obligent...

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  4. Un régal ce tourbillon de questions, les descriptions détaillées de la visite chez une gente dame un peu réticente, et de la promenade dans Bordeaux.

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    1. Oh merci F., je suis contente que ça t'ait plu !. Je ne sais pas pourquoi mais il y a beaucoup de vieilles dames récalcitrantes dans mes récits de #RDVAncestral. Peut-être est-ce comme ça que je m'imagine plus tard répondant aux questions trop curieuses d'un.e decendant.e piqué.e de généalogie ;=) ?

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