Ce rendez-vous ancestral me conduit à nouveau à Bordeaux. Mon intention était de rendre visite à mon aïeule Anne d'Etchahon épouse d'André Darhanpe dont j'avais trouvé non pas un mais deux testaments mais les événements en ont décidé autrement. La panne du site des AD64 qui se prolonge ne me permettant pas de vérifier une ou deux sources, mon attention s'est portée ailleurs.
Un curieux acte de mariage datant de 1822 me met sur les traces de Anne ou Marianne Darhanpe, née le 10 septembre 1756 à Oloron-Sainte-Marie, fille de Joseph Darhanpe, facturier à Oloron et frère cadet d'André, évoqué plus haut. Mon aïeule est donc la tante par alliance de cette personne et j'ignore si elles ont beaucoup frayé de leur vivant.
Mais faisons un saut dans le temps et plongeons-nous dans le Bordeaux de cette première moitié du 19e siècle. Nous sommes en pleine monarchie de Juillet, Louis-Philippe est sur le trône de France depuis trois ans et la dame à laquelle je m'apprête à rendre visite sans y avoir été invitée (!) est une veuve de 77 ans, rentière de son état. Elle vivra encore deux ans mais ça, je ne suis pas censée le lui dire...
J'emprunte la Porte Dijeaux et traverse la place Gambetta qui ne s'appellera ainsi que dans une cinquantaine d'années mais est déjà considérée comme le centre de la ville, une "borne zéro" y sera même installée d'ici peu. Aujourd'hui comme hier, elle est bordée d'immeubles cossus de la deuxième moitié du 18e dont les façades s'ornent d'élégants mascarons. Au nord-ouest, elle débouche sur la rue du Palais-Gallien.
Je passe devant l'Hôtel des Monnaies qui n'est pas encore la Grande Poste de Bordeaux et me dirige d'un pas décidé vers le numéro 82 de la rue du Palais-Gallien. Un hôtel particulier bâti sur trois niveaux qui ne sait pas encore qu'il sera transformé au 21e siècle en une "boutique-hôtel" très tendance se dresse devant moi. Un majordome stylé en livrée m'introduit dans un petit boudoir et s'éclipse pour annoncer ma visite impromptue.
Perdue dans ses dentelles moirées, les cheveux blancs dépassant d'un bonnet sans âge comme elle, Marianne, comme elle souhaite qu'on l'appelle, veuve Abadie, me toise d'un air peu amène. Sa bonne éducation reprenant le dessus, elle m'invite néanmoins à prendre place dans un fauteuil Louis XVI aux couleurs passées dont l'inconfort n'invite pas à s'éterniser. La conversation s'engage enfin.
"Je suis désolée de vous importuner Madame, mais je fais des recherches généalogiques et j'ai vu votre signature au bas d'un acte de mariage de 1822 qui m'a interpelée. Il s'agissait du mariage de votre frère cadet Joseph qui se faisait appeler Darhanpe-Casamayor...
- Du nom de ma mère, me coupe-t-elle aussitôt.
- Oui, je sais que votre père était de Tardets et votre mère Marie Jeanne Casamajor-Pourilhon, d'Oloron-Sainte-Marie. Et donc, votre petit frère Joseph vivait ici même avec vous quand il a contracté mariage avec euh, ... votre nièce ?
- C'est exact, on vous aura bien renseignée. Ma nièce Marie Claire, orpheline de sa mère, a épousé en premières noces mon frère, son oncle paternel donc. Mon frère Jean qui s'était remarié en 1813 a donné son accord comme vous le savez probablement. C'était une façon de faire bénéficier la pauvre petite d'une situation. D'ailleurs, le mariage fut bref, moins de trois ans après, mon frère Joseph nous quittait pour des Cieux plus cléments.
- J'ai vu que le mariage n'avait pas, euh, donné d'enfants ?
- Vous comprenez bien que nous ne parlons pas de ces choses-là mais c'est exact, Marie Claire n'a pas eu d'enfants ni avec son premier mari ni avec le second d'ailleurs, un avocat bordelais qu'elle a épousé en 1828. La malheureuse est morte moins de cinq ans plus tard, que Dieu dans Sa grande miséricorde ait pitié d'elle.
- Oui, je sais, elle est décédée dans sa trentième année à Oloron. Savez-vous de quoi ?
- Non, je l'ignore, consomption j'imagine. Je n'ai plus beaucoup de contact avec ma famille de là-bas. Mon défunt mari nous a quittés il y a plus d'un demi-siècle, sous l'Ancien régime, un autre monde... Et cela fait si longtemps que je vis à Bordeaux...".
Marianne n'a touché ni à son thé ni à ses canelés. J'en aurais bien repris mais je sens que je l'importune avec mes questions, il est temps de prendre congé.
Je décide de profiter du beau temps pour aller voir à quoi ressemblaient les ruines du Palais-Gallien à cette époque, je sais qu'à la fin du 18e siècle, la municipalité endettée avait décidé de le lotir et de vendre des terrains, les nouveaux propriétaires s'empressant de le piller en utilisant ses belles pierres blondes qui dataient pourtant de l'époque gallo-romaine ! Son classement n'interviendra qu'en 1840.
Chemin faisant, je réfléchis à ce que la vieille dame m'a confirmé. Les mariages arrangés y compris au sein d'une même famille ne choquaient personne. D'ailleurs, à l'acte de mariage était jointe une dispense de degré de parenté octroyée par ordonnance royale et enregistrée par le tribunal d'instance de Bordeaux. Autres temps, autres mœurs...
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.
Illustration : Joseph Basire "Vue des ruines du Palais-Gallien", 1796, aquarelle. In "Le Palais-Gallien de Burdigala à Bordeaux" par Philippe Cloutet
Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.
Illustration : Joseph Basire "Vue des ruines du Palais-Gallien", 1796, aquarelle. In "Le Palais-Gallien de Burdigala à Bordeaux" par Philippe Cloutet
Sources : Gen&O, Filae, 33-bordeaux.com