lundi 19 février 2018

Elisabeth reçoit une lettre

Saint-Just-Ibarre, vendredi 4 mai 1888 
Ma très chère sœur,

Tu as dû apprendre par notre père et notre sœur Marguerite* que j'ai été bien souffrante, ce qui explique mon silence. Nous avons en effet eu mon mari et moi l'immense chagrin de perdre notre premier enfant, une petite fille née le 14 du mois dernier, soit un an pile après notre mariage. Nous l'avons aussitôt baptisée et lui avons donné le prénom de notre chère maman, Marie-Jeanne.

Hélas, la pauvrette était de faible constitution et elle nous a été reprise au bout de quatre petits jours. Martin était dévasté, moi-même victime de fièvres puerpérales, et délirant plusieurs jours après la délivrance, je n'ai pas réalisé tout de suite qu'elle était partie, pauvre petit ange, que Dieu la garde à ses côtés !

Le 27, Monsieur Brisé, mon époux, a écrit à l'inspecteur d'académie demandant pour moi un congé, indiquant que même si j'étais en voie de guérison, je restais encore faible et dans l'incapacité de reprendre mon poste d'institutrice à l'école des filles. Entre temps, comme tu le sais sans doute, notre père s'est proposé de me remplacer au pied levé vu qu'il est à la retraite.

L'inspecteur, jugeant sûrement cet arrangement providentiel, nous a répondu sans tarder et m'a autorisée à prendre un congé du 1er au 19 mai. Je ne te cache pas que faire la classe à mes chères élèves alors que je venais de perdre ma petite fille était au-dessus de mes forces. Je sais qu'elles seront sans doute surprises d'avoir un maître, elles qui n'ont connu que moi, mais le fait qu'il s'agisse de mon aïta devrait être de nature à les rassurer...     

J'espère que mon collègue de l'école des garçons, Monsieur J., avec lequel je ne suis pas dans les meilleurs termes ne lui mettra pas de bâtons dans les roues mais j'ai confiance en l'aménité de notre cher père et imagine que la réputation de ses états de service le préviendra de toute tentation de malveillance. Avoir notre père à la maison m'est aussi un réconfort, il a toujours été si sage !

Voilà ma chère sœur, les tristes nouvelles que j'avais à t'apporter. J'espère que Monsieur Eppherre, mon beau-frère, que tu salueras de ma part, ne se tue pas à la tâche et que toi-même, tu t'en sors avec tes quatre petits. Comment se porte la petite Marie ? Fait-elle ses nuits ? Embrasse-les tous pour moi ainsi que notre chère Maman.

Ta soeur dévouée,
Engrâce Irigoyen   

* Une soeur aînée d'Elisabeth et d'Engrâce, Marguerite âgée alors de 34 ans, est mariée avec le chef cantonnier de St Just-Ibarre, Bernard Arruyé. Le couple n'a pas d'enfant (et ne semble pas en avoir eu par la suite). Elisabeth, 30 ans, mon arrière-grand-mère est mariée avec un cultivateur d'Aussurucq, Dominique Eppherre, et a déjà quatre enfants nés entre 1882 et 1888. Elle vit avec ses parents, Dominique Irigoyen, instituteur public en retraite, et Marie-Jeanne Dargain, propriétaire, dans la maison Etcheberria d'Aussurucq.    

Lexique : Aïta : papa (Ama : maman)
Illustration : Johannes Weiland, 1870
Sources : AD64 Dossiers d'enseignement de Dominique Irigoyen (1829-1898) et Engrâce Brisé née Irigoyen (1859-1916) consultables aux Archives départementales de Pau (64). Un grand "milesker" à Nicolas Urruty !     

3 commentaires:

  1. " moi-même victime de fièvres puerpérales" rien que pour le mal mis en mot des maux d'Engrâce, je valide ce texte touchant.

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  2. Quelle chance d'avoir une ancêtre institutrice pour retrouver des détails sur leur vie quotidienne et les dures réalités de la vie à cette époque, leurs relations familiales.
    Merci Marie de partager ces "bribes de vie" avec nous.

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  3. @Bérangère, merci de ta fidélité, tu dois être ma plus ancienne lectrice vu qu'AMQLTP a bientôt 11 ans ! J'ai beaucoup de plaisir à écrire ce blog généalogique et j'espère avoir enfin trouvé la bonne distance avec mes ancêtres ;=)
    @ Milesker Christine. Ces dossiers d'enseignement sont une vraie mine. Ca faisait longtemps que je voulais me rendre à Pau les consulter et je ne remercierais jamais assez Nicolas de l'avoir fait pour moi !

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