samedi 17 novembre 2018

Un échange à fleurets mouchetés

Voilà des semaines que je fais défiler sur mon écran des milliers de pages de minutes notariales sous l'Ancien Régime. Et quand je dis des milliers, ne croyez pas que j'exagère. Un registre biannuel d'un notaire royal de la province de la Soule en 1755/56 contient à lui seul 1819 pages ! 

Je rassure mon lecteur, je ne les lis pas toutes. Le temps d'un clic, mon œil scanne l'acte et, l'expérience aidant, je sais repérer rapidement un lieu, un patronyme, une signature (bénis soient mes aïeux qui savaient écrire leur nom !) ou une tranche de manuscrit qui me renseigne sur la nature du document.

C'est qu'on trouve de tout dans ces actes notariés : obligations (reconnaissances de dette), quittances, baux, ventes ou échanges de maisons ou de terres, nominations de tuteurs, actes d'opposition à un mariage (si, si), testaments, inventaires ou contrats de mariage. Ces derniers ont la préférence des généalogistes car d'un seul coup, vous voilà plongé dans la vie de vos lointains ancêtres et votre arbre peut y gagner quelques branches !

Pourquoi étudier les archives notariales est-il indispensable ? En Soule et en Basse Navarre, les registres paroissiaux sont très lacunaires. La Révolution française est passée par là et nombreux sont les BMS* qui se sont perdus depuis. Alors, comme nos ancêtres, souvent illettrés dans les campagnes, voulaient garder une trace écrite d'une transaction, ils passaient devant le notaire...

"Hum, hum !
- Euh, qui me parle ?
- Moi, Madame, votre ancêtre à la 7ème génération ! Je vous écoute pérorer depuis tout à l'heure, évoquer mes contemporains avec condescendance, vous pencher sur leur vie dont vous semblez tout savoir alors que vous ne savez rien !
- Plaît-il ? Et d'abord, qui êtes-vous ?
- Je suis Grégoire Duthurburu, greffier de la Cour, Bourgeois de Tardets en Haute-Soule, Sieur de Barnetche !"

Aïe, j'ai dû déranger l'irascible grand-père de Marie-Jeanne Duthurburu, ma centenaire ! Cela faisait un moment que je voyais passer sa signature au bas des parchemins. Voyons, essayons de l'amadouer. De nos jours, les gens adorent parler d'eux, je suppose qu'il en était de même à l'époque...

"Désolée d'avoir été impolie, je suis vraiment ravie de vous rencontrer ! Et vous tombez bien, si je puis me permettre de m'exprimer ainsi, car je me demandais ce qu'était un greffier de la Cour ?

- Je suppose que vous avez entendu parler des Etats Généraux de la Soule ? Ils regroupaient l'assemblée populaire appelée Silviet et le Grand Corps qui réunissait le clergé et la noblesse, chacun instance siégeant séparément. On appelait l'ensemble la Cour d'ordre. Celle-ci était convoquée une fois par an, le dimanche suivant la fête de nos Saint Patrons Pierre et Jean, fin juin. Je parle au passé car depuis l'arrêt du Conseil du Roi du 20 mai 1733, le Silviet n'a plus le droit de se réunir."

- Pas très démocratique tout ça !" Aussitôt que ma remarque a fusé, je me mords la langue. En même temps, cette éviction de l'assemblée du peuple n'annonce-t-elle pas la fin prochaine de l'Ancien Régime pensé-je en moi-même ?
- Bon, peut-être" concède mon aïeul "mais les Etats de Soule font toujours leur office et continuent de se réunir à la Cour de Licharre, et moi d'y officier comme greffier en ma qualité de gentilhomme terretenant."

Je cesse aussitôt de brocarder ce pauvre ancêtre et le remercie sincèrement pour ses explications, me promettant d'approfondir rapidement mes connaissances de cette page d'histoire...

Acte de 1756 paraphé par M° Detchandy, notaire, et G. Duthurburu

* BMS : Baptêmes, mariages, sépultures

Pour en savoir plus sur le sujet : "Les Assemblées provinciales du Pays basque français sous l'ancien régime" de Maïté Lafourcade.
Autres sources : Ikerzaleak ; les Duthurburu sur Geneanet ; "Etat civil et registres paroissiaux", "Actes, contrats et dispenses de mariage" et "Ancêtres paysans" de Marie-Odile Mergnac (Archives et Culture ).
Illustration : Gallica

Ce billet a été réalisé dans le cadre du RDV Ancestral, un projet d'écriture mêlant littérature et généalogie. La règle du jeu est la suivante : je me transporte dans une époque et je rencontre un aïeul. Pour retrouver mes précédents billets sur ce thème, suivre le libellé #RDVAncestral.

4 commentaires:

  1. On a la chance d'avoir les registres des notaires du Pays Basque en ligne. On y passe des heures et des heures. Heureusement que de temps en temps un ancêtre est là pour nous remettre les pieds sur terre. Un bien instructif rendez-vous ancestral, bravo

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    1. Oh, milesker Jean-Pierre ! Nos BMS étant tellement pauvres, heureusement que nous avons les minutes notariales pour ce qui est de l'Ancien Régime !

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  2. Un #RDVAncestral agréable à lire. J’aime beaucoup la façon dont tu rencontres cet ancêtre, avec intérêt et humour, sans perdre ta bienveillance.
    Prends soin de tes yeux avec tant de pages à faire dérouler !

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    1. Merci Marie de t'inquiéter pour mes yeux ;=)
      C'est vrai que tout cela est très addictif ! Ce Grégoire Duthurburu, très présent comme "acteur" ou témoin dans les actes des années 1750 est en train de devenir un de mes chouchous :)

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