mardi 11 décembre 2018

Amours ancillaires

Le 3 octobre 1849, Charles de Jaurgain, 84 ans, rentier, fils de feu Joseph, Ecuyer du Roy, Seigneur de Jaurgain d'Ossas et de Dame Batilde d'Argain, épouse Marie Vidart Arhex, 54 ans, domestique à Mauléon. Le monsieur a le sens des responsabilités car dans cet acte, il reconnaît un fils naturel fruit de leurs amours (sic), et qu'il a eu d'elle le 3 juillet 1822 à Ossas. Il faut dire que le temps presse, Charles de Jaurgain expire le 17 octobre soit moins de deux semaines après le mariage.  

A partir de là, Dominique Arhex va devenir Dominique Jaurgain et hériter d'une jolie petite fortune. Il se marie le 15 février 1855 à Moncayolle avec Marie-Louise Casamajor-Pulputy. Il est alors commis marchand chez Louis Etcheberry, négociant à Mauléon qui est du reste témoin à son mariage. Dans le contrat de mariage, les biens de Dominique sont évalués à 6 000 francs.

Avec sa femme, Dominique Jaurgain va ouvrir le Café du Commerce à Mauléon. Lorsqu'en avril 1894, il procède au partage des biens entre ses trois enfants, l'acte notarié décrira l'établissement en ces termes : limonadier, débitant de boissons, café, cercle, épicerie et articles de Paris ! Le nom du café n'est pas mentionné dans l'acte très détaillé de M° Jean-Dominique Julien Sallaberry, notaire à Mauléon, mais dans un document évoquant Mauléon en 14-18 de l'association Ikerzaleak, il est fait mention d'une Madame Jaurgain, propriétaire du "Café du Commerce".

Apparemment, après le décès de sa mère début 1889 et la cessation d'activité de son père en avril 1894, c'est le fils cadet Benjamin Félix Jaurgain né le 21 novembre 1864 qui reprend l'affaire avec son épouse Marie Lapitzondo. Ses sœurs, Maria née en 1855 et Louise-Clarisse en 1868 seront largement dotées. Pour preuve, lorsque la benjamine épouse Jean-Baptiste Heugas, un conducteur des Ponts et Chaussées de Saint-Palais, elle apporte 30 000 francs de dot !

On le voit, l'enfant né de père inconnu déclaré par son grand-père maternel Pierre Arhex, maçon à Ossas, s'il a pu bénéficier de la générosité de son père biologique à l'article de la mort, a su faire prospérer la fortune léguée par celui-ci ! A noter que la particule a disparu de son nom alors qu'on la retrouve dans la branche aînée et notamment chez son cousin issu de germain Jean de Jaurgain (1842-1920) qui connut de son vivant une petite notoriété.

La question que je me pose néanmoins, c'est pourquoi Charles de Jaurgain a-t-il mis tant de temps à reconnaître ce fils ? Marie Arhex, domestique, était-elle au service de la famille dans le château du même nom à Ossas ? Quand elle a son fils, elle est âgée de 27 ans, Charles en a trente de plus. Mais quand il l'épouse, il parle bien d'un enfant "né de leurs amours". On imagine que sentant sa mort prochaine, il veut assurer le bien-être de sa compagne. Marie (ou Marianne selon les actes) lui survivra trente ans. Elle s'éteint le 12 décembre 1889 à Ossas dans sa maison Jaureguiberriberria à l'âge de 85 ans.     

Pourtant, les parents de Charles sont décédés depuis très longtemps à la naissance de Dominique, le Seigneur Joseph de Jaurgain, le 4 Fructidor an IV* et Batilde d'Argain le 20 janvier 1808. Charles semble vivre alors avec sa sœur Dorothée de Jaurgain qui mourra dans la demeure familiale en 1843 à 83 ans. Cette sœur bréhaigne voyait-elle d'un mauvais œil une naissance illégitime dans sa respectable maison ?

Ou plus vraisemblablement, Charles voulut-il préserver l'honneur de la famille et celle de son frère aîné et héritier du titre, Jean Pierre ?
Jean Pierre de Jaurgain, marié à Engrâce Darhanpé, issue d'une bonne famille de Tardets, fut en effet le maire d'Ossas jusqu'en 1822.  

* 21 août 1796

Sources : AD 64 (Etat civil et minutes notariales), Gen&O, Filae, Geneanet, Wikipedia, Ikerzaleak
Illustration : Delcampe.net

Nota : Cette branche ne m'étant pas apparentée, elle n'est pas dans mon arbre sur Geneanet mais je tiens les références et d'autres dates à disposition de ceux qui m'en feraient la demande. 

8 commentaires:

  1. C'est une belle histoire je trouve ! Merci de nous la faire partager !
    Tout comme toi, je pense que Charles devait être tiraillé entre l'honneur de sa famille et son amour pour Marie. Son mariage et la reconnaissance de son fils à l'extrême limite de sa vie le montrent bien je pense.
    Peut-être existe-t'il un testament de Charles qui permettrait d'en savoir un peu plus ?

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    1. Merci Sébastien ! En effet, c'est une belle histoire. J'ai pensé comme toi à la piste du testament mais je n'ai pas encore eu le temps de le rechercher. Je te tiendrai au courant ;=)

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  2. Voilà un homme qui sentant sa mort prochaine a souhaité mettre ses affaires "au clair" et partir l'âme apaisée. ON devine une grande passion derrière ce geste...

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    1. Oui, Bérangère, tout dans cette histoire est émouvant à commencer par la déclaration d'un enfant "né de ses amours", c'est une formule tellement rare dans les actes de l'époque !

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  3. Ce qui est génial c'est qu'il parle d'amour, ce vieil homme. Cela prouve qu'il a aimé cette jeune femme et ce fils à qui il désire transmettre son bien. A-t-il été présent pour l'élever ?

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    1. Oui, Marie c'est la question qu'on peut se poser. L'a-t-il vu grandir ou s'est-il contenté de le suivre de loin à cause du poids familial ?

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  4. Belle et tendre trouvaille et bonne idée de l'avoir mise en lumière.

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